Trente-quatrième jour
J'ai écrit un petit mot pour Martine
et Pascal. Mais qui sont donc ces gens. Deux Lyonnais, me dit-on. Qui
ont envoyé des objets à des jeunes hommes du désert. « Bonjour,
tu es Français ? De quelle tribu ? » Brahim et
Jamel, que je sois de Lyon, cela semble les éclater. « Comme
nos amis ! ». Martine et Pascal leur a envoyé des objets,
je ne sais quoi, peut-être des médicaments, ils cherchaient à les
remercier et ne savaient pas écrire. J'ai donc, sous la dictée de
Brahim, écrit, une lettre à ce couple de Lyonnais, pendant que le
très charmant garçon me déballait toute une partie de sa
marchandise. Oui de sa marchandise, au sens propre. Pendant que Jamel
faisait le thé. Très heureux de la lettre, ils m'invitent ensuite à
une fête, ils y joueront de la musique et boiront bière et mahia
jusqu'à plus soif. « J'aime beaucoup ton t-shirt, si tu veux
le troc ? » « Ou si tu as paracétamol ».
Alors pour les médicaments, j'ai promis de regarder, je dois en
avoir dans ma trousse de toilette. Pour la mahia, j'ai été tenté,
mais, Brahim, est-ce que je n'aurais pas la tentation de te sauter
dessus, sous l'effet désinhibant de l'alcool de figue locale. C'est
un risque que je ne veux pas prendre.
Trente-quatrième jour
Je n'arrive pas à lâcher ce petit
vendeur de plein de trucs, et notamment des tapis. Saïd est un bien
triste Monsieur, très seul, peu estimé, ce me semble, dans sa rue
et son quartier. Les touristes achètent parfois chez lui, mais
souvent, de son propre aveu, par compassion. Je suis d'ailleurs en
train de réfléchir à l'achat de deux ou trois tapis, ce qui me
mènerait un peu loin, au niveau des dépenses, mais voilà, je me
dis que je dois des petits cadeaux à ma mère, à ma soeur, et je me
verrais bien aussi employer un tapis pour tête de lit, chez moi,
pour me changer de ce mur froid (et moche). Pourtant, Saïd est plein
de ressources, vraiment pas bête, au courant à peu près de la
marche du monde, grâce à la télé, grâce à son sens du contact,
discret et amical. Un bonhomme, je crois, Saïd. Il m'emmène faire
des courses, les souks où il navigue sans la plus petite hésitation
– mais le contraire eu été surprenant, n'est-ce pas. Puis nous
passons dans son café berbère, plus animé que la dernière fois,
peuplé de vieux, de petits garçons et de jeunes hommes. Hichem, le
plus désirable de tous, et de très loin, est l'homme à tout faire,
ici, et par exemple, c'est à lui que Saïd confie nos courses.
Ensuite nous allons boire une bière, achetée dans un boui-boui
suragité. Un des rares à vendre de la l'alcool, probablement le
seul, en fait, à des kilomètres, et nous y allons au moment de la
cohue de fermeture. Des petits taxis larguent leur clientèle devant
la porte, un jeune homme costaud règle la queue devant le magasin,
sauf qu'à l'intérieur, c'est encore la guerre pour s'imposer et
commander. Saïd a cette force, il ne se fait pas remarquer, sitôt
entré, il se faufile et réussit à commander, deux pils. Que nous
allons siroter dans un jardin au pied du rempart, un endroit
sympathique et calme, envahi de poubelles. Nos canettes et sacs
plastiques vont d'ailleurs s'ajouter à ce grand n'importe quoi, Saïd
m'assurant que « quelqu'un va ramasser », ce qui n'est
pas le plus probable, mais je me satisfais de cette réponse. De
toute façon, je ne connais pas de poubelle à Essaouira, et même
nulle part au Maroc. Où suis-je tombé sur des poubelles publiques,
j'ai l'image de poubelles, quelque part... peut-être à Marrakech.
Je n'ai jamais su quoi faire de mes emballages, détritus, je me suis
fais des sacs plastiques que j'ai laissé, chaque fois, dans ma
chambre d'hôtel en partant. Avec Saïd, nous sommes donc retournés
au café berbère, ou nous avons bu un thé fumé, je n'aime
décidément pas, en attendant le tajine concocté par Hichem. Et ce
Tajine est sans doute le meilleur que j'ai mangé, à égalité avec
celui de Khadija. Un truc que j'ignorais, c'est que ce plat se
déguste sans couvert, tu ramasses la nourriture avec le pain, et
shloumpf, le tout dans la bouche. Patates, zitounes, poulet, oignons,
tomates persil, mélange d'épices signé de l'épicier du souk :
mélange poulet, puisque les épices, ici, ne sont pas des variables
à la disposition créative des cuistots, ils sont immuables et
maîtrisé à la perfection par les épiciers. Nous avons donc mangé
ici, en matant un film que j'avais déjà vu et que du coup j'ai
compris, une histoire de fin du monde avec Nicolas Cage. J'ai payé
20 dh à Hichem, 15 dh le poulet, le reste c'est Saïd, dans les 15
dh aussi. 50 dh pour deux, un tajine excellent et généreux, un thé,
et la vision merveilleuse du cuistot. Record battu, et d'assez loin.
Trente-cinquième jour
Mardi matin à Essaouira. Jeudi,
Marrakech, Vendredi, Lyon. Hier, au moment de se coucher, m'est venu
sans prévenir cette réflexion, « c'était un beau voyage ».
C'est une façon, je crois, de commencer la digestion. De chercher
une conclusion heureuse.
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