dimanche 23 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (55)

Trente-deuxième jour
La cité de Mogador inspire la nostalgie. Parfait pour la conclusion d'un voyage. J'entrevois des possibilités de discussion avec des gens. Le réceptionniste, dont l'apparence d'ultra religieux ne m'inspire pas que du dégoût. C'est un jeune homme accorte, qui espère me voir rester parce qu'il n'est pas certain d'être payé, s'il n'y a pas assez de clients. Je crois qu'il aimerait bavarder. Tout à l'heure il m'a invité à boire le thé, moi je ne voulais que m'allonger un temps. Devant la porte de l'hôtel, il m'a présenté à un menuisier édenté : « lui c'est un vrai habitant d'Essaouira, un vrai Souiri ». Et le menuisier de se mettre à ricaner, « lui campagne campagne ». Je ne suis pas sûr de comprendre, alors il imite le bruit du pas de l'âne, et ce geste de la main du paysan qui mène la bête, juché sur elle, avec sa baguette. Il a un bon rire, l'artisan, et j'éclate de rire à mon tour. Le jeune Religieux répond c'est du racisme ça, qu'est-ce que tu as contre les gens de la campagne, c'est nous qui donnons à manger aux gens. Toujours l'humour taquin des Marocains.
Dans la rue, un autre artisan, avec une gueule bizarre, la mâchoire semblant vouloir se détacher de son visage. Il éprouve d'ailleurs apparemment des difficultés pour parler. Dans son espèce de placard, il fabrique des petits objets de marquèterie en thuya. Il m'a montré une photo de lui pendant son apprentissage, en 1982. Un très beau jeune homme de quatorze, quinze ans. Putain. Ce que le temps nous fait. Il connaît deux ou trois mots de français, je ne sais si nous pourrions avoir une discussion. Et puis son objectif est sans doute de me vendre une boîte. Toujours dans la même rue, il y a un marchand de tapis qui m'a abordé en passant, je lui ai dit que je n'étais pas intéressé. Et quand même, comme tout se disait dans la bonne humeur, lorsque je suis repassé, il était en train de fermer boutique, nous avons échangés de nouveau. J'ai pu lui dire que s'il éprouvait des difficultés à lier amitié avec des Français, j'en avais beaucoup quant à moi avec les Marocains. Ah bon ? Oui, ils croient tous que je suis riche, il n'y a donc pas moyen d'avoir une discussion sans qu'à la fin on me demande de l'argent. Ah bon ? Oui, à un moment ou à un autre, le Marocain va tenter de me vendre quelque chose. « Ah ! Vendre ! Pas faire la manche. Vendre, acheter, c'est pas pareil, c'est la vie ». Mais il a fermé boutique, cette fois, donc, je le quitte, et il me lance, passe-donc, moi, je ne te demanderai pas d'argent.

Trente-troisième jour
Pas d'eau, pas d'eau. C'est la première fois depuis que je suis au Maroc. Andy m'a révélé qu'il y avait eu deux coupures d'eau pendant mon séjour chez lui à Aït Benhaddou. Mais il avait prévu la chose dès la construction de sa maison en faisant enfouir deux citernes de béton hydrofuge de huit et deux tonnes. Il y avait même adjoint des filtres achetés à Montpellier afin que l'eau soit vraiment potable pour tout le monde. J'espère prendre une douche, ce soir, en attendant je me suis aspergé de parfum, non que ce soit utile, je ne pue pas encore, mais en souvenir de mon voyage dans l'Europe de l'est à peine libérée de la tutelle soviétique, où je refusais les douches froides, et plus encore les douches collectives. Du coup,à l'époque, j'ai passé cinq ou six jours sans me laver. Je m'aspergeais de déodorant (eau sauvage d'Hermès tout de même) et j'appelais ça ma douche.

Trente-troisième jour
Journée sereine, sans trop de pression. J'attends le départ, peut-être, comme s'il n'y avait plus d'enjeu. Me laissant porter, j'ai rencontré Bertrand, un Breton de Paris, à la pâtisserie Chez Driss où j'ai pris mon petit-déjeuner. J'ai revu le port, j'ai lu Don Quichotte et j'ai rit tout seul au milieu de la plage. J'ai croisé le petit marchand de tapis qui fermait boutique et nous sommes allé tout deux boire un thé. Dans un endroit bien caché des touristes. Et le quittant, à proximité de nos deux habitations, le gros qui m'alpague chaque fois que je passe devant son restaurant, m'aperçoit et je n'ai pas la force de refuser. J'entre, je commande un tajine qui s'avère très bon, pour 30 dh, et deux musiciens gaouas sont installés à côté de moi. Ils se mettent à jouer. Le gros est en joie. Moi aussi. En fait, l'endroit a une âme, il est animé, par la bienveillance et la bonne humeur de ce jeune Monsieur. Et voilà qu'il chante, et une fois que les musiciens se sont tus, il hèle en anglais, en espagnol, avec un sourire souiri, les derniers touristes perdus. Les musiciens reprennent des airs entraînants et le voilà qui danse.

vendredi 21 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (54)

Trente deuxième jour
Je rentre dans une semaine. Ça me paraît tôt.
Il ne faut pas anticiper, Ouam.
Savoir garder l'esprit occupé par l'espace qui se découvre, en ce moment, à lui. Et peut-être aux rencontres, aux esprits qui feraient le même effort, ou la même absence d'effort. Pour l'instant j'erre dans la médina d'Essaouira. Les commerçants te sollicitent, comme un peu partout, mais sans agression. La proximité de l'océan apporte des odeurs, ce fond sonore régulier, et les gabions veillent sur les toits. J'ai fait un tour au port, j'avais aperçu les chalutiers rentrer une heure ou deux avant, l'agitation était encore à son comble, d'autant qu'un bateau partait. Je cherchais un endroit ou me poser pour admirer tout ça, ne trouvant pas, je me suis à nouveau enfoncé dans les venelles terreuse et achalandées de la médina, j'ai fait un tour sur les remparts hérissés de canons fabriqués à Barcelone en 1781. C'est à cet endroit que j'ai rerpéré une ou deux terrasses de restaurant, et j'avais faim, il se trouve. Mais j'ai résisté, j'ai cherché et trouvé mon hôtel ou j'ai dormi quelque heure. Mais le premier réflex, au réveil, je suis allé sur une de ces terrasses. Et voilà l'histoire du jour.

