dimanche 23 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (55)

Trente-deuxième jour
La cité de Mogador inspire la nostalgie. Parfait pour la conclusion d'un voyage. J'entrevois des possibilités de discussion avec des gens. Le réceptionniste, dont l'apparence d'ultra religieux ne m'inspire pas que du dégoût. C'est un jeune homme accorte, qui espère me voir rester parce qu'il n'est pas certain d'être payé, s'il n'y a pas assez de clients. Je crois qu'il aimerait bavarder. Tout à l'heure il m'a invité à boire le thé, moi je ne voulais que m'allonger un temps. Devant la porte de l'hôtel, il m'a présenté à un menuisier édenté : « lui c'est un vrai habitant d'Essaouira, un vrai Souiri ». Et le menuisier de se mettre à ricaner, « lui campagne campagne ». Je ne suis pas sûr de comprendre, alors il imite le bruit du pas de l'âne, et ce geste de la main du paysan qui mène la bête, juché sur elle, avec sa baguette. Il a un bon rire, l'artisan, et j'éclate de rire à mon tour. Le jeune Religieux répond c'est du racisme ça, qu'est-ce que tu as contre les gens de la campagne, c'est nous qui donnons à manger aux gens. Toujours l'humour taquin des Marocains.
Dans la rue, un autre artisan, avec une gueule bizarre, la mâchoire semblant vouloir se détacher de son visage. Il éprouve d'ailleurs apparemment des difficultés pour parler. Dans son espèce de placard, il fabrique des petits objets de marquèterie en thuya. Il m'a montré une photo de lui pendant son apprentissage, en 1982. Un très beau jeune homme de quatorze, quinze ans. Putain. Ce que le temps nous fait. Il connaît deux ou trois mots de français, je ne sais si nous pourrions avoir une discussion. Et puis son objectif est sans doute de me vendre une boîte. Toujours dans la même rue, il y a un marchand de tapis qui m'a abordé en passant, je lui ai dit que je n'étais pas intéressé. Et quand même, comme tout se disait dans la bonne humeur, lorsque je suis repassé, il était en train de fermer boutique, nous avons échangés de nouveau. J'ai pu lui dire que s'il éprouvait des difficultés à lier amitié avec des Français, j'en avais beaucoup quant à moi avec les Marocains. Ah bon ? Oui, ils croient tous que je suis riche, il n'y a donc pas moyen d'avoir une discussion sans qu'à la fin on me demande de l'argent. Ah bon ? Oui, à un moment ou à un autre, le Marocain va tenter de me vendre quelque chose. « Ah ! Vendre ! Pas faire la manche. Vendre, acheter, c'est pas pareil, c'est la vie ». Mais il a fermé boutique, cette fois, donc, je le quitte, et il me lance, passe-donc, moi, je ne te demanderai pas d'argent.

Trente-troisième jour
Pas d'eau, pas d'eau. C'est la première fois depuis que je suis au Maroc. Andy m'a révélé qu'il y avait eu deux coupures d'eau pendant mon séjour chez lui à Aït Benhaddou. Mais il avait prévu la chose dès la construction de sa maison en faisant enfouir deux citernes de béton hydrofuge de huit et deux tonnes. Il y avait même adjoint des filtres achetés à Montpellier afin que l'eau soit vraiment potable pour tout le monde. J'espère prendre une douche, ce soir, en attendant je me suis aspergé de parfum, non que ce soit utile, je ne pue pas encore, mais en souvenir de mon voyage dans l'Europe de l'est à peine libérée de la tutelle soviétique, où je refusais les douches froides, et plus encore les douches collectives. Du coup,à l'époque, j'ai passé cinq ou six jours sans me laver. Je m'aspergeais de déodorant (eau sauvage d'Hermès tout de même) et j'appelais ça ma douche.

Trente-troisième jour
Journée sereine, sans trop de pression. J'attends le départ, peut-être, comme s'il n'y avait plus d'enjeu. Me laissant porter, j'ai rencontré Bertrand, un Breton de Paris, à la pâtisserie Chez Driss où j'ai pris mon petit-déjeuner. J'ai revu le port, j'ai lu Don Quichotte et j'ai rit tout seul au milieu de la plage. J'ai croisé le petit marchand de tapis qui fermait boutique et nous sommes allé tout deux boire un thé. Dans un endroit bien caché des touristes. Et le quittant, à proximité de nos deux habitations, le gros qui m'alpague chaque fois que je passe devant son restaurant, m'aperçoit et je n'ai pas la force de refuser. J'entre, je commande un tajine qui s'avère très bon, pour 30 dh, et deux musiciens gaouas sont installés à côté de moi. Ils se mettent à jouer. Le gros est en joie. Moi aussi. En fait, l'endroit a une âme, il est animé, par la bienveillance et la bonne humeur de ce jeune Monsieur. Et voilà qu'il chante, et une fois que les musiciens se sont tus, il hèle en anglais, en espagnol, avec un sourire souiri, les derniers touristes perdus. Les musiciens reprennent des airs entraînants et le voilà qui danse.

