lundi 16 décembre 2013
Ventre en tête
C'est que toute chose contient sa part de silence, tout objet sa part de vide. Le monde est-il double, ventre et estomac, coquilles, vent dedans, bruit et silence de la merde.
jeudi 5 décembre 2013
Salim, chez moi
Il y a toujours, chez les homosexuels,
une population en rupture, des garçons qui irriguent les nuits des autres garçons. Ils sont derrière la porte, avec leur désir impérieux. Et ce mouvement appelé
"Manif pour tous" avait pour objet de
marginaliser encore, et de culpabiliser, de salir, s'il était besoin, ce désir.
Pour ces garçons (en particulier),
avoir une pratique sexuelle est souvent vécu comme une sorte de
suicide social, une honte infranchissable pour certain, un défi
radical à toute la société (et à la famille) pour d'autres, voire
une vengeance - qui s'exprime d'abord sur soi-même. J'ai fait la
mal-rencontre avec le mâle bafoué, la mauvaise particule dans le flux, Salim. Il avait une façon de
faire l'amour... comme s'il cherchait à se délivrer de son
cauchemar. Je sais qu'il se droguait, l'odeur de sa peau se mêlait à
son haleine de nitrite d'amyl, et il exigeait le noir absolu dans la
chambre. Il était gentil. Ma capote a lâché à notre deuxième
rencontre, je ne m'en suis rendu compte qu'en sortant de lui, dans
cette sorte d'exténuation qui s'annonce, j'ai conçu dans son cul ma
petite inquiétude. Je l'ai revu peut-être quinze fois, sans capote,
mon abandon violent multipliait le plaisir. Je me plaçais dans cet
espoir médusant de le garder pour la nuit, je voulais, pour lui,
former chez moi, sur le radeau de mon lit défait, un refuge.
Il
avait la syphilis. Les médecins, me voyant décliner dangereusement,
ont fini par découvrir que je l'avais à mon tour. Il m'a donné
aussi quelques autres petites infections, dont on se débarrasse sans
peine, et un diabète, depuis, s'est déclaré. Le diabète pourrait
bien être lié, si j'en crois une littérature datée de 1920,
trouvée sur la toile, son apparition, pas sa guérison. Bien
entendu, le SIDA aurait bien pu faire partie du bouquet, c'est en
tous cas la conviction des médecins. J'ai tellement envie de revoir Salim, d'éteindre à nouveau toute lumière, d'entendre ses
vêtements tomber un à un, sentir son souffle, la masse compacte de
son corps reposant sur le mien, son désir tremblant, sa fierté, de me donner du plaisir.
Comme lorsqu'il m'a embrassé.
Salim, Salim, si tu vis.
vendredi 8 novembre 2013
Homophobie, Saison 44932
La Russie c'est l'Europe...
Saurons-nous accueillir les homosexuels russes ?
Saurons-nous accueillir les homosexuels russes ?
vendredi 21 juin 2013
vendredi 31 mai 2013
vendredi 22 mars 2013
Mes carnets du Maroc (64 et fin)
Trente-huitième jour
Retour. Réveil 5 h 20. J'avais
tellement été nerveux la veille, je n'ai guère dormi. Mes
sonneries, réglées à 5 h 30, n'auront pas le temps de retentir. Je
pisse dans le lavabo de la chambre 12, au Central Palace Hotel. Je
regarde la pièce une dernière fois, que je n'oublie rien. Ce n'est
pas un endroit bien chaleureux, mais j'y étais bien. Je ne remarque
pas mon chapeau de paille espagnol, sur une patère. Et je file
réveiller le réceptionniste.
Trente-huitième jour
Je me sens plutôt rassuré de rentrer.
A part mon chapeau, que j'ai si peu mis sur la tête, qui a gondolé
sous la rincée, à Tanger, pris le soleil sur la route d'Aït Benhaddou... Mon chapeau que je portais dans mon sac, il en était tout
biscornu, troué, c'était devenu le mien... À part mon chapeau que
je laisse sans regret telle une trace de moi, de mon histoire au
Maroc, et surtout de sa fin, je n'oublie rien.
lundi 18 mars 2013
Mes carnets du Maroc (63)
Trente-septième jour
Jeudi 3 mai 2012. Retour à Marrakech.