Rien n'égale en beauté, en sérénité, pour l'instant, ce moment au café Hafa, à Tanger, les guêpes s'acharnant sur les restes sucrés de mon thé à la menthe, le détroit juste en face. J'attends de vivre une inoubliable seconde encore, avant la France. Je dois fixer l'horizon, laisser blanchir et s'enrager l'océan sur les récifs entourant Essaouira. Ce soir, un ciel parisien sur la plage, l'Atlantique semble calme, sauf un moutonnement régulier, au large. Un escadron de mouettes grisâtres plane au-dessus de ma tête et l'une d'elle se met à courser un albatros. Le pauvre et grand oiseau des mers a une plume de travers, et c'est à croire que c'est ce qui lui est reproché, sa mauvaise tenue. Entre le port et la plage, des nués d'oiseaux, je ne sais s'ils cherchent tous de la nourriture. Cela n'empêche d'ailleurs pas le plaisir de se laisser porter ainsi par la bourrasque. J'ai trouvé une terrasse intéressante, un muret pour les pieds, que vient lécher l'eau. Un thé à la menthe pour me réchauffer. Ce thé m'est comme un compagnon maintenant. Il me manquera.


lundi 17 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (53)

Trente-et-unième jour
Tout est mouillé. Le coussin sur lequel je suis assis, la table, sont poisseux. Et ma chambre sent l'humidité. Je suis sur la terrasse, face à la lune, dont la lumière frappe une volée de flèches argentines. Un albatros lâche son cri de grosse mouette et le vent, qui pourtant me nourrit d'un souffle de large et m'oblige à me couvrir, ne contrarie pas sa course. L'océan qui s'éclate à quelques mètres, en lignes blanches successives, s'approchent en hurlant des remparts d'Essaouira.

Trente-et-unième jour
Le quatrième mur de ma chambre est une baie vitrée sur l'océan. Une terrasse presque privative, tout simplement parce que je suis seul à l'étage. Il y aura probablement du passage, sinon, dans la semaine. Une jolie chambre avec des carreaux en terre cuite, un plafond de bois à l'ancienne. Des poutres maîtresses par deux, des troncs polis. Des linteaux, toujours par deux, branches principales. Puis une multitude de bâtons, à l'image du treillage de roseau d'Aït Benhaddou. Le tout repeint avec un goût douteux, le même vernis que celui d'un chalet sur ma montagne, en Savoie. Le lavabo est en terre cuite, avec des motifs, tel un vase, soutenu par une pierre polie. La douche est italienne. Et si le luminaire part un peu en lambeaux, au moins, il y a une lampe de chevet. « Les Marocains ils ne comprennent pas les Européens ils veulent lire avant de dormir, ja, et consulter leur guide, c'est normal, et les Marocains ils disent non non non, pas dépenser 3 dh pour ça ». L'indignation d'Andy, son accent proverbial, son outrance, sonnent encore à mes oreilles. J'ai quitté Aït Benhaddou avec émotion ce matin. Simon me disait viens vivre ici, je te trouve un terrain, une femme, la vie sera paisible et on sera voisins. Ils se sont bien occupé de moi, pour que j'obtienne un taxi, et Khadija me faisait tu devrais rester encore, j'ai acheté du poisson. Je n'ai pas vu la mignonne Maria, je lui aurais bien dit au revoir, un petit bisou.


dimanche 16 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (52)