vendredi 21 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (54)

Trente deuxième jour
Je rentre dans une semaine. Ça me paraît tôt.
Il ne faut pas anticiper, Ouam.
Savoir garder l'esprit occupé par l'espace qui se découvre, en ce moment, à lui. Et peut-être aux rencontres, aux esprits qui feraient le même effort, ou la même absence d'effort. Pour l'instant j'erre dans la médina d'Essaouira. Les commerçants te sollicitent, comme un peu partout, mais sans agression. La proximité de l'océan apporte des odeurs, ce fond sonore régulier, et les gabions veillent sur les toits. J'ai fait un tour au port, j'avais aperçu les chalutiers rentrer une heure ou deux avant, l'agitation était encore à son comble, d'autant qu'un bateau partait. Je cherchais un endroit ou me poser pour admirer tout ça, ne trouvant pas, je me suis à nouveau enfoncé dans les venelles terreuse et achalandées de la médina, j'ai fait un tour sur les remparts hérissés de canons fabriqués à Barcelone en 1781. C'est à cet endroit que j'ai rerpéré une ou deux terrasses de restaurant, et j'avais faim, il se trouve. Mais j'ai résisté, j'ai cherché et trouvé mon hôtel ou j'ai dormi quelque heure. Mais le premier réflex, au réveil, je suis allé sur une de ces terrasses. Et voilà l'histoire du jour.

Rien n'égale en beauté, en sérénité, pour l'instant, ce moment au café Hafa, à Tanger, les guêpes s'acharnant sur les restes sucrés de mon thé à la menthe, le détroit juste en face. J'attends de vivre une inoubliable seconde encore, avant la France. Je dois fixer l'horizon, laisser blanchir et s'enrager l'océan sur les récifs entourant Essaouira. Ce soir, un ciel parisien sur la plage, l'Atlantique semble calme, sauf un moutonnement régulier, au large. Un escadron de mouettes grisâtres plane au-dessus de ma tête et l'une d'elle se met à courser un albatros. Le pauvre et grand oiseau des mers a une plume de travers, et c'est à croire que c'est ce qui lui est reproché, sa mauvaise tenue. Entre le port et la plage, des nués d'oiseaux, je ne sais s'ils cherchent tous de la nourriture. Cela n'empêche d'ailleurs pas le plaisir de se laisser porter ainsi par la bourrasque. J'ai trouvé une terrasse intéressante, un muret pour les pieds, que vient lécher l'eau. Un thé à la menthe pour me réchauffer. Ce thé m'est comme un compagnon maintenant. Il me manquera.


lundi 17 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (53)

Trente-et-unième jour
Tout est mouillé. Le coussin sur lequel je suis assis, la table, sont poisseux. Et ma chambre sent l'humidité. Je suis sur la terrasse, face à la lune, dont la lumière frappe une volée de flèches argentines. Un albatros lâche son cri de grosse mouette et le vent, qui pourtant me nourrit d'un souffle de large et m'oblige à me couvrir, ne contrarie pas sa course. L'océan qui s'éclate à quelques mètres, en lignes blanches successives, s'approchent en hurlant des remparts d'Essaouira.

Trente-et-unième jour
Le quatrième mur de ma chambre est une baie vitrée sur l'océan. Une terrasse presque privative, tout simplement parce que je suis seul à l'étage. Il y aura probablement du passage, sinon, dans la semaine. Une jolie chambre avec des carreaux en terre cuite, un plafond de bois à l'ancienne. Des poutres maîtresses par deux, des troncs polis. Des linteaux, toujours par deux, branches principales. Puis une multitude de bâtons, à l'image du treillage de roseau d'Aït Benhaddou. Le tout repeint avec un goût douteux, le même vernis que celui d'un chalet sur ma montagne, en Savoie. Le lavabo est en terre cuite, avec des motifs, tel un vase, soutenu par une pierre polie. La douche est italienne. Et si le luminaire part un peu en lambeaux, au moins, il y a une lampe de chevet. « Les Marocains ils ne comprennent pas les Européens ils veulent lire avant de dormir, ja, et consulter leur guide, c'est normal, et les Marocains ils disent non non non, pas dépenser 3 dh pour ça ». L'indignation d'Andy, son accent proverbial, son outrance, sonnent encore à mes oreilles. J'ai quitté Aït Benhaddou avec émotion ce matin. Simon me disait viens vivre ici, je te trouve un terrain, une femme, la vie sera paisible et on sera voisins. Ils se sont bien occupé de moi, pour que j'obtienne un taxi, et Khadija me faisait tu devrais rester encore, j'ai acheté du poisson. Je n'ai pas vu la mignonne Maria, je lui aurais bien dit au revoir, un petit bisou.