Remonté, décidé à ne pas me laisser amadoué par un emmerdeur
quelconque, et à commencer par un taxi. « Taxi ? »,
me demande-t-on alors que je n'ai pas encore la main sur mon grand
sac à dos. Je prends tout mon temps, je réponds, oui, 15 dh pour la
médina. Le mec fait mine de me rire au nez, mais mon regard
l'intimide. Pas grave, j'y vais à pieds, lui-dis-je, et là il prend
à témoin un groupe de chauffeurs qui joue son rôle comme un seul
enfoiré, non 15 dh, ce n'est vraiment pas assez. Pas de souci, j'y
vais à pieds. « 30 dh, au moins », tente le chauffeur.
« Si vous ne voulez pas travailler, c'est votre affaire »,
et j'y vais à pieds, comme promis. Le chauffeur me rattrape : « 20
dh ? ». Je suis presque incrédule, il me propose le prix
que je voulais. C'est d'accord, lui dis-je. Après, pendant le
voyage, c'est drôle, il me demande l'autorisation de prendre
plusieurs personnes à bord, ce que j'accepte, dans ma grande bonté.
Ces connards-là, quand tu les traites comme ils le méritent, je veux
dire mal, après, ils sont tout miel.
20 dh, c'est à peu près deux fois ce qu'il exigerait d'un local,
donc, bon, il n'est pas mécontent. Il me dépose à la gare de taxis
du Square Foucaud, où j'ai tous mes repères. Je vais directement au
Central Palace, où la femme de la réception m'accueille avec de
charmants sourires, notre complicité est retrouvée dès les premiers
salam aleikum, aw aleikum salam. « Je vais vous trouver une
belle chambre » me dit-elle. Et elle ne ment pas.
Trente-septième jour
Je me perds dans la médina et je
trouve le moment agréable. J'évite les souks à touristes et j'ai
enfin le sentiment d'être au cœur de la ville rouge. Je reconnais
la nature des commerces, petites épiceries, ventes de crêpes
marocaines (dont j'ai l'impression qu'elles changent de nom selon les
régions) et de beignets plongés dans le sucre, pain, chariots de
fruits, atelier de mécanique, lieu crucial évidemment pour un
peuple qui roule en véhicules des années 70 ou 80, voitures et
mobylettes. D'ailleurs les mobylettes, ici aussi bien qu'à Casa,
sont un fléau pour le piéton, les Marrakchis roulent sans vraiment
faire gaffe, avec pour seule précaution le klaxon. Partout ou tu
entends le bourdon d'une brêle, barre-toi vite, range tes fesses et
cesse, à l'instant, de mettre le nez en l'air. Dans le dédale de la
ville médiévale, un jeune, mais tout jeune garçon, m'aborde, « la
place ? » Je réponds que je ne veux pas de guide et il me
colle quand-même au train. « Pas là, fermé », le
morpion connait son rôle. J'insiste alors en faisant le signe du
flouze avec les doigts. Walou, tu comprends ? Je suis sec, mais
je tiens compte de ses dix ou onze ans. Et ça marche, il me lâche.
Un jeune Marocain qui range son scooter en face de sa porte me
sourit : « La place, c'est à droite, encore à
droite, et ensuite, toujours vers la droite », « Choukrane »,
et tout se passe bien, la rumeur de Jemaa El Fna, de toutes façons, me
guide jusqu'à son cœur battant. Les Gnaouas se donnent et
rassemblent autour d'eux les passants, les restaurants éphémères
ont installés leurs tables recouvertes de papier blanc, le stand
d'Hassan ne brûle pas encore. Les impérieuses clarinettes des
charmeurs de serpents retentissent tandis que les marchands de fruits
secs cherchent inlassablement à me vendre des dattes ou des
abricots. Finalement, je retourne au restaurant que je fréquentais
il y a deux semaines, harira, couscous, valeurs sûres pour ce
dernier repas au soleil couchant du Maroc. Trois enfants très
jeunes, 4, 5 et 6 ans je pense, viennent alors à ma table, et me
harcèlent, pour quelques dirhams. La petite de 5 ans était couvée
par le regard incitatif et protecteur de son grand frère, celui qui
avait 6 ans, peut-être 7, en s'exerçant au regard d'enfant triste.
J'ai dû lui dire non, mais, cette fois, en la regardant bien, avec
assurance et, je crois, une bienveillance ostensible, dont elle a cru
longtemps pouvoir tirer profit. Un autre môme, celui-là ne devait
pas avoir 4 ans, mignon comme, comme, je ne sais pas moi, mignon,
exercé, lui aussi, aux yeux tristes. Je l'ai regardé de façon
presque obsessionnelle, avec beaucoup de fermeté, autant d'amour
qu'il m'était possible. Et l'enfant est resté, sans plus jamais
rien mendier. A me regarder, à baisser les yeux, puis à me regarder
à nouveau. Qu'il est beau cet enfant. Voilà, nous nous sommes
regardés. Je n'avais aucune compassion, ce n'était pas l'esprit.
