mardi 26 mai 2009

J'ai 25 ans

Il faudrait avoir 25 ans. Toujours. Ne pas être malheureux comme à 25 ans, amoureux, pédé, gros, infoutu de rencontrer un garçon, non, il faudrait en aimer plein des garçons, faire du sport, suer, se durcir, avoir 25 ans et en profiter. J’étais malheureux à 25 ans alors que ce serait aujourd’hui. Vers mes 18 ans j’ai bien essayé de vaincre ma timidité en allant traîner du côté de la petite rue des Feuillants, en bas des pentes de la Croix Rousse, et aussi impasse Saint Polycarpes, si je me souviens bien. Je tournais autour de deux des trois ou quatre établissements gays répertoriés par le Petit Paumé, une association nichée en la plus malpropre des impasses, un restaurant discret, d’apparence assez chic mais dont les vitrines étaient occultées. Je guettais les garçons qui entraient et sortaient, qu’aurais-je pu faire d’autre ? Et je n’en voyais guère. Penaud, je rentrais chez ma mère. Je comprenais que le désir des garçons pouvait me perdre, qu’il me couperait de mes refuges, de mes amis, de ma famille, je comprenais que le désir m’obligerait à vivre caché, au fond des impasses, derrière les façades, dans les caves. J’aurais peut-être dû sonner, je suis allé jusqu’à la porte de l’ARIS – je crois que c’était l’ARIS – mais, coincée ou elle était, je n’ai pas eu confiance, et si c’était un bordel, ou une association SM ? J’ai donc pris la décision mortifère, à 18 ou 20 ans, de tout garder. Lorsque j’ai eu 25 ans, j’étais tout à fait installé dans mes habitudes, je ne pensais même plus à un coming out. Il faudrait avoir 25 ans aujourd’hui parce que je sais que je n’aurais pas dû laisser filer ainsi. Le deuil du père, la présence auprès de ma mère. Le roman inachevé, les émissions de radio, les responsabilités associatives, les vacances entre copains, le tour d’Europe. Les débuts bénévoles au journal. Mais qu’ai-je fait ensuite. Après 25 ans, je n’ai plus rien tenté. Je n’ai connu aucun garçon. J’ai aimé mes amis, j’ai joué à l’ordinateur, mais c’est que sans lui j’étais perdu. Et plutôt que de m’ouvrir et de m’offrir, je me suis enfermé. Je suffoquais. Je grossissais. Ne me lavais plus. Je me laissais mourir.

vendredi 22 mai 2009

L'ennemi c'est le mal

Puisque l’ANP (Agence Nationale de la Poésie) a supprimé sa vidéo – je me demande si c’est à cause de moi, ce serait un peu bête – voici un extrait du texte que son sympathique lecteur, donc, lisait :

« Nous sommes l’axe du bien. Nous faisons le bien et portons le bien au mal qui fait du mal au bien. Nous sommes l’axe du bien. Nous sommes l’axe du bien en lutte contre le mal. Contre l’axe du mal. L’axe du mal fait du mal où se trouve le bien. Nous sommes l’axe du bien en lutte contre le mal. L’axe du mal fait du mal au bien qui lutte contre le mal. Nous sommes les forces du bien pour le bien des forces du bien qui luttent afin de rétablir le bien de l’axe du mal. Nous sommes les forces du bien. Le mal de l’axe du mal fait mal au bien qui est le bien et nous devons lutter contre leur bien qui est le mal… »

Jean-Michel Espitallier, extrait de L’axe du bien, in le recueil En Guerre, 5€, 48 p, chez Inventaire Invention éditions.

°°°

J’ai envie de rapprocher ce texte d’une réflexion de Desproges, que j’avais utilisé d’ailleurs dans une dissertation sur la définition de l’agresseur en droit international :

« L’ennemi est idiot, il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui »

J’expliquais dans ce devoir (de première année) que la notion était suffisamment floue pour qu’elle soit, d’une part, inutile à la prévention des conflits et, ensuite, le prétexte à bien des horreurs (Hiroshima et Nagasaki par exemple). J’en concluais que c’était le vainqueur de la guerre, devenue puissance dominante, qui, in fine, imposait son interprétation du droit international, désignant à sa convenance l’agresseur (l’autre) et l’agressé (moi).

Inutile de dire que je me suis tapé une sale note, je n’ai jamais eu que des sales notes en droit. Je ne détiens aujourd’hui aucun autre diplôme que mon bacho.

jeudi 14 mai 2009

Face A

Mon amie : Mais si, comment s'appelle ce sommet, déjà ?
Ouam : Je ne sais pas, je ne vois pas.
Mon amie : Tu sais, facile à monter, difficile à descendre ?
Ouam : ...Un homme ?

dimanche 10 mai 2009

Ach Paris (deuxième jour)

Rappel : Ach Paris (Premier jour)

