lundi 16 décembre 2013

Ventre en tête

C'est que toute chose contient sa part de silence, tout objet sa part de vide. Le monde est-il double, ventre et estomac, coquilles, vent dedans, bruit et silence de la merde.

jeudi 5 décembre 2013

Salim, chez moi

Il y a toujours, chez les homosexuels, une population en rupture, des garçons qui irriguent les nuits des autres garçons. Ils sont derrière la porte, avec leur désir impérieux. Et ce mouvement appelé "Manif pour tous" avait pour objet de marginaliser encore, et de culpabiliser, de salir, s'il était besoin, ce désir.
Pour ces garçons (en particulier), avoir une pratique sexuelle est souvent vécu comme une sorte de suicide social, une honte infranchissable pour certain, un défi radical à toute la société (et à la famille) pour d'autres, voire une vengeance - qui s'exprime d'abord sur soi-même. J'ai fait la mal-rencontre avec le mâle bafoué, la mauvaise particule dans le flux, Salim. Il avait une façon de faire l'amour... comme s'il cherchait à se délivrer de son cauchemar. Je sais qu'il se droguait, l'odeur de sa peau se mêlait à son haleine de nitrite d'amyl, et il exigeait le noir absolu dans la chambre. Il était gentil. Ma capote a lâché à notre deuxième rencontre, je ne m'en suis rendu compte qu'en sortant de lui, dans cette sorte d'exténuation qui s'annonce, j'ai conçu dans son cul ma petite inquiétude. Je l'ai revu peut-être quinze fois, sans capote, mon abandon violent multipliait le plaisir. Je me plaçais dans cet espoir médusant de le garder pour la nuit, je voulais, pour lui, former chez moi, sur le radeau de mon lit défait, un refuge. 
Il avait la syphilis. Les médecins, me voyant décliner dangereusement, ont fini par découvrir que je l'avais à mon tour. Il m'a donné aussi quelques autres petites infections, dont on se débarrasse sans peine, et un diabète, depuis, s'est déclaré. Le diabète pourrait bien être lié, si j'en crois une littérature datée de 1920, trouvée sur la toile, son apparition, pas sa guérison. Bien entendu, le SIDA aurait bien pu faire partie du bouquet, c'est en tous cas la conviction des médecins. J'ai tellement envie de revoir Salim, d'éteindre à nouveau toute lumière, d'entendre ses vêtements tomber un à un, sentir son souffle, la masse compacte de son corps reposant sur le mien, son désir tremblant, sa fierté, de me donner du plaisir. Comme lorsqu'il m'a embrassé. 
Salim, Salim, si tu vis. 

vendredi 22 mars 2013

Mes carnets du Maroc (64 et fin)

Trente-huitième jour
Retour. Réveil 5 h 20. J'avais tellement été nerveux la veille, je n'ai guère dormi. Mes sonneries, réglées à 5 h 30, n'auront pas le temps de retentir. Je pisse dans le lavabo de la chambre 12, au Central Palace Hotel. Je regarde la pièce une dernière fois, que je n'oublie rien. Ce n'est pas un endroit bien chaleureux, mais j'y étais bien. Je ne remarque pas mon chapeau de paille espagnol, sur une patère. Et je file réveiller le réceptionniste.

Trente-huitième jour
Je me sens plutôt rassuré de rentrer. A part mon chapeau, que j'ai si peu mis sur la tête, qui a gondolé sous la rincée, à Tanger, pris le soleil sur la route d'Aït Benhaddou... Mon chapeau que je portais dans mon sac, il en était tout biscornu, troué, c'était devenu le mien... À part mon chapeau que je laisse sans regret telle une trace de moi, de mon histoire au Maroc, et surtout de sa fin, je n'oublie rien. 



lundi 18 mars 2013

Mes carnets du Maroc (63)


 