L'enfant-instant était le mien. Je n'avais pourtant aucun droit de
lui interdire de faire la manche, ni les moyens de l'amener à
l'école. Je suis parti déchiré, impuissant, comment être un
adulte, à ce moment-là.
vendredi 8 mars 2013
Mes carnets du Maroc (62)
Trente-septième jour
Journée tournée vers le départ.
Quitter Essaouira me fut presque facile. Je me suis matin laissé
gagner par la mélancolie de la ville. 8 h 30 environ. J'ai sourit
une dernière fois au petit barbier, des gestes lointains mais amicaux, un
clin d’œil, c'est toute une rencontre. Je suis allé traîner mes
souliers dans la terre mise à nue depuis un an pour d'interminables
et peu probants travaux de rénovation du système d'égouts, j'ai
admiré dans la poussière, non loin du souk des poissons, un petit
requin, dos à l'air, que ne se disputait aucun chat. Le boulanger
livrait par dizaines ses galettes de pain chaud, un marchand de tapis
sortait de son lit et, déjà, sur la plage à marée basse, une
vingtaine d'adolescents jouaient au football. Un à un, de gros
chalutiers manœuvraient à l'entrée du port, harcelé, comme il se
doit, par des nuées de mouettes et d'albatros. D'autres de ces
oiseaux des mers, en nombre, se reposaient encore sur le sable sec et
se disputaient un coquillage ou une crevette oubliée par la marée.
Posant mes fesses sur un fauteuil du café terrasse le Chalet, mes
pieds sur le muret qui me séparait de la plage, je n'ai pas lu, ni
écrit. J'ai regardé. Me suis souvenu que je n'aurai pas tout de
suite l'occasion de me perdre dans la ligne pleine et prometteuse de
l'horizon. J'ai mangé un petit pain, un café cassé, un jeune
Espagnol en tong et sa copine devisaient, il riait, nous avons
échangé une complicité, je n'ai guère de doute à l'égard de ses goûts, ce garçon. En
rentrant par la place Moulay Hassan presque vide, et pour cela
lumineuse tel un soleil, un ventre nu craquait une sieste sur un
banc, le pullover sur les yeux. Un travailleur, de l'ombre, s'y
réfugiait le temps d'une pause. Un vendeur de space cake accourait,
avec un geste soigneux pour le plastique transparent qui protège son
plateau. Ouf, sans m'aborder. Une dizaine de Marocains, peut-être
plus, me reconnaissaient, dans la rue et me saluaient avec bonne
humeur. Très vite, autour de mon hôtel, je disais bonjour aux
voisins. Le joli Jamel, guitariste, si doux ; la jeune femme
gentille et souriante, avec ses rectangles blancs dans la bouche, en
vitrine, mais dont je n'ai jamais osé demander le nom ;
Mohammed, qui était un peu triste de ne rien me vendre, j'aurai
peut-être dû le soutenir un peu, lui dont le pied gauche se
retourne dangereusement, et dont les dents pourries sortent jusqu'à
la racine ; le musicien, qui tient une échoppe d'instruments,
il joue du oud, je crois, et fort bien, j'ai oublié son nom ;
bien sûr, Saïd, dont j'ai assuré les revenus pour un mois,
peut-être ; et tous les voisins qui avaient finis par
s'habituer à me voir papoter dans la rue, beaucoup semblaient
prendre plaisir à me saluer en français, tandis que je faisais,
moi, l'effort de répondre en arabe. J'ai donc croisé quelques
bonjours avant de partir, et le premier, je crois, d'un ouvrier d'un
chantier à côté de l'échoppe de Saïd. Il se promène à vélo,
quelque soit la distance, cette fois, son beau visage, jeune, et
brun, était moucheté de peinture blanche. Une paire de fesses qui
m'a fait penser à JB. JB, la pensée de JB est revenue s'installer,
alors que je ne pensais plus à lui. Il a suffit d'un signe de sa
part, il a créé un profil facebook, j'ai l'impression, juste pour pouvoir communiquer avec moi. Peu avant 15 h, je suis allé à Baâb Marrakech, chargé de
mes deux sacs à dos : le gros pour les soutes, le petit pour
l'habitacle.