Trentième jour
Instructive discussion du matin. Andy évoque la jeune femme noire, car pour être sombre de peau, elle l'est. Elle descend des esclaves noirs de la région qu'on appelait les Haratines. C'est un mot qui est dérivé de Hams, « cinq », et qui exprime la fraction un cinquième. Il faut s'imaginer que le grand' père de la femme qui ne cesse de me mater depuis quelques jours était le Haratine du grand' père de Khadija. L'esclave. L'aide apportée par cette jeune femme et par l'ensemble des membres de sa famille, que ce soit ici à Tigami Khadija (« la maison de Khadija ») ou dans la maison que j'ai visitée hier, n'est, en conséquence, pas salariée. Mon hôte autrichien baisse le ton pour me révéler que les relations entre les deux familles perdurent, non plus tout à fait de maître à esclave, mais dans leurs rapports économiques. Le terrain cultivé par les descendants des Haratines appartient aux descendants de leurs maîtres. Il y a donc chaque année une fête du partage des récoltes, comme du temps de l'esclavage. Quatre mesures pour les propriétaires. Une pour les Noirs. Un cinquième, exactement ce que les Haratines touchaient lorsqu'ils étaient esclaves. Les femmes noires participent aux tâches réservées aux femmes dans la maison des propriétaires, les hommes cultivent, sans autre salaire que ce partage annuel. Je sens bien qu'en me soufflant cette histoire, Andy est révolté, honteux. Ce matin, il avait envie de vider sa besace. Le rapport des Marocains avec l'argent et le travail l'exaspère, lui qui fait construire sa maison depuis près de neuf ans. Un exemple. Un ouvrier qui se faisait payer 100 dirhams par jour, Andy lui propose de le payer 130 dh brut s'il veut la sécurité sociale, donc avec une cotisation retraite et une cotisation maladie. Hors de question pour l'ouvrier, car en net, il passait à 80 dh. « Non il veut l'argent tout de suite, il ne pense pas à l'avenir, il veut l'argent » Répète Andy. Bien sûr, si le système d'assurance n'est pas généralisé dans le pays, on peut comprendre l'ouvrier en question qui a pu se demander si on ne voulait pas l'enfumer. Mais c'est une constatation que j'ai été obligé de faire aussi, le Marocain veut l'argent. « Il veut autant d'argent qu'un Européen, mais il veut pas travailler comme un Européen, c'est problème, ça ». Les horaires de présence, les exigences des clients, les finitions... tout semble compliqué à obtenir. Andy me raconte qu'il accueillait un couple de pompiers nîmois depuis trois ans quand il les a confié à un guide du coin. Celui-ci avait une course à faire dans un village, alors il a voulu changer l'itinéraire prévu avec les pompiers. Ceux-ci ne se sont pas laissé emmener, exigeant que soit respecté leur contrat. Le guide est parti au village qu'il espérait rejoindre en les plantant au beau milieu de la montagne. Andy est allé récupérer les clients, il lui a fallu deux jours. Autant dire qu'on ne voit plus la queue d'un pompier nîmois ici. Ce qui est regrettable. « Si tu as besoin de matériel de construction, tu dois loué un pick up. Seulement aujourd'hui il y a des contrôles routiers pour vérifier que tu as la vignette et une assurance. Les Marocains ils refusent de payer, donc, plus de pick up ! ». Et lorsque tu réussis à en avoir un, on t'oblige à accepter les services d'un chauffeur qui se contente de conduire et ne bouge pas le petit doigt pour t'aider. Tu dois donc embaucher deux gars à Ouarzazate, et deux autres à Aït Benhaddou. Ensuite, tu dois les payer chacun son tour. Hors de question de demander à l'un de payer les autres avec ce que tu lui donnes. Il prendrait l'argent et ne le partagerait pas. Si tu ne payes pas tout de suite, et c'est valable pour le maçon par exemple, ils seront devant chez toi tous les jours jusqu'à ce que tu payes. « Si c'était parce qu'ils en ont besoin pour nourrir leur famille... mais non non non ! » s'insurge-t-il encore. « Combien vont boire l'argent et ensuite leur femme vient à la maison demander la farine un peu ». « Et la femme il vient chez toi parce que tu es Européen, donc riche ! ». « Ils vont boire la Maïa » (l'eau de vie de figue). Andy, cela fait trente-cinq ans qu'il connaît ce bled, et il y a encore des gens qui croient qu'il est riche.
Andy continue : « Les femmes elles aiment bien venir ici, elles m'aiment bien, tu sais pourquoi ? » J'ai peur de deviner, car je commence à sentir un peu ce qui se passe, dans les familles. Il y a deux ans, il s'est battu avec un frère de sa femme qui venait de lever la main sur une de leurs soeurs, et qui proclamait « J'aime taper sur ma sœur et sur ma femme ». « Casser mes lunettes, ja ». « Plus venu depuis, le frère, plus venu, ça, non ».
Alors qu'il me racontait tout cela une femme est entrée, une voisine proche, et comme Khadija était au souk, il l'a congédiée rapidement. « Cette femme, beurk », me fait-il, armé d'une vilaine grimace. C'est une femme qui s'invite dans la cuisine de Khadija et sa sœur et lorsqu'elle aperçoit Andy elle donne ses ordres, faites le thé pour Andy, demandez-lui ce qu'il veut manger ce soir... En gros elle vient mettre la pression de la tradition sur les femmes de la maison. « J'aime pas cette femme », et son ton trainant et dégoûté ne laisse pas de doute à ce sujet. 

jeudi 13 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (51)

Trentième jour
Au seizième jour, j'en étais à 6100 dh de dépense. À quoi s'ajoute, depuis :

Fès 
hôtel 150 x 2
bouffe 200
visite 50

Méknès : hôtel 100 x 2
bouffe 150
voyage 100

Marrakech 
hôtel 250 x 2 + 150
bouffe 250
Arnakech 350
voyage 100

Ouarzazate 
hôtel 200
bouffe 25
voyage 80

Aït Benhaddou : 
hôtel et bouffe : 150 x 4
voyage 200

Pressing 75 + 30 (Marrakech et Aït Benhaddou)

Tiens, j'ai oublié deux nuits à Chef Chaouen.

Chef Chaouen : 
hôtel 120 x 2
bouffe 200

Dépenses depuis le seizième jour : 3990 dh. Bon ce qui me mène à environ 10000 dh de dépenses totales depuis le premier jour, voyage aller retour en avion compris. Dans les neuf cent et quelques euros, j'arrondis à 1000. Je suis dans les temps, et ceci sans vraiment faire gaffe. L'idéal serait maintenant de ne pas dépenser plus de 3000 dh maintenant, jusqu'à la fin du voyage. 300 dh par jour, c'est faisable.

Trentième jour
Ce matin pas de pain au petit déjeuner. A la place, un tas de petits beignets bombés que Khadija appelle « des cripes berbères ». Ce sont en fait des carrés de pâte qui ont gonflés dans l'huile bouillante. Ce qui donne des espèces de poches vides dans lesquelles tu fourres de la confiture ou de l'amelou. Pas mal, mais un abeugras.
Je remarque que la super copine de Khadija, une belle femme à la peau très brune, « du village d'à côté » me la présentait mon hôtesse avant-hier, ne cesse de me regarder. Depuis plusieurs jours. Ce serait sûrement une solution pour mes problème de ménage, chez moi. Pourtant je sens que le mariage avec elle ne serait pas une bonne idée. Cela lui ferait sans doute perdre son flambant sourire, et ne devrait pas faire renaître le mien.

jeudi 6 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (50)

Vingt-neuvième jour
Rencontre avec une petite fille de 3 ans. Au départ, nous échangeons des gestes, et déjà elle fait retentir son rire coquin. Et puis j'apprends que cette si jolie gamine est la fille de Khadija et Andy. Alors je recommence en allemand : Wie heisst du ? Elle s'appelle Maria, et nous allons jouer pendant des heures, avec mon stylo, puis avec une orange. Et tout à l'heure, Khadija m'invite chez ses parents, et nous allons y aller avec Maria. Cette môme me fusille en me prenant par la main, et m'achève, ensuite, en me sautant dans les bras.