Trente-septième jour
Jeudi 3 mai 2012. Retour à Marrakech. Remonté, décidé à ne pas me laisser amadoué par un emmerdeur quelconque, et à commencer par un taxi. « Taxi ? », me demande-t-on alors que je n'ai pas encore la main sur mon grand sac à dos. Je prends tout mon temps, je réponds, oui, 15 dh pour la médina. Le mec fait mine de me rire au nez, mais mon regard l'intimide. Pas grave, j'y vais à pieds, lui-dis-je, et là il prend à témoin un groupe de chauffeurs qui joue son rôle comme un seul enfoiré, non 15 dh, ce n'est vraiment pas assez. Pas de souci, j'y vais à pieds. « 30 dh, au moins », tente le chauffeur. « Si vous ne voulez pas travailler, c'est votre affaire », et j'y vais à pieds, comme promis. Le chauffeur me rattrape : « 20 dh ? ». Je suis presque incrédule, il me propose le prix que je voulais. C'est d'accord, lui dis-je. Après, pendant le voyage, c'est drôle, il me demande l'autorisation de prendre plusieurs personnes à bord, ce que j'accepte, dans ma grande bonté. Ces connards-là, quand tu les traites comme ils le méritent, je veux dire mal,  après, ils sont tout miel. 20 dh, c'est à peu près deux fois ce qu'il exigerait d'un local, donc, bon, il n'est pas mécontent. Il me dépose à la gare de taxis du Square Foucaud, où j'ai tous mes repères. Je vais directement au Central Palace, où la femme de la réception m'accueille avec de charmants sourires, notre complicité est retrouvée dès les premiers salam aleikum, aw aleikum salam. « Je vais vous trouver une belle chambre » me dit-elle. Et elle ne ment pas.

Trente-septième jour
Je me perds dans la médina et je trouve le moment agréable. J'évite les souks à touristes et j'ai enfin le sentiment d'être au cœur de la ville rouge. Je reconnais la nature des commerces, petites épiceries, ventes de crêpes marocaines (dont j'ai l'impression qu'elles changent de nom selon les régions) et de beignets plongés dans le sucre, pain, chariots de fruits, atelier de mécanique, lieu crucial évidemment pour un peuple qui roule en véhicules des années 70 ou 80, voitures et mobylettes. D'ailleurs les mobylettes, ici aussi bien qu'à Casa, sont un fléau pour le piéton, les Marrakchis roulent sans vraiment faire gaffe, avec pour seule précaution le klaxon. Partout ou tu entends le bourdon d'une brêle, barre-toi vite, range tes fesses et cesse, à l'instant, de mettre le nez en l'air. Dans le dédale de la ville médiévale, un jeune, mais tout jeune garçon, m'aborde, « la place ? » Je réponds que je ne veux pas de guide et il me colle quand-même au train. « Pas là, fermé », le morpion connait son rôle. J'insiste alors en faisant le signe du flouze avec les doigts. Walou, tu comprends ? Je suis sec, mais je tiens compte de ses dix ou onze ans. Et ça marche, il me lâche. Un jeune Marocain qui range son scooter en face de sa porte me sourit : « La place, c'est à droite, encore à droite, et ensuite, toujours vers la droite », « Choukrane », et tout se passe bien, la rumeur de Jemaa El Fna, de toutes façons, me guide jusqu'à son cœur battant. Les Gnaouas se donnent et rassemblent autour d'eux les passants, les restaurants éphémères ont installés leurs tables recouvertes de papier blanc, le stand d'Hassan ne brûle pas encore. Les impérieuses clarinettes des charmeurs de serpents retentissent tandis que les marchands de fruits secs cherchent inlassablement à me vendre des dattes ou des abricots. Finalement, je retourne au restaurant que je fréquentais il y a deux semaines, harira, couscous, valeurs sûres pour ce dernier repas au soleil couchant du Maroc. Trois enfants très jeunes, 4, 5 et 6 ans je pense, viennent alors à ma table, et me harcèlent, pour quelques dirhams. La petite de 5 ans était couvée par le regard incitatif et protecteur de son grand frère, celui qui avait 6 ans, peut-être 7, en s'exerçant au regard d'enfant triste. J'ai dû lui dire non, mais, cette fois, en la regardant bien, avec assurance et, je crois, une bienveillance ostensible, dont elle a cru longtemps pouvoir tirer profit. Un autre môme, celui-là ne devait pas avoir 4 ans, mignon comme, comme, je ne sais pas moi, mignon, exercé, lui aussi, aux yeux tristes. Je l'ai regardé de façon presque obsessionnelle, avec beaucoup de fermeté, autant d'amour qu'il m'était possible. Et l'enfant est resté, sans plus jamais rien mendier. A me regarder, à baisser les yeux, puis à me regarder à nouveau. Qu'il est beau cet enfant. Voilà, nous nous sommes regardés. Je n'avais aucune compassion, ce n'était pas l'esprit. L'enfant-instant était le mien. Je n'avais pourtant aucun droit de lui interdire de faire la manche, ni les moyens de l'amener à l'école. Je suis parti déchiré, impuissant, comment être un adulte, à ce moment-là.