mercredi 20 février 2013
lundi 18 février 2013
Mes carnets du Maroc (61)
Trente-sixième jour
Mercredi. Dernier jour tranquille à
Essaouira. Demain, je file à Marrakech. Je me lève avec un bon mal
de crâne. Évidemment, les échéances de départ provoquent malgré
moi des contractions internes, crispations de tripes. L'eau a été
rétablie dans l'hôtel, pendant la nuit. Je ne me suis pas lavé
depuis trois jours. À part aux endroits stratégiques. Aujourd'hui
j'ai prévu hammam et massage. Achat d'un billet Supratour pour
Marrakech. Achat de deux trois trucs à Saïd.
Trente-sixième jour
J'ai rempli chaque mission avec succès.
Coût estimé : trop. Mais je dois encore acheter de l'huile
d'argan. Quelques litres.
Trente-sixième jour
Nous avons échangé nos adresses avec
Saïd. Auparavant, il m'avait emmené chez un beau-frère qui tient,
entre autres, un magasin d’Épices dans le souk, sous les arches
d'un ancien caravansérail et à quelques mètres des étals de
poissons. Ce Monsieur nous a servit le thé, m'a annoncé les prix,
ça a fait gloups dans ma gorge. J'ai donc dû réviser mes
prétentions, j'ai pris quatre demi-litres, dans quatre bouteilles
plastiques d'eau minérale. Mais c'est de la première pression à
froid, garantie par Saïd, première qualité. Nous sommes alors allé
faire deux trois courses pour le café amazigh de l'admirable Hichem,
qui nous a donc cuisiné des brochettes de kefta et des tomates
grillées. Je n'aurais d'ailleurs pas dû me gaver comme je l'ai
fait. C'était délicieux, mais j'ai l'organisme crispé, je ne lâche
rien, et mon expérience de hammam et de massage californien était
agréable. Deux jeunes femmes très jolies, sans pitié, se sont occupées de mon cas. Évidemment,
si Hichem avait été masseur, peut-être que. Mais bon. 500 dh, pas donné,
quand-même, dans cette ambiance entre la maison close et le salon de
coiffeur, où je finis en lapant un thé brûlant. La mère
maquerelle, encore jeune et pas si bien coiffée que ça, est venu papoter quelques minutes, histoire
de mériter son salaire. "Les filles d'ici ont le sens du massage, elles ont des mains", me dit-elle, "c'est une tradition". J'explose mon budget en une journée de
dépenses, j'aurais pu rester deux semaines de plus avec tout ça. Mais je dois rentrer, maintenant. Et je me dis qu'il fallait bien que je lâche ma thune dans
ce pays qui a besoin de blé.
Bon, objectif, demain avant de partir
acheter de la mahia Ghazella ou Rousso (sur les conseils de Saïd,
qui rejoignent ceux d'Andy)(la mahia c'est l'eau de vie de figue du coin, je rappelle). Départ estimé direction
Marrakech, 15 h 15. Ensuite, eh bien, ce sera le retour à Arnakech, les taxis qui
cherchent à te flouer, les hôtels qui refusent de négocier, et
Jemaa El-Fna, une réjouissante dernière fois. Je vais flipper pour
mon avion, le lendemain, fermeture des portes à 8 h 20, donc, il me
faudra trouver un grand taxi pas trop gourmand avant 7 h. Tous mes
derniers dirhams pourraient passer dans cette ultime course, à moins
que je ne réussisse à prendre un bus, square Foucault, ce qui est
compliqué en raison d'une absence totale de renseignement, le numéro
du bus, l'horaire, je ne sais même pas où trouver les informations.
vendredi 15 février 2013
Mes carnets du Maroc (60)
Trente-cinquième jour
Premier mai. Un syndicat a installé un
podium place Moulay Hassan, à l'entrée de la vieille médina. Des
chansons saucissonnent en boucle, à plein tube. Tremblants sur les
enceintes et trônant en plein centre de la scène, deux
photographies encadrées, sous verre et sur des chevalets. Un des
personnages, en noir et blanc, est probablement le fondateur du
syndicat. L'autre est le roi.des drapeaux du Marc flottent de part et
d'autre. Il est vrai qu'ils sont rouges. Et des flics en tenue de
propre papillonnent, plus nombreux que les ouvriers, et même que les
touristes. Les ritournelles treès parti Communiste des années 70
ont dû faire fuir tout le monde. La rumeur de ce refrain, que je
perçois depuis l'endroit où j'écris, devrait suffire à me la
mettre dans la tête pour la journée.
