Je pleurais à l'instant. En lisant ce passage du livre de Claude Lanzmann intitulé bien à propos Le Lièvre de Patagonie (éd Gallimard 546 p, 25 €):
"C'était notre premier voyage à l'étranger, je me trouvais dans la plus grande exaltation, la rencontre des noms et des lieux, noms de gares aperçus dans la nuit, Brig, Simplon, Domodossola, Stresa, attestaient de la vérité du monde, scellait l'identité des mots et du réel, dévoilait le vrai de plus poignante façon. Je me dis aujourd'hui que notre jeunesse et la jeunesse du monde se conjugait alors et il est certain que la première fois a une saveur unique. Il m'arrive pourtant encore maintenant d'éprouver à pleine force ce que je ressentais à vingt ans, à la réflexion cela n'a rien à voir avec le jeune ou le grand âge. Remontant seul il n'y a pas si longtemps, à partir de Rio Galleros, aux confins de la terre de Feu et au volant d'une voiture de location, la plaine immense de la Patagonie argentine vers la frontière du Chili et la fabuleux glacier du Perito Moreno, je me répétais, joyeux comme dans ce premier train vers Milan : "Je suis en Patagonie je suis en Patagonie". Mais ce n'était pas vrai, j'avais beau avoir aperçu quelques troupeaux blancs de lamas, la Patagonie ne s'incarnait pas en moi. Elle s'incarna tout à coup, au crépuscule, sur le dernier tronçon de route non asphalté après le village d'El Calafate, dans le balayement de mes phares, quand un lièvre haut sur pattes bondit comme une flèche et traversa la route devant moi. Je venais de voir un lièvre patagon, animal magique, et la Patagonie toute entière me transperçait soudain le cœur de la certitude de notre commune présence. Je ne suis ni blasé ni fatigué du monde, cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas. "
Je pleurais, j'ai retenu mes larmes. Peut-être que je me sens un peu fragile, en ce moment. Je sens dans cette lecture, dans mon jardin, au soleil, qu'elle recèle, pour moi, des vérités que je n'ose affronter. C'est la vie qui passe et ne me traverse pas ?
"C'était notre premier voyage à l'étranger, je me trouvais dans la plus grande exaltation, la rencontre des noms et des lieux, noms de gares aperçus dans la nuit, Brig, Simplon, Domodossola, Stresa, attestaient de la vérité du monde, scellait l'identité des mots et du réel, dévoilait le vrai de plus poignante façon. Je me dis aujourd'hui que notre jeunesse et la jeunesse du monde se conjugait alors et il est certain que la première fois a une saveur unique. Il m'arrive pourtant encore maintenant d'éprouver à pleine force ce que je ressentais à vingt ans, à la réflexion cela n'a rien à voir avec le jeune ou le grand âge. Remontant seul il n'y a pas si longtemps, à partir de Rio Galleros, aux confins de la terre de Feu et au volant d'une voiture de location, la plaine immense de la Patagonie argentine vers la frontière du Chili et la fabuleux glacier du Perito Moreno, je me répétais, joyeux comme dans ce premier train vers Milan : "Je suis en Patagonie je suis en Patagonie". Mais ce n'était pas vrai, j'avais beau avoir aperçu quelques troupeaux blancs de lamas, la Patagonie ne s'incarnait pas en moi. Elle s'incarna tout à coup, au crépuscule, sur le dernier tronçon de route non asphalté après le village d'El Calafate, dans le balayement de mes phares, quand un lièvre haut sur pattes bondit comme une flèche et traversa la route devant moi. Je venais de voir un lièvre patagon, animal magique, et la Patagonie toute entière me transperçait soudain le cœur de la certitude de notre commune présence. Je ne suis ni blasé ni fatigué du monde, cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas. "
Je pleurais, j'ai retenu mes larmes. Peut-être que je me sens un peu fragile, en ce moment. Je sens dans cette lecture, dans mon jardin, au soleil, qu'elle recèle, pour moi, des vérités que je n'ose affronter. C'est la vie qui passe et ne me traverse pas ?
il faudrait peut-être que tu en parles au lièvre, cette nuit, dans tes rêves...
RépondreSupprimerTrès beau texte en effet. Quant aux vérités qu'il faut oser affronter, combien de temps resteront-elles des vérités?
RépondreSupprimer"Les lièvres, j'y ai pensé chaque jour tout au long de la rédaction de ce livre, ceux du camp d'extermination de Birkenau, qui se glissaient sous les barbelés infranchissables pour l'homme [...] "
RépondreSupprimerLanzmann à la toute fin de "Le lièvre de Ptagonie"
Et à propos de ce putain de camp, Primo Levi dans "Si c'est un homme" : "Personne ne sortira d'ici".
Merci, Ouam, d'exister, de rendre l'univers moins con.
Claude Lanzmann a 83 ans je crois et il écrit "cent vies ne me lasseraient pas". Je l'envie car je me sens, moi-même, parfois, si las - le bel imbécile que je fais. Il y a en lui quelque chose d'inaltérable en effet, ce plaisir de vivre, cette sensation que symbolise ici le lièvre patagon.
RépondreSupprimer"Personne ne sortira d'ici", cette phrase prophétique de Primo Levy me glace. J'aimerais pourtant que l'on "parte" d'ici. Que nos généalogies passent toutes par là, mais, peut-être grâce aux lièvres qu'évoque Claude Lanzmann, s'en libèrent.
Quant à rendre l'univers moins con, nous sommes quelques uns, heureusement parce qu'il y a du boulot ;)
je n'écris plus sur les blogs mais j'aime que vous existiez. Cette page est très belle.
RépondreSupprimerAmitiés vagabondes
christiane
Bonjour douce Christiane, amitiés.
RépondreSupprimer