dimanche 16 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (52)

Trentième jour
Instructive discussion du matin. Andy évoque la jeune femme noire, car pour être sombre de peau, elle l'est. Elle descend des esclaves noirs de la région qu'on appelait les Haratines. C'est un mot qui est dérivé de Hams, « cinq », et qui exprime la fraction un cinquième. Il faut s'imaginer que le grand' père de la femme qui ne cesse de me mater depuis quelques jours était le Haratine du grand' père de Khadija. L'esclave. L'aide apportée par cette jeune femme et par l'ensemble des membres de sa famille, que ce soit ici à Tigami Khadija (« la maison de Khadija ») ou dans la maison que j'ai visitée hier, n'est, en conséquence, pas salariée. Mon hôte autrichien baisse le ton pour me révéler que les relations entre les deux familles perdurent, non plus tout à fait de maître à esclave, mais dans leurs rapports économiques. Le terrain cultivé par les descendants des Haratines appartient aux descendants de leurs maîtres. Il y a donc chaque année une fête du partage des récoltes, comme du temps de l'esclavage. Quatre mesures pour les propriétaires. Une pour les Noirs. Un cinquième, exactement ce que les Haratines touchaient lorsqu'ils étaient esclaves. Les femmes noires participent aux tâches réservées aux femmes dans la maison des propriétaires, les hommes cultivent, sans autre salaire que ce partage annuel. Je sens bien qu'en me soufflant cette histoire, Andy est révolté, honteux. Ce matin, il avait envie de vider sa besace. Le rapport des Marocains avec l'argent et le travail l'exaspère, lui qui fait construire sa maison depuis près de neuf ans. Un exemple. Un ouvrier qui se faisait payer 100 dirhams par jour, Andy lui propose de le payer 130 dh brut s'il veut la sécurité sociale, donc avec une cotisation retraite et une cotisation maladie. Hors de question pour l'ouvrier, car en net, il passait à 80 dh. « Non il veut l'argent tout de suite, il ne pense pas à l'avenir, il veut l'argent » Répète Andy. Bien sûr, si le système d'assurance n'est pas généralisé dans le pays, on peut comprendre l'ouvrier en question qui a pu se demander si on ne voulait pas l'enfumer. Mais c'est une constatation que j'ai été obligé de faire aussi, le Marocain veut l'argent. « Il veut autant d'argent qu'un Européen, mais il veut pas travailler comme un Européen, c'est problème, ça ». Les horaires de présence, les exigences des clients, les finitions... tout semble compliqué à obtenir. Andy me raconte qu'il accueillait un couple de pompiers nîmois depuis trois ans quand il les a confié à un guide du coin. Celui-ci avait une course à faire dans un village, alors il a voulu changer l'itinéraire prévu avec les pompiers. Ceux-ci ne se sont pas laissé emmener, exigeant que soit respecté leur contrat. Le guide est parti au village qu'il espérait rejoindre en les plantant au beau milieu de la montagne. Andy est allé récupérer les clients, il lui a fallu deux jours. Autant dire qu'on ne voit plus la queue d'un pompier nîmois ici. Ce qui est regrettable. « Si tu as besoin de matériel de construction, tu dois loué un pick up. Seulement aujourd'hui il y a des contrôles routiers pour vérifier que tu as la vignette et une assurance. Les Marocains ils refusent de payer, donc, plus de pick up ! ». Et lorsque tu réussis à en avoir un, on t'oblige à accepter les services d'un chauffeur qui se contente de conduire et ne bouge pas le petit doigt pour t'aider. Tu dois donc embaucher deux gars à Ouarzazate, et deux autres à Aït Benhaddou. Ensuite, tu dois les payer chacun son tour. Hors de question de demander à l'un de payer les autres avec ce que tu lui donnes. Il prendrait l'argent et ne le partagerait pas. Si tu ne payes pas tout de suite, et c'est valable pour le maçon par exemple, ils seront devant chez toi tous les jours jusqu'à ce que tu payes. « Si c'était parce qu'ils en ont besoin pour nourrir leur famille... mais non non non ! » s'insurge-t-il encore. « Combien vont boire l'argent et ensuite leur femme vient à la maison demander la farine un peu ». « Et la femme il vient chez toi parce que tu es Européen, donc riche ! ». « Ils vont boire la Maïa » (l'eau de vie de figue). Andy, cela fait trente-cinq ans qu'il connaît ce bled, et il y a encore des gens qui croient qu'il est riche.
Andy continue : « Les femmes elles aiment bien venir ici, elles m'aiment bien, tu sais pourquoi ? » J'ai peur de deviner, car je commence à sentir un peu ce qui se passe, dans les familles. Il y a deux ans, il s'est battu avec un frère de sa femme qui venait de lever la main sur une de leurs soeurs, et qui proclamait « J'aime taper sur ma sœur et sur ma femme ». « Casser mes lunettes, ja ». « Plus venu depuis, le frère, plus venu, ça, non ».
Alors qu'il me racontait tout cela une femme est entrée, une voisine proche, et comme Khadija était au souk, il l'a congédiée rapidement. « Cette femme, beurk », me fait-il, armé d'une vilaine grimace. C'est une femme qui s'invite dans la cuisine de Khadija et sa sœur et lorsqu'elle aperçoit Andy elle donne ses ordres, faites le thé pour Andy, demandez-lui ce qu'il veut manger ce soir... En gros elle vient mettre la pression de la tradition sur les femmes de la maison. « J'aime pas cette femme », et son ton trainant et dégoûté ne laisse pas de doute à ce sujet. 