Trente-cinquième jour
Ballade jusqu'au bout de la plage. Un
No man's land où le sable fin se déguise en désert de dune. Un
Oued s'y forme, qui change de courant au gré des marées, remonte
jusqu'à un pont, menant à un village, Diabat, sur sa colline. Des
pas de dromadaires et de chevaux dans le sable mouillé, démontrent
sans doute que l'endroit est fréquenté par les hommes bleus, les
Touaregs, de passage après de longues traversées du Sahara. Non je
déconne. Cela démontre
juste que les touristes que tu croises
ici sont le plus souvent à dos de cheval ou de dromadaire. Pas
l'ombre d'une méharée par ici, et d'ailleurs, peu d'ombre. Un
magnifique garçon ultra bronzé, me poursuit un peu. « Jolie
Jaquette » m'avait-il abordé, dans la ville. Puis, il me
repère sur la plage, « eh ! Tu me reconnais ? ».
Il loue des fauteuils en plastique, il me rassure, viens me voir,
c'est gratuit pour toi, on discutera. Et moi je n'ai pas envie de
discuter. J'étais au début de ma ballade, je lui dis d'accord,
peut-être, au retour, et ce faisant je ne pouvais m'empêcher
d'admirer son torse glabre et noir. J'ai continué de fantasmer ce
garçon pendant la marche et au retour, en m'approchant des fauteuils
verts dont il a la charge, j'avais la gaule. Mais je ne tenais pas
plus que ça à subir de nouvelles avanies, et je l'aperçois de dos,
draguant deux Européennes. Je passe mon chemin.
Trente-cinquième jour
J'arrive au niveau du port juste au
moment des défilés. D'abord celui de L'UMT (Union Marocaine des
Travailleurs), qui traîne derrière lui une centaine de militants
sous la bannière du PC. L'ambiance est revendicative, sans violence,
plutôt morose en fait, policiers et militaires disposés de part et
d'autre. C'est le syndicat majoritaire chez les pêcheurs. Ils ont
d'ailleurs un local sur le parking du port, où ils avaient élevé
une tribune. Je n'y ai vu personne prendre la parole, mais ils
donnaient à plein une sono à peine croyable, des airs d'accordéon grésillant dans les transistors, des
interventions enregistrées tirées
d'archives du PCF des années 50, on aurait dit que les 78 tours avaient repris du service. Un rassemblement plus populaire, en tout état de cause, que le défilé qui venait juste d'un peu plus loin, de la place Moulay Hassan, celui de l'UGTM (Union Générale des
Travailleurs Marocains). Une grande blague, avec le portrait du roi
en tête de cortège, et dedans des gens bien proprets, coiffés de
casquettes blanches. Rappelons que le roi est un des plus gros
employeurs du pays. Un air de ballade dominicale, ce cortège, pas
loin de ce qu'avait voulu le maréchal Pétain lorsqu'en rendant ce
jour chômé, il avait voulu récupérer l'événement. Enfin, même si les apparences ne
jouent pas en faveur de l'UGTM, n'accusons personne ici de pétainisme.
vendredi 1 février 2013
mercredi 30 janvier 2013
Mes carnets du Maroc (59)
Trente-quatrième jour
Retour sur la journée de lundi. Rien
de révolutionnaire, sauf qu'à regarder de plus près, ce lundi
tranquille me montre une petite évolution de ma façon d'être,
quelque chose que je dois sans doute au voyage. Ce matin, sur la
terrasse de l'hôtel, un couple de Polonais, qui n'est finalement pas
resté, j'ai entamé une conversation agréable, en anglais, avec la
sémillante jeune femme, tandis que son mec disputait ferme les prix
avec le jeune réceptionniste – un que je ne connaissais pas. J'ai
ensuite passé un moment avec Mohammed, le marqueteur à la
mâchoire qui sort de sa bouche, avec des chicots pourris que c'est
un bonheur de le voir sourire toute la journée. Il fait deux dessins
différents sur des morceaux de loupe de thuya, dans lesquels il
insère des fils d'aluminium : « moins cher que l'argent,
et ça oxyde pas », me dit-il, plus à l'aise avec le français
que je ne l'avais soupçonné. J'ai l'impression d'un travail soigné,
mais elles sont quand même bien moches ces petites boîtes rondes,
polies et brillantes, qui s'alignent sur les étagères du placard où
il bosse. Non loin, dans une des rues centrales de la médina, je me
suis laissé aller à répondre à un jeune commerçant complètement
bourré. Très efféminé, gracile, du khôl sous les yeux. Yacine.