vendredi 8 mars 2013

Mes carnets du Maroc (62)

Trente-septième jour
Journée tournée vers le départ. Quitter Essaouira me fut presque facile. Je me suis matin laissé gagner par la mélancolie de la ville. 8 h 30 environ. J'ai sourit une dernière fois au petit barbier, des gestes lointains mais amicaux, un clin d’œil, c'est toute une rencontre. Je suis allé traîner mes souliers dans la terre mise à nue depuis un an pour d'interminables et peu probants travaux de rénovation du système d'égouts, j'ai admiré dans la poussière, non loin du souk des poissons, un petit requin, dos à l'air, que ne se disputait aucun chat. Le boulanger livrait par dizaines ses galettes de pain chaud, un marchand de tapis sortait de son lit et, déjà, sur la plage à marée basse, une vingtaine d'adolescents jouaient au football. Un à un, de gros chalutiers manœuvraient à l'entrée du port, harcelé, comme il se doit, par des nuées de mouettes et d'albatros. D'autres de ces oiseaux des mers, en nombre, se reposaient encore sur le sable sec et se disputaient un coquillage ou une crevette oubliée par la marée. Posant mes fesses sur un fauteuil du café terrasse le Chalet, mes pieds sur le muret qui me séparait de la plage, je n'ai pas lu, ni écrit. J'ai regardé. Me suis souvenu que je n'aurai pas tout de suite l'occasion de me perdre dans la ligne pleine et prometteuse de l'horizon. J'ai mangé un petit pain, un café cassé, un jeune Espagnol en tong et sa copine devisaient, il riait, nous avons échangé une complicité, je n'ai guère de doute à l'égard de ses goûts, ce garçon. En rentrant par la place Moulay Hassan presque vide, et pour cela lumineuse tel un soleil, un ventre nu craquait une sieste sur un banc, le pullover sur les yeux. Un travailleur, de l'ombre, s'y réfugiait le temps d'une pause. Un vendeur de space cake accourait, avec un geste soigneux pour le plastique transparent qui protège son plateau. Ouf, sans m'aborder. Une dizaine de Marocains, peut-être plus, me reconnaissaient, dans la rue et me saluaient avec bonne humeur. Très vite, autour de mon hôtel, je disais bonjour aux voisins. Le joli Jamel, guitariste, si doux ; la jeune femme gentille et souriante, avec ses rectangles blancs dans la bouche, en vitrine, mais dont je n'ai jamais osé demander le nom ; Mohammed, qui était un peu triste de ne rien me vendre, j'aurai peut-être dû le soutenir un peu, lui dont le pied gauche se retourne dangereusement, et dont les dents pourries sortent jusqu'à la racine ; le musicien, qui tient une échoppe d'instruments, il joue du oud, je crois, et fort bien, j'ai oublié son nom ; bien sûr, Saïd, dont j'ai assuré les revenus pour un mois, peut-être ; et tous les voisins qui avaient finis par s'habituer à me voir papoter dans la rue, beaucoup semblaient prendre plaisir à me saluer en français, tandis que je faisais, moi, l'effort de répondre en arabe. J'ai donc croisé quelques bonjours avant de partir, et le premier, je crois, d'un ouvrier d'un chantier à côté de l'échoppe de Saïd. Il se promène à vélo, quelque soit la distance, cette fois, son beau visage, jeune, et brun, était moucheté de peinture blanche. Une paire de fesses qui m'a fait penser à JB. JB, la pensée de JB est revenue s'installer, alors que je ne pensais plus à lui. Il a suffit d'un signe de sa part, il a créé un profil facebook, j'ai l'impression, juste pour pouvoir communiquer avec moi. Peu avant 15 h, je suis allé à Baâb Marrakech, chargé de mes deux sacs à dos : le gros pour les soutes, le petit pour l'habitacle.

lundi 18 février 2013

Mes carnets du Maroc (61)

Trente-sixième jour
Mercredi. Dernier jour tranquille à Essaouira. Demain, je file à Marrakech. Je me lève avec un bon mal de crâne. Évidemment, les échéances de départ provoquent malgré moi des contractions internes, crispations de tripes. L'eau a été rétablie dans l'hôtel, pendant la nuit. Je ne me suis pas lavé depuis trois jours. À part aux endroits stratégiques. Aujourd'hui j'ai prévu hammam et massage. Achat d'un billet Supratour pour Marrakech. Achat de deux trois trucs à Saïd.