jeudi 13 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (51)

Trentième jour
Au seizième jour, j'en étais à 6100 dh de dépense. À quoi s'ajoute, depuis :

Fès 
hôtel 150 x 2
bouffe 200
visite 50

Méknès : hôtel 100 x 2
bouffe 150
voyage 100

Marrakech 
hôtel 250 x 2 + 150
bouffe 250
Arnakech 350
voyage 100

Ouarzazate 
hôtel 200
bouffe 25
voyage 80

Aït Benhaddou : 
hôtel et bouffe : 150 x 4
voyage 200

Pressing 75 + 30 (Marrakech et Aït Benhaddou)

Tiens, j'ai oublié deux nuits à Chef Chaouen.

Chef Chaouen : 
hôtel 120 x 2
bouffe 200

Dépenses depuis le seizième jour : 3990 dh. Bon ce qui me mène à environ 10000 dh de dépenses totales depuis le premier jour, voyage aller retour en avion compris. Dans les neuf cent et quelques euros, j'arrondis à 1000. Je suis dans les temps, et ceci sans vraiment faire gaffe. L'idéal serait maintenant de ne pas dépenser plus de 3000 dh maintenant, jusqu'à la fin du voyage. 300 dh par jour, c'est faisable.

Trentième jour
Ce matin pas de pain au petit déjeuner. A la place, un tas de petits beignets bombés que Khadija appelle « des cripes berbères ». Ce sont en fait des carrés de pâte qui ont gonflés dans l'huile bouillante. Ce qui donne des espèces de poches vides dans lesquelles tu fourres de la confiture ou de l'amelou. Pas mal, mais un abeugras.
Je remarque que la super copine de Khadija, une belle femme à la peau très brune, « du village d'à côté » me la présentait mon hôtesse avant-hier, ne cesse de me regarder. Depuis plusieurs jours. Ce serait sûrement une solution pour mes problème de ménage, chez moi. Pourtant je sens que le mariage avec elle ne serait pas une bonne idée. Cela lui ferait sans doute perdre son flambant sourire, et ne devrait pas faire renaître le mien.

jeudi 6 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (50)

Vingt-neuvième jour
Rencontre avec une petite fille de 3 ans. Au départ, nous échangeons des gestes, et déjà elle fait retentir son rire coquin. Et puis j'apprends que cette si jolie gamine est la fille de Khadija et Andy. Alors je recommence en allemand : Wie heisst du ? Elle s'appelle Maria, et nous allons jouer pendant des heures, avec mon stylo, puis avec une orange. Et tout à l'heure, Khadija m'invite chez ses parents, et nous allons y aller avec Maria. Cette môme me fusille en me prenant par la main, et m'achève, ensuite, en me sautant dans les bras.