Il me raconte qu'il est du sud, de Zagora. Il est ici pour vendre des
objets pendant la saison touristique. Qu'ensuite il rentrera au bled,
dans sa tribu. Les mecs ils doivent bien rigoler, tout de même.
Saïd, qui me croise en pleine conversation, me raconte ensuite la
vie de Yacine, qui d'ailleurs ne savait plus très bien, au moment de se quitter, s'il s'était
présenté sous ce nom, ou sous celui de sa boutique, Mohammed...
Ce garçon, Yacine, donc, est bien né dans le sud, mais dans la région
immédiate de Marrakech. Et il vit à Essaouira toute l'année, où il
est entretenu à distance par une Française amoureuse. Il a
vingt-quatre ans, il est bourré à la mahia tous les jours. Il
semble que l'alcool soit un problème virulent dans la jeunesse
marocaine et ce n'est vraiment pas la première fois que je m'en rends compte. À l'hôtel, j'ai débuté aussi une conversation avec un
Turc de Paris, nous avions fait presque le même voyage, mais pas du
tout ouvert, méfiant, il ne m'a adressé la parole que contraint par
la situation. Sûrement un espion turc qui craignait que je ne le
découvre. Il devait avoir les boules de tomber sur un type comme
moi, c'est évident que je lui aurais tiré les vers du nez. Quel connard. En couple, donc fermé. Bon, quant à moi, je lui
avais adressé la parole, ce qui n'est pas dans mes
habitudes, alors je suis fier. Mon voisin de chambre, un Allemand, écrivait des impressions dans un carnet, sur la terrasse, hier soir,
enfin, je veux dire, ce lundi soir. Nous avons communiqué en allemand, j'adore, mais j'ai quand même beaucoup de mal, il faudrait vivre un temps à Berlin pour parler couramment.
(Retour au) Trente-cinquième jour
Je n'ai pas changé de caractère, je
crois que je vis les événements, ou plutôt cette suite de
non-événements qu'est la fin de ce voyage, de façon plus
naturelle, plus habituelle. Ce qui est un des buts du voyage,
paradoxalement. S'étonner d'un endroit, se dépayser, avec pourtant
l'ambition de l'apprivoiser. Quand je quitte l'hôtel, matin, je
salue Kabir le gérant de nuit avec la brume du sommeil qui lui
voile les yeux, et non point le regard, j'offre un joyeux bonjour à
Kabir le menuisier, né, comme l'autre, le jour de l'Aïd, puis
Mohammed, qui n'est que sourire, Saïd, mon poteau, et aussi le
musicien qui joue si bien de l'Oud, et encore une jeune femme, quand
je l'aperçois sur le seuil de sa maison, charmante voisine voilée
de mon copain marchand de tapis.
samedi 26 janvier 2013
jeudi 24 janvier 2013
Mes carnets du Maroc (58)
Trente-quatrième jour
J'ai écrit un petit mot pour Martine
et Pascal. Mais qui sont donc ces gens. Deux Lyonnais, me dit-on. Qui
ont envoyé des objets à des jeunes hommes du désert. « Bonjour,
tu es Français ? De quelle tribu ? » Brahim et
Jamel, que je sois de Lyon, cela semble les éclater. « Comme
nos amis ! ». Martine et Pascal leur a envoyé des objets,
je ne sais quoi, peut-être des médicaments, ils cherchaient à les
remercier et ne savaient pas écrire. J'ai donc, sous la dictée de
Brahim, écrit, une lettre à ce couple de Lyonnais, pendant que le
très charmant garçon me déballait toute une partie de sa
marchandise. Oui de sa marchandise, au sens propre. Pendant que Jamel
faisait le thé. Très heureux de la lettre, ils m'invitent ensuite à
une fête, ils y joueront de la musique et boiront bière et mahia
jusqu'à plus soif. « J'aime beaucoup ton t-shirt, si tu veux
le troc ? » « Ou si tu as paracétamol ».
Alors pour les médicaments, j'ai promis de regarder, je dois en
avoir dans ma trousse de toilette. Pour la mahia, j'ai été tenté,
mais, Brahim, est-ce que je n'aurais pas la tentation de te sauter
dessus, sous l'effet désinhibant de l'alcool de figue locale. C'est
un risque que je ne veux pas prendre.