Trente-sixième jour
J'ai rempli chaque mission avec succès. Coût estimé : trop. Mais je dois encore acheter de l'huile d'argan. Quelques litres.

Trente-sixième jour
Nous avons échangé nos adresses avec Saïd. Auparavant, il m'avait emmené chez un beau-frère qui tient, entre autres, un magasin d’Épices dans le souk, sous les arches d'un ancien caravansérail et à quelques mètres des étals de poissons. Ce Monsieur nous a servit le thé, m'a annoncé les prix, ça a fait gloups dans ma gorge. J'ai donc dû réviser mes prétentions, j'ai pris quatre demi-litres, dans quatre bouteilles plastiques d'eau minérale. Mais c'est de la première pression à froid, garantie par Saïd, première qualité. Nous sommes alors allé faire deux trois courses pour le café amazigh de l'admirable Hichem, qui nous a donc cuisiné des brochettes de kefta et des tomates grillées. Je n'aurais d'ailleurs pas dû me gaver comme je l'ai fait. C'était délicieux, mais j'ai l'organisme crispé, je ne lâche rien, et mon expérience de hammam et de massage californien était agréable. Deux jeunes femmes très jolies, sans pitié, se sont occupées de mon cas. Évidemment, si Hichem avait été masseur, peut-être que. Mais bon. 500 dh, pas donné, quand-même, dans cette ambiance entre la maison close et le salon de coiffeur, où je finis en lapant un thé brûlant. La mère maquerelle, encore jeune et pas si bien coiffée que ça, est venu papoter quelques minutes, histoire de mériter son salaire. "Les filles d'ici ont le sens du massage, elles ont des mains", me dit-elle, "c'est une tradition". J'explose mon budget en une journée de dépenses, j'aurais pu rester deux semaines de plus avec tout ça. Mais je dois rentrer, maintenant. Et je me dis qu'il fallait bien que je lâche ma thune dans ce pays qui a besoin de blé.
Bon, objectif, demain avant de partir acheter de la mahia Ghazella ou Rousso (sur les conseils de Saïd, qui rejoignent ceux d'Andy)(la mahia c'est l'eau de vie de figue du coin, je rappelle). Départ estimé direction Marrakech, 15 h 15. Ensuite, eh bien, ce sera le retour à Arnakech, les taxis qui cherchent à te flouer, les hôtels qui refusent de négocier, et Jemaa El-Fna, une réjouissante dernière fois. Je vais flipper pour mon avion, le lendemain, fermeture des portes à 8 h 20, donc, il me faudra trouver un grand taxi pas trop gourmand avant 7 h. Tous mes derniers dirhams pourraient passer dans cette ultime course, à moins que je ne réussisse à prendre un bus, square Foucault, ce qui est compliqué en raison d'une absence totale de renseignement, le numéro du bus, l'horaire, je ne sais même pas où trouver les informations. 


vendredi 15 février 2013

Mes carnets du Maroc (60)

Trente-cinquième jour
Premier mai. Un syndicat a installé un podium place Moulay Hassan, à l'entrée de la vieille médina. Des chansons saucissonnent en boucle, à plein tube. Tremblants sur les enceintes et trônant en plein centre de la scène, deux photographies encadrées, sous verre et sur des chevalets. Un des personnages, en noir et blanc, est probablement le fondateur du syndicat. L'autre est le roi.des drapeaux du Marc flottent de part et d'autre. Il est vrai qu'ils sont rouges. Et des flics en tenue de propre papillonnent, plus nombreux que les ouvriers, et même que les touristes. Les ritournelles treès parti Communiste des années 70 ont dû faire fuir tout le monde. La rumeur de ce refrain, que je perçois depuis l'endroit où j'écris, devrait suffire à me la mettre dans la tête pour la journée.