Vingt-neuvième jour
Je visite ainsi une maison immense, traditionnelle, en pleine rénovation. D'abord j'entre par les enclos. La famille entretient un modeste troupeau de vaches, dont je m'aperçois que toutes ont vêlé. Dans deux enclos des brebis et des moutons, cinq ou six bêtes, pas d'avantage, ailleurs un clapier plein de lapinots, avec leur mère, et des poules caquètent ici et là. Nous passons une porte et c'est la maison proprement dite. Cela me rappelle les récits de Coraline, lorsque sa grand' mère vivait calle Los Campos, et d'ailleurs, dans cette même rue de Vega, il y a encore deux ans, un vieil homme adorable vivait de cette façon, à côté de sa vache, de ses poules, de son clapier. Ce qui va une nouvelle fois me rappeler l'Espagne, c'est la cuisine, celle que Khadija « l'ancienne cuisine », avec sa cheminée. Enorme, elle prend peut-être 20 % de la surface, et dessous, deux fours à pain dont on me montre le fonctionnement. Je découvre ainsi que chaque matin, le pain que je mange encore chaud est fait ici. Je me disais bien qu'il était délicieux. Ce sont deux fours en terre, chauffés au feu de bois. L'un d'eux est classique, on enfourne la pâte grâce à une pelle en bois, un peu à la manière des pizzaïolos. Le deuxième fait un pain différent, je crois que c'est celui qui lève le plus, il est moins brûlé. Ce four est surmonté d'un plat en terre cuite, qui est chauffé à rouge avant qu'y soit coulé la pâte à pain. Quand le pain est cuit, on verse un peu d'eau pour le décoller de son moule. Il y a bien, donc, une cuisine moderne, qui commence à faire son âge et des escaliers en ciment, tout neufs il me semble, mènent à l'étage. Et là c'est une enfilade de chambres en construction. « Mais... vous voulez accueillir des touristes ici ? » demandé-je avec je dois dire beaucoup de candeur. « Non, tu sais, la famille... » me répond Khadija. Elle a un frère à Paris, une sœur à Leipzig et d'autres sont restés au Maroc, bien sûr, « alors il faut pour tout le monde ». Elle me précise un peu plus tard qu'elle a eu un terrain de ses parents pour construire cette maison où elle m'a accueillit, que ses frères et sœurs ont eu des morceaux de la maison de famille, dans le Qsar, mais que ce sera plus simple quand toute la famille pourra se réunir de ce côté de l'oued Mella, l'oued salé, dont les crues, souvent, coupent le vieux village du nouveau. Une volée d'escaliers plus haut est une des plus belles vues du village, sur le Qsar, l'oued, les montagnes, une splendeur que ne cesse d'admirer le père, dans son fauteuil roulant, toute la journée. Nous redescendons, Yalla, et elle me montre le tout nouveau salon, qui vient d'être terminé, et elle n'est pas peu fière. Elle a raison. Les plafonds sont ornés de motifs sculptés dans le stuc, un travail d'une finesse étonnante, pas très loin de la surcharge, sauf que non, c'est un salon marocain, entouré de banquettes bleues, agrémentées de coussins confortables, et dont l'impression générale se partage entre le luxe des décors et la simplicité du mobilier. J'ai vu de nombreuses imitations, au Maroc, dans des restaurants pour touristes, en particulier, de ses ornements, dont les modèles sont à trouver dans les palais et, par exemple, dans la Medersa Bou Inania, à Fès, qui, en la matière, surpasse tout. Chez les parents de mon hôtesse, la vérité est que le travail des artisans est bien beau, réussi, à mon sens.

mercredi 5 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (49)

Vingt-neuvième jour
Simon est moins présent, il m'a prévenu, si tu as besoin de compagnie, n'hésite pas, tu demandes Simon. Il ne veut pas s'imposer alors il est fantômatique. Je discuterais volontiers avec lui, mais sa future femme, je le sens, m'en voudrais. Ils ont peu de temps ensemble, elle bosse beaucoup, ici, da,ns la maison de sa soeur, tandis que lui promène sa bedaine et sa casquette blanche dans le village et sur les montagnes. Il m'a dit sa surprise de se voir ainsi me raconter sa vie, il ne le fait jamais. C'est un homme affable, mais solitaire. Il se « parle à lui-même », pense beaucoup. « Les gens savent, on se dit bonjour, mais ils respectent la distance ». Cette réserve lui vient probablement de sa visite des enfers. Quand il travaillait à Rabat, son mentor, le colonel, le conseille sur sa carrière et selon lui, s'il voulait évoluer, il lui fallait changer de service. Il le dirige vers un autre militaire, colonel-major, qui l'embauche dans une équipe qu'il est en train de former. Et la carrière de notre Simon décolle, comme promis, jusqu'à ce que soit créé, pour lui, un poste de directeur du service. Seulement, Simon n'est plus au palai, même s'il est toujours en contact avec les chevaux du roi et il continue de croiser le souverain et sa famille. Il continue aussi de voir un homme, qu'il connaît depuis longtemps me dit-il, un Français, qui fut le grand ami d'Hassan II et qui avait alors l'oreille de Mohammed VI. Il avait l'affection de ce Responsable de la Maison du roi (si j'ai bien compris la fonction), qui était aussi son protecteur. Mais à plus de 70 ans, le français tombe malade et doit se faire soigner en Europe. Simon est alors un directeur respecté, bien payé, marié, père de deux filles. Le colonel-major décide de profiter de ce moment. Il licencie Simon sans préavis ni indemnité. Du jour au lendemain, il se retrouve sans travail, mais ce n'est pas tout. Sa femme, voyant cela, fuit chez sa mère, puis divorce, emportant avec elle les meubles et... leurs filles. Obligé de déménager, il va à Casa. Il trouve un appartement, juste en face d'un cabaret. Commence une période de laisser-aller, il se perd dans l'alcool et la solitude, erre dans la ville, fume des cigarettes depuis ce temps-là.
Il me dit aujourd'hui qu'il doit ouvrir, dans quelques jours, une boutique de tapis berbères à Aït Benhaddou. En attendant, je dois dire que ce ne sont pas les cadences infernales. Mais son grand projet, son rêve, c'est un centre équestre, si le gouvernement lui cède un terrain qu'il convoite. Pour les touristes et aussi pour les tournages qui ne manquent pas dans la région, il y en a d'ailleurs un en ce moment dans le Qsar, sans chevaux. Un film modeste, rien à voir avec Alexandre ou Gladiator, ou Sodome et Gomorrhe, le film de 1962 pour lequel les portes en pisé de la ville ont été construites.