Trente-quatrième jour
Je n'arrive pas à lâcher ce petit
vendeur de plein de trucs, et notamment des tapis. Saïd est un bien
triste Monsieur, très seul, peu estimé, ce me semble, dans sa rue
et son quartier. Les touristes achètent parfois chez lui, mais
souvent, de son propre aveu, par compassion. Je suis d'ailleurs en
train de réfléchir à l'achat de deux ou trois tapis, ce qui me
mènerait un peu loin, au niveau des dépenses, mais voilà, je me
dis que je dois des petits cadeaux à ma mère, à ma soeur, et je me
verrais bien aussi employer un tapis pour tête de lit, chez moi,
pour me changer de ce mur froid (et moche). Pourtant, Saïd est plein
de ressources, vraiment pas bête, au courant à peu près de la
marche du monde, grâce à la télé, grâce à son sens du contact,
discret et amical. Un bonhomme, je crois, Saïd. Il m'emmène faire
des courses, les souks où il navigue sans la plus petite hésitation
– mais le contraire eu été surprenant, n'est-ce pas. Puis nous
passons dans son café berbère, plus animé que la dernière fois,
peuplé de vieux, de petits garçons et de jeunes hommes. Hichem, le
plus désirable de tous, et de très loin, est l'homme à tout faire,
ici, et par exemple, c'est à lui que Saïd confie nos courses.
Ensuite nous allons boire une bière, achetée dans un boui-boui
suragité. Un des rares à vendre de la l'alcool, probablement le
seul, en fait, à des kilomètres, et nous y allons au moment de la
cohue de fermeture. Des petits taxis larguent leur clientèle devant
la porte, un jeune homme costaud règle la queue devant le magasin,
sauf qu'à l'intérieur, c'est encore la guerre pour s'imposer et
commander. Saïd a cette force, il ne se fait pas remarquer, sitôt
entré, il se faufile et réussit à commander, deux pils. Que nous
allons siroter dans un jardin au pied du rempart, un endroit
sympathique et calme, envahi de poubelles. Nos canettes et sacs
plastiques vont d'ailleurs s'ajouter à ce grand n'importe quoi, Saïd
m'assurant que « quelqu'un va ramasser », ce qui n'est
pas le plus probable, mais je me satisfais de cette réponse. De
toute façon, je ne connais pas de poubelle à Essaouira, et même
nulle part au Maroc. Où suis-je tombé sur des poubelles publiques,
j'ai l'image de poubelles, quelque part... peut-être à Marrakech.
Je n'ai jamais su quoi faire de mes emballages, détritus, je me suis
fais des sacs plastiques que j'ai laissé, chaque fois, dans ma
chambre d'hôtel en partant. Avec Saïd, nous sommes donc retournés
au café berbère, ou nous avons bu un thé fumé, je n'aime
décidément pas, en attendant le tajine concocté par Hichem. Et ce
Tajine est sans doute le meilleur que j'ai mangé, à égalité avec
celui de Khadija. Un truc que j'ignorais, c'est que ce plat se
déguste sans couvert, tu ramasses la nourriture avec le pain, et
shloumpf, le tout dans la bouche. Patates, zitounes, poulet, oignons,
tomates persil, mélange d'épices signé de l'épicier du souk :
mélange poulet, puisque les épices, ici, ne sont pas des variables
à la disposition créative des cuistots, ils sont immuables et
maîtrisé à la perfection par les épiciers. Nous avons donc mangé
ici, en matant un film que j'avais déjà vu et que du coup j'ai
compris, une histoire de fin du monde avec Nicolas Cage. J'ai payé
20 dh à Hichem, 15 dh le poulet, le reste c'est Saïd, dans les 15
dh aussi. 50 dh pour deux, un tajine excellent et généreux, un thé,
et la vision merveilleuse du cuistot. Record battu, et d'assez loin.
Trente-cinquième jour
Mardi matin à Essaouira. Jeudi,
Marrakech, Vendredi, Lyon. Hier, au moment de se coucher, m'est venu
sans prévenir cette réflexion, « c'était un beau voyage ».
C'est une façon, je crois, de commencer la digestion. De chercher
une conclusion heureuse.
lundi 14 janvier 2013
Mes carnets du Maroc (57)
Trente-cinquième jour
Les jours défilent. J'ai eu plusieurs
fois le sentiment qu'ils se traînaient et puis, cette fois, ils
fuient. Place de l'Horloge, à l'ombre d'un énorme caoutchouc.