Trente-cinquième jour
Ballade jusqu'au bout de la plage. Un No man's land où le sable fin se déguise en désert de dune. Un Oued s'y forme, qui change de courant au gré des marées, remonte jusqu'à un pont, menant à un village, Diabat, sur sa colline. Des pas de dromadaires et de chevaux dans le sable mouillé, démontrent sans doute que l'endroit est fréquenté par les hommes bleus, les Touaregs, de passage après de longues traversées du Sahara. Non je déconne. Cela démontre
juste que les touristes que tu croises ici sont le plus souvent à dos de cheval ou de dromadaire. Pas l'ombre d'une méharée par ici, et d'ailleurs, peu d'ombre. Un magnifique garçon ultra bronzé, me poursuit un peu. « Jolie Jaquette » m'avait-il abordé, dans la ville. Puis, il me repère sur la plage, « eh ! Tu me reconnais ? ». Il loue des fauteuils en plastique, il me rassure, viens me voir, c'est gratuit pour toi, on discutera. Et moi je n'ai pas envie de discuter. J'étais au début de ma ballade, je lui dis d'accord, peut-être, au retour, et ce faisant je ne pouvais m'empêcher d'admirer son torse glabre et noir. J'ai continué de fantasmer ce garçon pendant la marche et au retour, en m'approchant des fauteuils verts dont il a la charge, j'avais la gaule. Mais je ne tenais pas plus que ça à subir de nouvelles avanies, et je l'aperçois de dos, draguant deux Européennes. Je passe mon chemin.

Trente-cinquième jour
J'arrive au niveau du port juste au moment des défilés. D'abord celui de L'UMT (Union Marocaine des Travailleurs), qui traîne derrière lui une centaine de militants sous la bannière du PC. L'ambiance est revendicative, sans violence, plutôt morose en fait, policiers et militaires disposés de part et d'autre. C'est le syndicat majoritaire chez les pêcheurs. Ils ont d'ailleurs un local sur le parking du port, où ils avaient élevé une tribune. Je n'y ai vu personne prendre la parole, mais ils donnaient à plein une sono à peine croyable, des airs d'accordéon grésillant dans les transistors, des interventions enregistrées tirées d'archives du PCF des années 50, on aurait dit que les 78 tours avaient repris du service. Un rassemblement plus populaire, en tout état de cause, que le défilé qui venait juste d'un peu plus loin, de la place Moulay Hassan, celui de l'UGTM (Union Générale des Travailleurs Marocains). Une grande blague, avec le portrait du roi en tête de cortège, et dedans des gens bien proprets, coiffés de casquettes blanches. Rappelons que le roi est un des plus gros employeurs du pays. Un air de ballade dominicale, ce cortège, pas loin de ce qu'avait voulu le maréchal Pétain lorsqu'en rendant ce jour chômé, il avait voulu récupérer l'événement. Enfin, même si les apparences ne jouent pas en faveur de l'UGTM, n'accusons personne ici de pétainisme.

mercredi 30 janvier 2013

Mes carnets du Maroc (59)