vendredi 30 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (48)

Vingt-huitième jour
Andy me disait ce matin, l'Europe vit au-dessus de ses moyens. On ne peut pas emprunter, emprunter toujours plus. Répétant en cela le discours dominant, raisonnable, qui s'est installé depuis les crises successives des subprimes puis des États, deux crises, donc, en effet, de la dette. Il apparaît que certains États ont un peu trop tiré dessus, mais je crois qu'il faudrait tout de même que cette critique de l'emprunt se nuance un peu. Cette « règle d'or » me semble ignorer les conjonctures qui peuvent rendre l'emprunt nécessaire ou avantageux. Les gouvernements Jospin ou Chirac, au bénéfice d'une croissance plus forte que prévu (on croit rêver) ont encaissé plus d'impôts qu'escompté (des « surplus » les appelait-on) : pourquoi ont-ils préféré alléger les prélèvements obligatoires plutôt que de réaffecter cet argent à la dette ? C'est qu'en période de croissance forte, et de taux d'intérêts bas, l'argent emprunté (et investit) rapporte plus qu'il ne coûte. L'autre cas où l’État a besoin d'emprunter, c'est bien sûr les périodes de dépression, pour soutenir l'activité, redémarrer, avec une politique de grands travaux par exemple. Comme en ce moment, quoi. Une autre solution serait d'alléger le poids de la dette en dévaluant la monnaie, ce qui aurait également la vertu de rendre un peu de compétitivité aux produits faits en France (ou en Grèce, ou en Espagne, au Portugal... et ceci sans baisse de salaire ni de cotisations sociales), mais la BCE ne le fera pas tout simplement parce que ce n'est pas dans l'intérêt de l'Allemagne. Ni de l'Autriche, hein, Andy ?

Vingt-huitième jour
Je ne sais pas ce qui me prend de parler économie, tout d'un coup. Je n'en ferai pas une dissertation.

Vingt-huitième jour
Lundi 23 avril. Je suis allé faire un tour du côté de Tamdaght, c'est à six ou sept kilomètres d'Aït Ben Haddou. Une route goudronnée dans un paysage presque nu, le long d'un cours d'eau qui doit être l'Asif Oumila. C'est le début d'une ballade jusqu'à Télouète, que Jean-Marc (le gars rencontré à Meknès) a fait il y a une dizaine de jours, dans le froid. Je ne suis pas parti pour les quarante kilomètres de randonnée, avec la nuit dans un refuge et pas mal de montée jusqu'aux flans du Tizi N'Tichka, mais j'ai en revanche bien goûté au cagnard. Il devait faire une température de 35 degrés Celsius et le paysage devant moi ondulait. D'un côté j'admirais les terres arables du lit presque sec de l'Asif, dont chaque mètre carré est exploité, oliviers, amandiers, blé, fourrage... De l'autre une terre sèche, craquelée, que des touffes d'épines ou de fleurs jaunes parsèment, irrégulières, avec de la caillasse multicolore et des montagnes, alentours, dont les pentes, tantôt souffrées, tantôt ferreuses, oxydées, présentent d'incroyable nuances de couleurs. Le village de Tamdaght, Qsar de même nature qu'Aït Benhaddou, plus petit, possède une kasbah magnifique au pied de laquelle s'épanouit une végétation luxuriante. Une plantation d'arbres, ponctuée par d'élégants palmiers, toujours présents, rassurants, dépaysants. 

mardi 27 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (47)

Vingt-septième jour
Le couscous de Khadija gonfle mon ventre. Un régal, avec plein de légumes, et une semoule roulée à la main. Je m'allonge. Je me rends compte que je ne suis absolument pas au courant du résultat de l'élection présidentielle. C'était le premier tour aujourd'hui, j'espère que Nicolas Sarkozy fait déjà ses bagages. Ma digestion risque d'être difficile, mais je suis optimiste.

Vingt-huitième jour
« Sarkozy il a perdu et la fille Le Pin il fait 19 % je crois. Andy ! Andy ! »
Khadija appelle son mari qui travaille à l'étage.
« Le Monsieur il voudrait savoir le résultat des élections ».
Andy apparaît alors, grand échalas perpétuellement coiffé de son chèche. Sous une moustache drue, la voix tonne, toujours un peu l'impression qu'Andy ne contrôle pas tout ce qu'il dit, au moins en français.
« Ah alors Hollandaise 29, Sarkozy 26,5, Le Pen 19.
- C'est beaucoup...
- Ah oui, beaucoup. Ils disent que Sarkozy ne peut plus gagner »
En vain je demande le score des communistes, c'est comme ça que je désigne le Front de Gauche, pour être plus compréhensible, et la seule réponse de mon interlocuteur me paraît significative. Pour lui, ce résultat n'intéresse que les Français, et les chaînes de télévisions de langue allemande ou arabe ne donnent pas cette information. J'espère que Mélanchon saura capitaliser, euh, disons prendre appui sur sa campagne pour le troisième tour, au moins aussi important que les deux premiers : les législatives. Les résultats définitifs me font penser que dans une pure logique droite / gauche, rien n'est joué. Mais les électeurs de Le Pen sont par définition plein de rancœur vis à vis de la droite traditionnelle et du pouvoir en place et même si le report est largement en faveur du candidat de droite, il n'est pas massif. De même, ceux qui ont préféré François Bayrou l'ont souvent approuvé, ces cinq dernières années, lorsqu'il était, d'évidence, le premier opposant de Monsieur Sarkozy, et je sais que beaucoup d'électeurs traditionnellement à gauche, mais bernés par l'apparent réalisme du discours centriste, se sont, depuis 2007, tournés vers l'ancien ministre de l'éducation d'Edouard Balladur. Les réserves de voix du sortant sont de 20 %, pas plus. Quant à Monsieur Hollande, son statut d'unique alternative à une deuxième catastrophe sarkozyste devrait le protéger, au moins en partie, de cette défiance bien légitime qu'un « peuple de gauche » entretient vis à vis du Parti Socialiste, et en particulier depuis que, derrière François Hollande, il s'était prononcé pour la constitution européenne de Giscard d'Estaing. Ne pas oublier pourtant d'aller porter l'estocade, le 6 mai. Et de donner une majorité de gauche, mais composite, avec le Front de gauche, à Hollande. Qui d'ailleurs me semble être la personne idoine, l'homme des discussions, des compromis, tel qu'une majorité hétéroclite aurait besoin. Tel qu'un régime parlementaire aurait besoin, en fait. Cqfd.