Aujourd'hui je pense à Hadrien C, ce n'est pas normal, je ne
devrais pas. Il y a quelques jours, un inconnu a demandé à être
mon « ami » sur Facebook. J'ai accepté en pensant
bizarrement qu'il devait s'agir du garçon rencontré à Tanger.
Je regarde le profil une fois que j'ai
accepté l'invitation. Je me rends compte très vite que ce profil
vient d'être créé et que les deux ou trois actions de celui qui se
cache derrière sont à l'évidence signées Hadrien C. Je lui ai mis
un vent, le voilà qui revient avec le printemps. Et aujourd'hui je
pense à sa présence physique, qui me manque. Un très joli
spécimen, dont l'aura me captiva sur la plage, excitant mon
imagination, soudain me parut sans intérêt, fade, en comparaison
d'Hadrien C, dont l'idée s'imposa, crue telle une image, aussi
brutale qu'un souvenir, bandante et sublime comme son cul. « Les
sentiments c'est quelque chose de très profond » a-t-il bêtement répondu à un « statut »
Facebook. Les sentiments, ça sent racine, oserais-je, ça sent même
plutôt le moisi. Le désir, qui me semblait si lointain, soudain
lance à nouveau ses hyphes dans ma pensée, dans mon ventre. Dans ma
pansée. Panser à Hadrien C., il y a quelque chose en moi qui
branle, panser à Hadrien C nu, ça s'écroule. Toute construction
interne se délite, comme si tout ne pouvait tenir ensemble que si je
fais l'amour à Hadrien C.
vendredi 11 janvier 2013
mardi 8 janvier 2013
lundi 7 janvier 2013
Mes carnets du Maroc (56)
Trente-quatrième jour
Pas de motivation, aujourd'hui, surtout
que j'ai le crâne chauve mouillé par une belle averse. Un moment à
regarder des jeunes footballeurs sur la plage, deux ou trois moments
cocasses. Le mec que tout le monde interpelait, « Oh Aziz ! »,
« Aziz, Aziz ! », je peux pas dire, ça me collait
le sourire. Le chien qui se balade et qui s'arrête le temps d'un
pipi sur la cage, où sont posés les vêtements des garçons,
pendant qu'ils se focalisent sur l'action. Le type qui enlève sa
chasuble, puis qui joue une phase de jeu avec son vêtement dans la
main. Puis il enlève son tricot de corps, découvrant un torse fin
et nerveux, et soudain le ballon lui revient, il fonce vers le but,
balle au pied, la chasuble dans une main, le marcel dans l'autre. Des
musiciens sont passés alors que je sirotais mon thé, ils font la
tournée des terrasses, trois fois que je les entends, ces quatre
vieux, ils font le spectacle, toujours le même morceau mais ils ne
sont pas mauvais du tout. Et ensuite, la pluie.
Trente quatrième jour
La libido. C'est quelque chose que ce
truc. Mais qu'est-ce. Pourquoi soudain m'envahit-elle à nouveau.
Pourquoi je repère autour de moi tous ces petits culs perchés, les
poitrines des garçons, fenêtres ouvertes, les larges sourires ou
les airs sombres. Au Dar Saltane, la douceur d'apparence et la voix
du serveur me troublent. Hier, dans ce salon de thé caché des
touristes, sommet de glauque, le serveur d'une indicible et vulgaire
beauté, se chamaillait, avec de grands rires, et un ami à lui très
taquin. J'avais bien des difficultés à me concentrer sur mon copain
marchand de tapis, Saïd. Qui me paraît seul et triste. A l'image de
cet endroit sans fenêtre, qui recevait très mal la télévision,
sous une lumière blafarde et des murs en zellige bleue. Nous
sirotions un thé à la menthe sur des tables de plastique déjà
anciennes, branlantes, on aurait dit des imitations de table. Sept
dirhams les deux thés. Saïd veut me faire un tajine, ce soir.
Rendez-vous à 19 h, dans la rue de mon hôtel. Un peu peur du
poisson bourré d’arêtes, c'est leur truc, les Marocains, de
Tanger à Essaouira, le poisson grillé, ou en tajine, qu'ils mangent
avec les doigts. Ils s'en régalent, les mufles, et moi je ne peux
qu'admirer de loin, leur joie. Pour me venger, faudrait qu'ils me
voient gloutonner un bon saucisson de Lyon truffé, ou, ah, oui,
cette assiette de cochonnailles chaudes au comptoir du vin,
accompagné d'un bon verre de côte.
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