Trente-quatrième jour
Retour sur la journée de lundi. Rien de révolutionnaire, sauf qu'à regarder de plus près, ce lundi tranquille me montre une petite évolution de ma façon d'être, quelque chose que je dois sans doute au voyage. Ce matin, sur la terrasse de l'hôtel, un couple de Polonais, qui n'est finalement pas resté, j'ai entamé une conversation agréable, en anglais, avec la sémillante jeune femme, tandis que son mec disputait ferme les prix avec le jeune réceptionniste – un que je ne connaissais pas. J'ai ensuite passé un moment avec Mohammed, le marqueteur à la mâchoire qui sort de sa bouche, avec des chicots pourris que c'est un bonheur de le voir sourire toute la journée. Il fait deux dessins différents sur des morceaux de loupe de thuya, dans lesquels il insère des fils d'aluminium : « moins cher que l'argent, et ça oxyde pas », me dit-il, plus à l'aise avec le français que je ne l'avais soupçonné. J'ai l'impression d'un travail soigné, mais elles sont quand même bien moches ces petites boîtes rondes, polies et brillantes, qui s'alignent sur les étagères du placard où il bosse. Non loin, dans une des rues centrales de la médina, je me suis laissé aller à répondre à un jeune commerçant complètement bourré. Très efféminé, gracile, du khôl sous les yeux. Yacine. Il me raconte qu'il est du sud, de Zagora. Il est ici pour vendre des objets pendant la saison touristique. Qu'ensuite il rentrera au bled, dans sa tribu. Les mecs ils doivent bien rigoler, tout de même. Saïd, qui me croise en pleine conversation, me raconte ensuite la vie de Yacine, qui d'ailleurs ne savait plus très bien, au moment de se quitter, s'il s'était présenté sous ce nom, ou sous celui de sa boutique, Mohammed... Ce garçon, Yacine, donc, est bien né dans le sud, mais dans la région immédiate de Marrakech. Et il vit à Essaouira toute l'année, où il est entretenu à distance par une Française amoureuse. Il a vingt-quatre ans, il est bourré à la mahia tous les jours. Il semble que l'alcool soit un problème virulent dans la jeunesse marocaine et ce n'est vraiment pas la première fois que je m'en rends compte. À l'hôtel, j'ai débuté aussi une conversation avec un Turc de Paris, nous avions fait presque le même voyage, mais pas du tout ouvert, méfiant, il ne m'a adressé la parole que contraint par la situation. Sûrement un espion turc qui craignait que je ne le découvre. Il devait avoir les boules de tomber sur un type comme moi, c'est évident que je lui aurais tiré les vers du nez. Quel connard. En couple, donc fermé. Bon, quant à moi, je lui avais adressé la parole, ce qui n'est pas dans mes habitudes, alors je suis fier. Mon voisin de chambre, un Allemand, écrivait des impressions dans un carnet, sur la terrasse, hier soir, enfin, je veux dire, ce lundi soir. Nous avons communiqué en allemand, j'adore, mais j'ai quand même beaucoup de mal, il faudrait vivre un temps à Berlin pour parler couramment.

(Retour au) Trente-cinquième jour
Je n'ai pas changé de caractère, je crois que je vis les événements, ou plutôt cette suite de non-événements qu'est la fin de ce voyage, de façon plus naturelle, plus habituelle. Ce qui est un des buts du voyage, paradoxalement. S'étonner d'un endroit, se dépayser, avec pourtant l'ambition de l'apprivoiser. Quand je quitte l'hôtel, matin, je salue Kabir le gérant de nuit avec la brume du sommeil qui lui voile les yeux, et non point le regard, j'offre un joyeux bonjour à Kabir le menuisier, né, comme l'autre, le jour de l'Aïd, puis Mohammed, qui n'est que sourire, Saïd, mon poteau, et aussi le musicien qui joue si bien de l'Oud, et encore une jeune femme, quand je l'aperçois sur le seuil de sa maison, charmante voisine voilée de mon copain marchand de tapis.

jeudi 24 janvier 2013

Mes carnets du Maroc (58)