samedi 24 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (46)

Vingt-septième jour
Un vent du nord enfle dur, des bourrasques se chargent de terre et de sable, crépitent sur les fenêtres, me faisant croire un instant à la pluie. Simon, le beau-frère, a côtoyé deux rois. Hassan II dont il reconnaît les « erreurs » mais qu'il ne cessera d'admirer, et Mohammed VI pour lequel il montre de l'affection. Il travaillait pour les haras royaux, et c'est à lui, par exemple, que Mohammed VI c'est plusieurs fois adressé lorsqu'il voulait monter. Andy l'Autrichien, témoigne de ce qu'il a pu rencontrer la femme du roi grâce aux entrées dont Simon dispose encore au Palais. On dirait de petites histoires, sauf qu'ici, au Maroc, ce sont des destins qui se dessinent, il s'agit de ce genre d'histoires qui font des réputations, forgent une dignité, à ceux qui les racontent. J'admire assez Simon, qui n'exprime aucune fausse modestie, se valorise sans cesse dans ses récits, mais tout en gardant une sorte de quant-à-soi, propre à donner une profondeur à son personnage. Comme au détour d'une phrase, ce ne sont pas des pointes d'orgueil, c'est un homme orgueilleux, mais des pointes de modestie qui parsèment son discours. Il faut dire que je le crois lucide avec une assez haute idée de lui-même pour en être, à priori, digne. Plusieurs réflexions sur l'immigration, sur les rapports humains... rejoignent les miennes, je crois qu'il porte un regard bienveillant sur les humains, d'où qu'ils viennent, et cela lui permet d'éviter tout manichéisme. Il comprend que la misère puisse mener où elle mène, mais ne pardonne pas pour autant la bêtise, la veulerie, le vice. Et il aime qu'on le respecte dans son travail. « J'ai un métier, je le fais bien », assène-t-il. Ainsi s'est-il fâché avec un certain Duncan, producteur d'Alexandre, le film d'Oliver Stone, et de deux autres gros budgets hollywoodiens. En plein ramadan, l'Américain le fait poireauter une journée dans les environs d'Essaouira, avec six hommes et ses chevaux. Cagnard, 38 °C. Il réclame de l'eau pour les chevaux, qui eux ne font pas ramadan, et c'est déjà une difficulté, mais qui trouve sa solution. Ensuite, le cavalier, responsable de l'écurie, demande à manger pour ses hommes, il n'est encore que 16 h, mais le soir va tomber, mine de rien, et le repas nocturne en période de ramadan est sacré, il faut bien manger, et manger bon. Simon se fait refiler des restes rassis de la cantine des Américains et il commence à faire la tronche. Puis il s'empare d'un pack de six litres de flotte et c'est alors que le producteur lui prend le bras : « Vous êtes vraiment des voleurs ! » s'insurge le jeune milliardaire qui trouve que les sept hommes abusent gravement de la situation en s'emparant de six bouteilles d'eau. Comme si l'eau était gratuite. Simon, qui se vante de me parler de la même façon qu'à son roi, ce qui n'est ni métaphore, ni vain mot, monte sur ses grands chevaux, et là c'est une métaphore, il plaque le producteur contre un mur, lui dit d'abord qu'il a une tradition d'accueil à respecter, mais que si on commence à lui marcher sur la tête, il ne va pas se laisser faire. Qu'il a un métier et qu'il le fait bien mais que si on n'a pas besoin de lui, il déchire son contrat, et d'ailleurs, il s'exécute sur le champs. « Je pars, attention, n'essaie pas de me suivre », prévient-il. Le producteur le fera ensuite rechercher, lui présentera ses excuses. Et Simon pardonnera puisqu'il s'enorgueillit aujourd'hui de l'amitié de ce Duncan mal rasé, « comme toi un peu », et je souris, mais je n'aime pas la comparaison.

Quand il a vingt ans, Simon a du culot et ne s'embarrasse pas de salamalek. Enfin façon de dire qu'il parle facilement aux gens, quels qu'ils soient. Son rêve est de devenir cavalier mais un bon. Il monte d'abord un dossier pour faire l'école de Maison-Lafitte. Et l'école française lui répond positivement, mais en réclamant 13000 FF de droits d'inscription. Comme il n'en possède pas le premier centime, il décide d'aller toquer aux portes du ministère. Il est reçu par un colonel qui lui dit, mais pourquoi aller en France alors que nous avons une excellente école ici, à Rabat. Simon me dit qu'il ne connaissait pas cette école, et n'imaginait pas qu'il puisse en exister une ici, au Maroc. Je crois surtout qu'il n'a pas trouvé l'argent, et s'est ainsi rendu à l'idée de rester. La décision se prend en quelque minute, le colonel lui demande s'il doit l'inscrire, et Simon répond... oui.
« Très bien ! Vous commencez votre formation demain à 5 h du matin ».
Le même colonel, trois mois plus tard, le prend, un après-midi, à glander autour des écuries. « Mais vous ne travaillez pas ? » Mon colonel, la formation de cavalier c'est le matin, si bien qu'ensuite, Simon ne sait pas comment occuper son temps. « Suivez-moi, l'après-midi, dorénavant, vous travaillerez pour moi ». Et Simon d'emboîter docilement le pas du colonel. Il se forme ainsi aux techniques de gestion, aux outils informatiques, etc... Lorsqu'il sort de sa formation, il est tout de suite embauché par le Palais. C'est l'époque d'Hassan II, le roi qui inspire la crainte.

