Avant l'entretien avec Madame la secrétaire de Monsieur l'inspecteur d'académie, à Lyon, pour devenir Professeur de français contractuel, avant même de penser devenir Professeur, mon histoire avec l'enseignement commence lorsque je suis enfant. Ma mère est institutrice, ses amies aussi. Je l'entends discuter de son travail, je la vois corriger, préparer.
Plus tard, je rencontre des professeurs qui ne se lavent plus les cheveux et ne me regardent pas dans les yeux, d'autres qui s'enferment à clefs dans leur classe, un qui fume des clopes roulées à la fenêtre pendant le cours. Des gens incapables d'enseigner se décarcassent pour me faire entrer dans la tête un programme parfois touffu, ne parviennent qu'à me lasser, voire à me faire passer une série interminable de sales moments. Et puis des professeurs lumineux me permettent de réussir où je me sentais pourtant capable d'échouer. Des noms que je retiens pour toujours.
L'histoire ne rebondit que trente ans plus tard. J'ai été journaliste, pour l'essentiel, spécialisé dans la culture et surtout le théâtre. J'ai animé des ateliers d'écriture et de pensée, avec des enfants en « situation de fragilité » dont j'ai aimé le contact et pour lesquels j'ai même, parfois, été utile. Je crois que j'ai compris quelques ressorts de l'enfance, et d'abord son besoin de bienveillance, sa soif inextinguible de reconnaissance. Et son questionnement permanent, qui n'est autre que la manifestation de son désir, presque sauvage, animal, de connaissance. L'adulte, et plus encore le professeur, doit se faire entendre au milieu de ce bouillonnement juvénile, répondre aux attentes de son public pour mieux lui transmettre son savoir.
« Mais vous savez c'est compliqué professeur, rien à voir avec l'animation. »
Oui Madame la secrétaire de Monsieur l'inspecteur d'académie, ne vous indignez pas, je le sais. Je m'apprête à beaucoup travailler.
En 2018, je décide de changer de métier, celui de journaliste n'a servi, jusqu'alors, qu'à me maintenir sous le seuil de pauvreté. Je me sens au milieu du gué, sans bien apercevoir l'autre rive. Un conseiller Pôle Emploi me suggère de devenir Professeur. Je trouve la proposition enthousiasmante, mais je ne possède que le baccalauréat. Qu'à cela ne tienne. Il existe la validation des acquis de l'expérience, la VAE.
« Mais vous savez, il faut analyser les textes, ce n'est pas facile »
Oui Madame la secrétaire de Monsieur l'inspecteur d'académie. Cela fait trente ans que je lis, que j'écris, que je travaille sur des textes, que je les critique, que je critique des pièces de théâtre ou des expositions d'art contemporain ou de photographie. Vous pensez que soudain, devant des élèves, je ne saurais plus faire ?
J'obtiens mon Master 2 de littérature mention métiers de l'écriture, à Toulouse Jean Jaurès, avec la note de 18 sur 20, mention très bien en octobre 2020. Une bande d'Agrégés de lettres modernes et de rhétorique, à la lecture des cent pages de mon mémoire, des deux cents pages de mes annexes, puis à m'écouter le jour de ma soutenance, ont décidé de m'adouber. Ce ne sera pas le cas de Madame la secrétaire de Monsieur l'inspecteur d'académie.
« Mais la grammaire, il n'y avait pas d'épreuve de grammaire, dans votre VAE. »
En effet, Madame la secrétaire de Monsieur l'inspecteur d'académie. Et je ne vais pas vous cacher que je ne suis pas un grammérien émérite. Mais je crois aussi être capable de me hisser au niveau d'une classe d'enfants ou d'adolescents. Non je ne le crois pas. J'en suis sûr.
« Tenez, voulez-vous bien analyser gramaticalement cette phrase, s'il vous plait ? »
J'en suis incapable, Madame la secrétaire de Monsieur l'inspecteur d'académie, je ne peux aller au delà des analyses les plus simples. Des souvenirs du collège. Comme vous me l'avez fait remarquer, je n'ai pas appris la grammaire. Et je vous répète que cela ne me fait pas peur. Pas peur du tout.
« Impossible de vous laisser devant une classe, Monsieur. Que diraient les enfants s'ils vous posaient une question à laquelle vous ne pourriez pas répondre. Il s'agit de votre crédibilité. Ensuite, plus personne ne vous écouterait. »
À cause d'une question de grammaire ? Madame la secrétaire de Monsieur l'inspecteur d'académie, votre expérience de l'enseignement est stupéfiante, et vous avez raison de me faire la leçon.
« C'est dommage (dit-elle), vous auriez fait un excellent professeur ».