Trente-quatrième jour
J'ai écrit un petit mot pour Martine et Pascal. Mais qui sont donc ces gens. Deux Lyonnais, me dit-on. Qui ont envoyé des objets à des jeunes hommes du désert. « Bonjour, tu es Français ? De quelle tribu ? » Brahim et Jamel, que je sois de Lyon, cela semble les éclater. « Comme nos amis ! ». Martine et Pascal leur a envoyé des objets, je ne sais quoi, peut-être des médicaments, ils cherchaient à les remercier et ne savaient pas écrire. J'ai donc, sous la dictée de Brahim, écrit, une lettre à ce couple de Lyonnais, pendant que le très charmant garçon me déballait toute une partie de sa marchandise. Oui de sa marchandise, au sens propre. Pendant que Jamel faisait le thé. Très heureux de la lettre, ils m'invitent ensuite à une fête, ils y joueront de la musique et boiront bière et mahia jusqu'à plus soif. « J'aime beaucoup ton t-shirt, si tu veux le troc ? » « Ou si tu as paracétamol ». Alors pour les médicaments, j'ai promis de regarder, je dois en avoir dans ma trousse de toilette. Pour la mahia, j'ai été tenté, mais, Brahim, est-ce que je n'aurais pas la tentation de te sauter dessus, sous l'effet désinhibant de l'alcool de figue locale. C'est un risque que je ne veux pas prendre.
Trente-quatrième jour
Je n'arrive pas à lâcher ce petit vendeur de plein de trucs, et notamment des tapis. Saïd est un bien triste Monsieur, très seul, peu estimé, ce me semble, dans sa rue et son quartier. Les touristes achètent parfois chez lui, mais souvent, de son propre aveu, par compassion. Je suis d'ailleurs en train de réfléchir à l'achat de deux ou trois tapis, ce qui me mènerait un peu loin, au niveau des dépenses, mais voilà, je me dis que je dois des petits cadeaux à ma mère, à ma soeur, et je me verrais bien aussi employer un tapis pour tête de lit, chez moi, pour me changer de ce mur froid (et moche). Pourtant, Saïd est plein de ressources, vraiment pas bête, au courant à peu près de la marche du monde, grâce à la télé, grâce à son sens du contact, discret et amical. Un bonhomme, je crois, Saïd. Il m'emmène faire des courses, les souks où il navigue sans la plus petite hésitation – mais le contraire eu été surprenant, n'est-ce pas. Puis nous passons dans son café berbère, plus animé que la dernière fois, peuplé de vieux, de petits garçons et de jeunes hommes. Hichem, le plus désirable de tous, et de très loin, est l'homme à tout faire, ici, et par exemple, c'est à lui que Saïd confie nos courses. Ensuite nous allons boire une bière, achetée dans un boui-boui suragité. Un des rares à vendre de la l'alcool, probablement le seul, en fait, à des kilomètres, et nous y allons au moment de la cohue de fermeture. Des petits taxis larguent leur clientèle devant la porte, un jeune homme costaud règle la queue devant le magasin, sauf qu'à l'intérieur, c'est encore la guerre pour s'imposer et commander. Saïd a cette force, il ne se fait pas remarquer, sitôt entré, il se faufile et réussit à commander, deux pils. Que nous allons siroter dans un jardin au pied du rempart, un endroit sympathique et calme, envahi de poubelles. Nos canettes et sacs plastiques vont d'ailleurs s'ajouter à ce grand n'importe quoi, Saïd m'assurant que « quelqu'un va ramasser », ce qui n'est pas le plus probable, mais je me satisfais de cette réponse. De toute façon, je ne connais pas de poubelle à Essaouira, et même nulle part au Maroc. Où suis-je tombé sur des poubelles publiques, j'ai l'image de poubelles, quelque part... peut-être à Marrakech. Je n'ai jamais su quoi faire de mes emballages, détritus, je me suis fais des sacs plastiques que j'ai laissé, chaque fois, dans ma chambre d'hôtel en partant. Avec Saïd, nous sommes donc retournés au café berbère, ou nous avons bu un thé fumé, je n'aime décidément pas, en attendant le tajine concocté par Hichem. Et ce Tajine est sans doute le meilleur que j'ai mangé, à égalité avec celui de Khadija. Un truc que j'ignorais, c'est que ce plat se déguste sans couvert, tu ramasses la nourriture avec le pain, et shloumpf, le tout dans la bouche. Patates, zitounes, poulet, oignons, tomates persil, mélange d'épices signé de l'épicier du souk : mélange poulet, puisque les épices, ici, ne sont pas des variables à la disposition créative des cuistots, ils sont immuables et maîtrisé à la perfection par les épiciers. Nous avons donc mangé ici, en matant un film que j'avais déjà vu et que du coup j'ai compris, une histoire de fin du monde avec Nicolas Cage. J'ai payé 20 dh à Hichem, 15 dh le poulet, le reste c'est Saïd, dans les 15 dh aussi. 50 dh pour deux, un tajine excellent et généreux, un thé, et la vision merveilleuse du cuistot. Record battu, et d'assez loin.

