mercredi 3 mars 2021

Lettre ouverte à Popôle

 C'est ma très grande faute


Je me demande si nous, les chômeurs, surtout ceux d'entre nous qui touchons l'allocation sociale de solidarité (ASS), à peu près 500 euros par mois, sommes tenus de posséder un téléphone en bon état.

Dans ce cas, il ne me reste plus qu'à faire mon mea culpa, je bats ma coulpe, c'est ma faute, c'est ma très grande faute, j'ai investi dans un téléphone d'occasion qui ne fonctionnait pas aussi bien qu'il en avait l'air. Et, donc, le Pôle Emploi, le 15 janvier 2021, en pleine pandémie mondiale du coronavirus, et concernant un homme de bientôt cinquante ans, vivant chichement de l'ASS et d'une allocation logement... le Pôle Emploi, vexé probablement de n'avoir à faire qu'avec des tricheurs invétérés, se permet de supprimer du jour au lendemain l'allocation de survie qu'elle lui versait jusqu'alors.


Il est vrai que l'incident s'est produit deux fois. Une première le 20 novembre 2020, à 9 h, je suis devant mon téléphone, sans me préoccuper de savoir si je vais entendre la sonnerie, puisqu’en toute logique, je vais l'entendre. Quand je constate que personne n'a appelé, je téléphone au 3949 (numéro unique national de l'institution). Ma conseillère étant en télétravail, bien sûr, il est hors de question de la joindre.

Par contre, celle-ci est prompte à me dénoncer. Je dois me fendre d'un courrier d'excuse, j'explique n'avoir pas reçu d'appel, et l'on décide de ne pas me sanctionner. En revanche, ma conseillère me convoque à nouveau pour un rendez-vous téléphonique le 22 décembre à 11h55.

Parfait. Je me poste devant mon téléphone, j'allume mon ordinateur. Et j'attends. J'attends. Je vérifie mon téléphone. Pas d'appel.

J'écris à ma conseillère à 12h34 que je n'ai pas reçu son coup de fil. J'espère ainsi prouver ma bonne foi. Je verrai par la suite que cela ne sera pas suffisant. Ce jour-là, je commence à penser que mon téléphone ne fonctionne pas, et je fais des tests le soir-même avec ma famille et des amis. En effet, je ne reçois qu'un appel sur trois ou quatre.

Bref : mon smart-phone n'est pas fiable, autant dire que je n'ai pas de téléphone ! C'est ma faute, c'est ma très grande faute ! Je n'aurais pas dû acheter un téléphone d'occasion, en août dernier ! Je comprends donc la méprise, et m'empresse d'envoyer par mèl un autre numéro à ma conseillère, c'était la période de Noël et j'étais chez ma mère, qui possède un téléphone fixe.

Mais c'était Noël pour tout le monde, et ma conseillère... ne m'a pas appelé. Je la cite, sibylline, dans un courriel : « cela n'a pas pu se faire ». Il y a un mot à la mode, en ce moment, dans l'entreprise, c'est l'agilité. Il n'y en a aucune pour les chômeurs.


Donc, on ne peut pas m'appeler, je ne peux pas non plus, aussi on me dénonce, une deuxième fois. C'est la procédure.


Le 22 janvier, je décide de me rendre sur place, à l'agence, malgré le virus, étant personne à risque. L'accueil y est chaleureux, le personnel attentif. On me propose un recours. Et, je le fais.


Par mèl, j'apprends que l'instance de recours se donne deux mois pour répondre. Deux mois. Comment allais-je m'arranger avec la propriétaire de mon petit appartement, en attendant ? J'habite un meublé de 30 m2 que je paye 500 euros par mois. Ce ne sont pas les affaires du Pôle Emploi, je l'ai compris.


Le 16 février, je reçois une réponse à mon recours, signée de Monsieur Sienko, directeur de Pôle Emploi Rhône sud-est :

« (…) les éléments apportés, notamment, vous évoquez un problème de téléphone par deux fois, ne constituent pas un motif légitime de nature à justifier le manquement « absence à rendez-vous » qui a été constaté ».

Je me permets de remarquer que ce Monsieur, sa secrétaire, n'ont pas osé écrire : « (…) problèmes de téléphone par deux fois ne constituent pas un motif légitime de nature à justifier « l'absence à rendez-vous téléphonique » … Peut-être, après tout, quelqu'un a-t-il eu un sursaut de bon sens, au dernier moment ? Bien que, in fine, le motif de la radiation précise bien qu'un problème technique de téléphone ne constitue pas une excuse légitime de nature à justifier une abscence à un rendez-vous téléphonique. C'est un sketch. Ou juste une façon de prendre une nouvelle fois les chômeurs, qui ont pourtant acquis des droits en travaillant, pour des imbéciles.


En tous cas, mon expérience avec cet établissement public se termine mal, alors qu'elle avait déjà bizarrement débuté.


Après quelques rendez-vous, jamais manqués, avec mon précédent conseiller, j'ai pu élaborer un nouveau projet professionnel. Ancien journaliste, j'avais adoré animer des ateliers d'écriture (avec des enfants en situation de fragilité dans le cadre d'un programme de réussite éducative). Mon conseiller me propose de devenir professeur. Je n'avais que le baccalauréat, diplôme insuffisant, et ce conseiller, qui mérite son titre ce jour-là, me parle d'une VAE, une Validation des Acquis de l'Expérience.


Que je trouve à Toulouse. Je m'inscris juste avant la grève de 2019, la formation est reportée de six mois. Je la réalise finalement jusqu'à obtenir mon diplôme de Master 2 de littérature en octobre 2020, avec la note de 18, mention très bien. Pôle Emploi me promet une participation au financement, et réitère cette promesse auprès de l'Université Jean Jaurès. Pour finir, je n'ai pas obtenu le moindre centime, sous prétexte que cette formation n'était pas à proprement parler une formation, c'était un « accompagnement ». Pardon, mais cette nuance est une lâcheté qui marque bien le mépris que l'on montre et de façon régulière, réitérée, aux chômeurs. J’ai dû alors faire face à ces frais qui devaient être pris en charge soit 1600 euros pour la formation (sic), auxquels s’ajoutaient les allers-retours à Toulouse : de l'argent que je n'avais pas, que j'ai emprunté à des familiers, et une dette que je traîne encore aujourd'hui.


Je suis en colère. Tout me semble organisé pour freiner ou empêcher le versement de subsides à ceux qui en ont le plus besoin, et même, in fine, quel qu’en soit le coût social, pour nous radier en nombre des listes de Pôle Emploi. Les instructions semblent claires, pas de pitié, alors que tout le monde sait qu'il y a une baisse très importante du nombre d’emplois à pourvoir, et une crise sanitaire qui complique encore le quotidien des personnes en difficulté sociale.


Quant à moi, brimade supplémentaire, j’ai dû demander avant l’heure le RSA à la caisse d'allocations familiales. Dois-je m'attendre à être humilié, suspecté, infantilisé à nouveau ?


Il faut absolument repenser l'aide sociale. Celle-ci ne doit pas être une occasion de harceler les pauvres, de les culpabiliser, de les laisser vivre dans la menace permanente d'une radiation, d'une suppression de leur maigre allocation. Cette vie traquée est intolérable.