mardi 20 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (45)

Vingt-septième jour
C'est une maison en terre. Les briques sont façonnées une à une devant l'entrée. Un tas de terre rouge formé en puy, dans lequel les femmes vident leurs bassines d'eau sale, après la lessive. Le propriétaire m'a expliqué que pour débuter les travaux, il avait fait confiance aux artisans du coin, comme cela semble logique. Mais les premiers murs ne l'ont pas satisfait, et c'est vrai, ils déteignent. Les vieux du village semblaient posséder un savoir-faire, mais leur pisé était de mauvaise qualité. Les Marocains préfèrent de très loin le ciment, les parpaings. Un homme, ici, à Aït Benhaddou, a même doublé sa maison de parpaings avant de détruire ses vieux murs en pisé traditionnel. Très fier de sa nouvelle maison, l'homme doit depuis faire face à une étanchéité défaillante, durant les grandes pluies, il a froid l'hiver et beaucoup trop chaud en été. On connait ce genre de réflexe dans nos campagnes françaises, j'en ai été le témoin, en Ardèche, non loin de Saint Félicien... Un fermier qui possédait des bâtisses magnifiques en vendait une pour pouvoir retaper l'autre, c'est à dire casser l'autre, la recouvrir de ciment, de chaux, avec ce goût pour la banalisation, l'effacement de toute une culture accumulée, sous prétexte de modernité. Un Européen voyageur comme Andy, pas du tout un paysan, qui construit sa maison ici, à l'évidence, ne pouvait qu'être sensible au génie du lieu, et à celui des ancêtres berbères. L'Autrichien est donc allé chercher des spécialistes qui lui ont enseigné qu'il fallait, avec l'eau et la paille, mélanger la terre du coin avec une autre, moins oxydée, donc moins rouge, que l'on trouve à cinq kilomètres d'ici, au bord de l'oued. Il est arrivé au mélange idéal, solide, qui ne se délite pas, ne déteint pas. Les plafonds sont remarquables aussi. Des poutres d'arganier, écorcées, de grosseurs à peu près équivalentes, mais de formes inégales, soutiennent des linteaux de même nature, qui, eux-mêmes, tiennent une sorte de paillasse de roseaux, maintenue cohérente par des fils. Entre les tiges de roseau, j'aperçois l'isolation dont l'Autrichien m'a parlé : « Les gens au Maroc ils comprennent pas le touriste il veut la tranquillité, le silence ». Jusque là, ce n'était pas ma priorité, je peux même presque dire le contraire. Mais j'ai si bien dormi ici.

Vingt-septième jour
Petite note pour mon Isa. Il y a une petite fille, en elle aussi, que j'aperçois, émouvante, perdue, quelques fois, dans notre grande vie d'adulte. Et pourtant, Isa, c'est une grande personne. Donc, suite à mon petit déjeuner :
Amelou selon Khadija (la propriétaire des lieux) : 
Poudre d'amande (mais de préférence pas une amande douce, une avec ce goût fort d'orgeat, suivie d'une amertume délicieuse qu'on trouve ici) 
+ cacao 
+ huile d'argan.
L'amelou ressemble au confit de noisette, c'est d'ailleurs très sucré, il doit y avoir du miel. Une petite astringence, sans excès, que j'aime bien. A propos des amandes, on me précise que les amandiers, ici, sont arrosés par un oued salé, ce qui expliquerait leur goût particulier, intense, moins sucré.

Vingt-septième jour
Visite d'Aït Benhaddou, village âgé d'au moins 900 ans, peut-être 1200, on ne sait pas trop. Et de plus près, son visage a les rides que, de loin, je ne lui voyais guère. Beaucoup de ruines, que les Marocains entretiennent grâce aux sous de l'UNESCO. L'agadir, construit au sommet du mont, a, lui, été entièrement refait, ce qui permet d'aller voir à l'intérieur les quelques chambres où étaient conservés le fourrage et le grain. Avant d'y accéder, il faut passer une muraille, exclusivement consacrée à la protection du grenier. Avant, il faut traverser l'oued sur des sacs de sable où des enfants cherchent à gratter des dirhams en te tenant la main. Puis, en entrant, tu en lâches dix à de jeunes garçons aimables parce que la porte la plus évidente, celle que tu passes, ouvre sur une Kasbah privée. Quelques objets anciens sont exposés dans cette maison, une sorte de « musée » improvisé par les propriétaires. Puis tu mets les pieds dans un entrelacs de ruelles bordées de murs ocres, dont certains ressemblent à ces châteaux de sable au soleil couchant, quand à force de sécher, ils s'écroulent. Peu à peu, visiteur, tu t'élèves, et se révèle, à travers les trouées, au-dessus des toits, le beau panorama de ce coin du Haut-Atlas, entre les montagnes enneigées, au loin, tel un décor peint, irréel, les collines brûlées, tout autour, et, dans la plaine, paresseux, l'oued salé offre le miracle d'une végétation généreuse, oliviers, amandiers, palmiers sous le vent.

vendredi 16 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (44)

Vingt-sixième jour.
Réveil à 18 h 30. Pas une petite sieste. Simon, le beau-frère, était déçu, paraît-il, ils sont tous trois allé frapper à ma porte et moi je dormais. J'en avais besoin. Je le sentais dans mes jambes, dans une lassitude. Je suis allé sur la terrasse regarder les changements de couleurs au couchant. Le vent froid m'a fait frissonné. Me voilà dans le salon, Simon toujours aussi prévenant et francophile, nous nous présentons et je suis très heureux de l'entendre me raconter sa vie. Une salade marocaine divine, un tajine aux légumes de cuisine familiale, bonheur familial inside, puis deux oranges à la cannelle... et le retour du beau-frère qui me propose de faire le thé, ce que j'accepte avec un reste de gourmandise. Je suis repu comme jamais depuis que je voyage, mais non point de récits, et celui de Simon m'intéresse, Simon qui a une histoire assez extraordinaire, comme il le dit lui-même, puisqu'il a réalisé le rêve de tant de Marocains en côtoyant le roi. Avant de chuter au plus bas de l'échelle sociale, sans ressource, errant et alcoolique, à Casa.