Trente-cinquième jour
Mardi matin à Essaouira. Jeudi, Marrakech, Vendredi, Lyon. Hier, au moment de se coucher, m'est venu sans prévenir cette réflexion, « c'était un beau voyage ». C'est une façon, je crois, de commencer la digestion. De chercher une conclusion heureuse.

lundi 14 janvier 2013

Mes carnets du Maroc (57)

Trente-cinquième jour
Les jours défilent. J'ai eu plusieurs fois le sentiment qu'ils se traînaient et puis, cette fois, ils fuient. Place de l'Horloge, à l'ombre d'un énorme caoutchouc. Aujourd'hui je pense à Hadrien C, ce n'est pas normal, je ne devrais pas. Il y a quelques jours, un inconnu a demandé à être mon « ami » sur Facebook. J'ai accepté en pensant bizarrement qu'il devait s'agir du garçon rencontré à Tanger.
Je regarde le profil une fois que j'ai accepté l'invitation. Je me rends compte très vite que ce profil vient d'être créé et que les deux ou trois actions de celui qui se cache derrière sont à l'évidence signées Hadrien C. Je lui ai mis un vent, le voilà qui revient avec le printemps. Et aujourd'hui je pense à sa présence physique, qui me manque. Un très joli spécimen, dont l'aura me captiva sur la plage, excitant mon imagination, soudain me parut sans intérêt, fade, en comparaison d'Hadrien C, dont l'idée s'imposa, crue telle une image, aussi brutale qu'un souvenir, bandante et sublime comme son cul. « Les sentiments c'est quelque chose de très profond » a-t-il  bêtement répondu à un « statut » Facebook. Les sentiments, ça sent racine, oserais-je, ça sent même plutôt le moisi. Le désir, qui me semblait si lointain, soudain lance à nouveau ses hyphes dans ma pensée, dans mon ventre. Dans ma pansée. Panser à Hadrien C., il y a quelque chose en moi qui branle, panser à Hadrien C nu, ça s'écroule. Toute construction interne se délite, comme si tout ne pouvait tenir ensemble que si je fais l'amour à Hadrien C. 


lundi 7 janvier 2013

Mes carnets du Maroc (56)

Trente-quatrième jour
Pas de motivation, aujourd'hui, surtout que j'ai le crâne chauve mouillé par une belle averse. Un moment à regarder des jeunes footballeurs sur la plage, deux ou trois moments cocasses. Le mec que tout le monde interpelait, « Oh Aziz ! », « Aziz, Aziz ! », je peux pas dire, ça me collait le sourire. Le chien qui se balade et qui s'arrête le temps d'un pipi sur la cage, où sont posés les vêtements des garçons, pendant qu'ils se focalisent sur l'action. Le type qui enlève sa chasuble, puis qui joue une phase de jeu avec son vêtement dans la main. Puis il enlève son tricot de corps, découvrant un torse fin et nerveux, et soudain le ballon lui revient, il fonce vers le but, balle au pied, la chasuble dans une main, le marcel dans l'autre. Des musiciens sont passés alors que je sirotais mon thé, ils font la tournée des terrasses, trois fois que je les entends, ces quatre vieux, ils font le spectacle, toujours le même morceau mais ils ne sont pas mauvais du tout. Et ensuite, la pluie.

Trente quatrième jour
La libido. C'est quelque chose que ce truc. Mais qu'est-ce. Pourquoi soudain m'envahit-elle à nouveau. Pourquoi je repère autour de moi tous ces petits culs perchés, les poitrines des garçons, fenêtres ouvertes, les larges sourires ou les airs sombres. Au Dar Saltane, la douceur d'apparence et la voix du serveur me troublent. Hier, dans ce salon de thé caché des touristes, sommet de glauque, le serveur d'une indicible et vulgaire beauté, se chamaillait, avec de grands rires, et un ami à lui très taquin. J'avais bien des difficultés à me concentrer sur mon copain marchand de tapis, Saïd. Qui me paraît seul et triste. A l'image de cet endroit sans fenêtre, qui recevait très mal la télévision, sous une lumière blafarde et des murs en zellige bleue. Nous sirotions un thé à la menthe sur des tables de plastique déjà anciennes, branlantes, on aurait dit des imitations de table. Sept dirhams les deux thés. Saïd veut me faire un tajine, ce soir. Rendez-vous à 19 h, dans la rue de mon hôtel. Un peu peur du poisson bourré d’arêtes, c'est leur truc, les Marocains, de Tanger à Essaouira, le poisson grillé, ou en tajine, qu'ils mangent avec les doigts. Ils s'en régalent, les mufles, et moi je ne peux qu'admirer de loin, leur joie. Pour me venger, faudrait qu'ils me voient gloutonner un bon saucisson de Lyon truffé, ou, ah, oui, cette assiette de cochonnailles chaudes au comptoir du vin, accompagné d'un bon verre de côte.