Nous nous sommes réveillés un peu tard, c’était forcé. Ça battait dru sous les fronts, mon pote, en plus, il se sentait nauséeux. Je ne me souviens plus si nous avons mangé, des pâtes, peut-être, avec une tranche de jambon. Nous avons encore discuté dans son petit appartement, il m’a fait la morale. Tiens ça me rappelle son toupet d’hier soir. Dans la rue il m’a dit toi et moi on n’a pas de chance, « on n’a aucun talent ». Je lui ai répondu hé parle pour toi . Tu crois que je me ferais chier à écrire toute l’année des romans qui n’intéressent personne, que je travaillerais mon écriture presque tous les jours si je pensais n’avoir aucun talent ? Je sais bien que je ne ferais pas la carrière de Mauriac, d’Aragon, de Houellebecq ou de Victor Hugo. Je ne suis pas « génial », ça se saurait n’est-ce pas. Mais un peu de talent merde, ce n’est pas grand’ chose à demander, non. Et lui, il s’excuse alors que, bien sûr, maintenant qu’il l’a dit. J’avais envie de gueuler que s’il n’a pas foi en moi, lui mon pote depuis presque toujours, qui me fait aujourd’hui les plus improbables déclarations d’amitié, mais de qui puis-je espérer un jour être reconnu ? La première fois qu’il a eu un tas de terre entre les doigts, il en a sorti une forme de femme épatante, pour un débutant. Moi je n’ai jamais su, même au prix de quelques tentatives, en sortir autre chose qu’un peu d’art abstrait. Alors, n’avait-il pas un petit talent ? Il n’a pas bossé le coup de la terre glaise et, aujourd’hui, il faut avouer que ses douze ou treize statuettes paraissent bien minables. Il en expose pourtant ici ou là quelques-unes, sur les étagères surchargées de son gentil salon.

Au milieu de ses milliers de bouquins, tous professionnels, à part une petite étagère de romans, une autre de bandes dessinées, donc, nous discutons de notre métier commun et il me fait la morale. Je crois que c’est comme ça qu’il se donne l’impression de s’occuper de moi. Il dit que je devrais piger pour des journaux, pour augmenter mon revenu. Ce qui m’énerve c’est que, cette fois, son reproche est assez rationnel, je ne travaille qu’à mi-temps et, au Smic horaire, ça ne fait pas lourd. Sauf que je n’ai pas du tout l’intention de bosser plus. Il me faut du temps pour moi, pour écrire mes romans. Cet après-midi chez lui, c’était dimanche, mais il allait travailler vers 16 heures. Ce mec est pigiste pour les plus gros canards, mais non, il doit assurer son revenu en bossant le dimanche, un genre de rewriting si j’ai bien compris. S’il croit que je vais suivre le modèle. Je faisais mon sac, nous nous embrassions chaleureusement sur le seuil, ou plutôt nous nous serrions la main, avec des regrets de se quitter si vite.

« C’était cool hier soir »

Oui, c’est vrai, c’était cool.


Le reste de l’après-midi fut pour moi l’occasion d’une balade, seul, dans les rues de Paris. Et ça aussi c’était cool.

mardi 5 mai 2009

samedi 2 mai 2009

Le lièvre le lièvre

Je pleurais à l'instant. En lisant ce passage du livre de Claude Lanzmann intitulé bien à propos Le Lièvre de Patagonie (éd Gallimard 546 p, 25 €):

"C'était notre premier voyage à l'étranger, je me trouvais dans la plus grande exaltation, la rencontre des noms et des lieux, noms de gares aperçus dans la nuit, Brig, Simplon, Domodossola, Stresa, attestaient de la vérité du monde, scellait l'identité des mots et du réel, dévoilait le vrai de plus poignante façon. Je me dis aujourd'hui que notre jeunesse et la jeunesse du monde se conjugait alors et il est certain que la première fois a une saveur unique. Il m'arrive pourtant encore maintenant d'éprouver à pleine force ce que je ressentais à vingt ans, à la réflexion cela n'a rien à voir avec le jeune ou le grand âge. Remontant seul il n'y a pas si longtemps, à partir de Rio Galleros, aux confins de la terre de Feu et au volant d'une voiture de location, la plaine immense de la Patagonie argentine vers la frontière du Chili et la fabuleux glacier du Perito Moreno, je me répétais, joyeux comme dans ce premier train vers Milan : "Je suis en Patagonie je suis en Patagonie". Mais ce n'était pas vrai, j'avais beau avoir aperçu quelques troupeaux blancs de lamas, la Patagonie ne s'incarnait pas en moi. Elle s'incarna tout à coup, au crépuscule, sur le dernier tronçon de route non asphalté après le village d'El Calafate, dans le balayement de mes phares, quand un lièvre haut sur pattes bondit comme une flèche et traversa la route devant moi. Je venais de voir un lièvre patagon, animal magique, et la Patagonie toute entière me transperçait soudain le cœur de la certitude de notre commune présence. Je ne suis ni blasé ni fatigué du monde, cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas. "

Je pleurais, j'ai retenu mes larmes. Peut-être que je me sens un peu fragile, en ce moment. Je sens dans cette lecture, dans mon jardin, au soleil, qu'elle recèle, pour moi, des vérités que je n'ose affronter. C'est la vie qui passe et ne me traverse pas ?