Vingt-septième jour
Cet endroit me revigore. La maison est en construction depuis neuf ans, pourtant, faite dans les règles de l'art berbère, elle me paraît saine et je m'y sens bien. Je n'arrête pas de penser à la maison de Coraline, à Vega, à cause de ce patio où les femmes rejouent une scène que mon amie a probablement vécue enfant, ces grandes lessives joyeuses de printemps, et les enfants qui tournent autour. Une petite fille, celle des propriétaires, avec sa queue de cheval dansante, son espièglerie, son énergie, et aussi sa gentillesse, me font penser à elle. C'est drôle, cette façon, ce désir d'embrasser tout de Coraline, la gamine, la jeune fille que j'ai connue, la femme que je connais, celle qu'elle devient, la vieille. Je suis sûr que Coraline ressemblait, enfant, à ce sautillant petit bouton de rose sauvage. Pour la première fois, je ne ferme pas à clefs ma chambre, cela ne me semble pas nécessaire. Le symbole a son effet, je me détends.

lundi 12 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (43)

Vingt-sixième jour
Je n'ai pas mangé hier soir. Arrivé trop tard à Ouarzazate. J'ai engagé la conversation avec un couple de niçois, puis deux québècoises très jolies, dans le car. Sans succès, aimables, sans plus. Aimables, non, disons polis. Je cherchais un peu de soutien, peut-être un renseignement, puisque j'arrivais à Ouarzazate sans réservation, sans savoir où j'allais dormir. Je ne me faisais pas une trop grande frayeur de cette incertitude, mais je me sentais plus tranquille en compagnie de ce couple, lorsque nous avons pris le taxi, puis chacun sa chambre dans le même hôtel. Ils peuvent bien s'en aller, ce matin, sans un au revoir, ils vont louer une auto et parcourir la vallée du Drâa, tous les deux. En fait, ces quatre personnes étaient toutes enfermées dans leur cercle amical ou amoureux, et d'autant plus qu'elles arrivaient au Maroc et n'avaient pas encore cet élan de partage que souvent nous avons au moment de rentrer. Me voilà donc seul à Ouarzazate, dans un hôtel très confortable où j'ai pourtant mal dormi et, en revanche, très bien petit déjeuné. Je goûte au calme de la terrasse, malgré ce gros con qui est du genre à ne jamais penser qu'une voiture, et surtout sa voiture, puisse être une nuisance, et qui laisse tourner son moteur à 4 mètres de moi. Ah il s'en va. Je retrouve la rue presque vide, j'entends au loin des jeux d'enfants, cela vient du côté du minaret. La lumière me baise les pieds et ce baiser me réchauffe l'âme.

Vingt-sixième jour
Il fallait que je parvienne à m'arracher encore une fois. Ce n'est pas que j'aie pu tisser quelque lien à Ouarzazate, c'est même tout le contraire. Mais l'atmosphère de cet hôtel, aussi mortifère et reposant qu'un hôtel de province, sans le moindre intérêt, donc, aurait pu me garder, le temps d'une sieste de 24 heures. La résolution que j'avais de découvrir Aït Benhaddou, d'aller y trouver, justement, un endroit pour le repos du corps et surtout de l'esprit, a été plus forte. La vague sensation de m'être fait avoir par le taxi ne réussit pas à me gâcher le plaisir de la route, sublime, depuis la sortie de Ouarzazate. Un paysage de désert caillouteux, des collines rouges telles des vagues soulevant une mer de pierres. Les ergs de dunes plus au sud ne sont peut-être que les mêmes collines concassées, profilées par le vent ? Le surgissement de l'oued Ouarzazate au détour d'une montagne offre le spectacle merveilleux de ce miroir fragile tendu vers un ciel sans nuage, et celui des palmiers, doigts de pied dans l'eau, des champs cultivés, à proximité. La longue route rongée de part et d'autre par le désert s'allonge jusqu'à un sursaut de montagne, que domine un agadir, un grenier, construit comme une citadelle. D'ici, le vieux visage d'Aït Benhaddou ne montre guère son âge, même s'il ne peut être que celui d'un ancêtre. L'UNESCO protège et répare ce village en pisé rouge depuis trois ans. Arrivé à Aït Benhaddou, comme me l'avait suggéré Jean-Marc, l'assureur rencontré à l'Omnia, le restaurant de Méknès, j'ai demandé « l'Allemand ». Un homme du coin, déguisé en homme du désert, sans doute un rabbateur, m'a amené jusqu'à la maison où je me suis tout de suite installé. Il m'a suffit de poser mes sacs à dos sur un lit et j'étais comme chez moi. Le patron, qui est en fait Autrichien, m'a présenté sa demeure, m'a raconté quelques éléments de sa vie, pendant que les femmes, dans le patio, les pieds nus dans des bassines, ou les mains, penchées dessus, piétinaient, malaxaient, frottaient des couvertures berbères gorgées d'eau savonneuse, dans un rayon de soleil et de bonne humeur. J'ai laissé la porte de ma chambre grande ouverte, je n'avais encore rien déballé. La femme de la maison, une personne au regard franc et gentil, nous a amené le thé, dont on m'avait auparavant demandé le taux de sucre. Et la discussion s'est prolongée à trois, avec le beau-frère. Un homme bedonnant au français parfait, très content d'échanger dans notre langue commune, et moi d'échanger avec lui. Il s'est absenté pour manger, c'était le début d'après midi. Je suis alors allé faire connaissance avec ma chambre, j'ai écrit, et me suis endormi au milieu d'une.