Vingt-neuvième jour
Je visite ainsi une maison immense, traditionnelle, en pleine rénovation. D'abord j'entre par les enclos. La famille entretient un modeste troupeau de vaches, dont je m'aperçois que toutes ont vêlé. Dans deux enclos des brebis et des moutons, cinq ou six bêtes, pas d'avantage, ailleurs un clapier plein de lapinots, avec leur mère, et des poules caquètent ici et là. Nous passons une porte et c'est la maison proprement dite. Cela me rappelle les récits de Coraline, lorsque sa grand' mère vivait calle Los Campos, et d'ailleurs, dans cette même rue de Vega, il y a encore deux ans, un vieil homme adorable vivait de cette façon, à côté de sa vache, de ses poules, de son clapier. Ce qui va une nouvelle fois me rappeler l'Espagne, c'est la cuisine, celle que Khadija « l'ancienne cuisine », avec sa cheminée. Enorme, elle prend peut-être 20 % de la surface, et dessous, deux fours à pain dont on me montre le fonctionnement. Je découvre ainsi que chaque matin, le pain que je mange encore chaud est fait ici. Je me disais bien qu'il était délicieux. Ce sont deux fours en terre, chauffés au feu de bois. L'un d'eux est classique, on enfourne la pâte grâce à une pelle en bois, un peu à la manière des pizzaïolos. Le deuxième fait un pain différent, je crois que c'est celui qui lève le plus, il est moins brûlé. Ce four est surmonté d'un plat en terre cuite, qui est chauffé à rouge avant qu'y soit coulé la pâte à pain. Quand le pain est cuit, on verse un peu d'eau pour le décoller de son moule. Il y a bien, donc, une cuisine moderne, qui commence à faire son âge et des escaliers en ciment, tout neufs il me semble, mènent à l'étage. Et là c'est une enfilade de chambres en construction. « Mais... vous voulez accueillir des touristes ici ? » demandé-je avec je dois dire beaucoup de candeur. « Non, tu sais, la famille... » me répond Khadija. Elle a un frère à Paris, une sœur à Leipzig et d'autres sont restés au Maroc, bien sûr, « alors il faut pour tout le monde ». Elle me précise un peu plus tard qu'elle a eu un terrain de ses parents pour construire cette maison où elle m'a accueillit, que ses frères et sœurs ont eu des morceaux de la maison de famille, dans le Qsar, mais que ce sera plus simple quand toute la famille pourra se réunir de ce côté de l'oued Mella, l'oued salé, dont les crues, souvent, coupent le vieux village du nouveau. Une volée d'escaliers plus haut est une des plus belles vues du village, sur le Qsar, l'oued, les montagnes, une splendeur que ne cesse d'admirer le père, dans son fauteuil roulant, toute la journée. Nous redescendons, Yalla, et elle me montre le tout nouveau salon, qui vient d'être terminé, et elle n'est pas peu fière. Elle a raison. Les plafonds sont ornés de motifs sculptés dans le stuc, un travail d'une finesse étonnante, pas très loin de la surcharge, sauf que non, c'est un salon marocain, entouré de banquettes bleues, agrémentées de coussins confortables, et dont l'impression générale se partage entre le luxe des décors et la simplicité du mobilier. J'ai vu de nombreuses imitations, au Maroc, dans des restaurants pour touristes, en particulier, de ses ornements, dont les modèles sont à trouver dans les palais et, par exemple, dans la Medersa Bou Inania, à Fès, qui, en la matière, surpasse tout. Chez les parents de mon hôtesse, la vérité est que le travail des artisans est bien beau, réussi, à mon sens.

mercredi 5 décembre 2012

Mes carnets du Maroc (49)

Vingt-neuvième jour
Simon est moins présent, il m'a prévenu, si tu as besoin de compagnie, n'hésite pas, tu demandes Simon. Il ne veut pas s'imposer alors il est fantômatique. Je discuterais volontiers avec lui, mais sa future femme, je le sens, m'en voudrais. Ils ont peu de temps ensemble, elle bosse beaucoup, ici, da,ns la maison de sa soeur, tandis que lui promène sa bedaine et sa casquette blanche dans le village et sur les montagnes. Il m'a dit sa surprise de se voir ainsi me raconter sa vie, il ne le fait jamais. C'est un homme affable, mais solitaire. Il se « parle à lui-même », pense beaucoup. « Les gens savent, on se dit bonjour, mais ils respectent la distance ». Cette réserve lui vient probablement de sa visite des enfers. Quand il travaillait à Rabat, son mentor, le colonel, le conseille sur sa carrière et selon lui, s'il voulait évoluer, il lui fallait changer de service. Il le dirige vers un autre militaire, colonel-major, qui l'embauche dans une équipe qu'il est en train de former. Et la carrière de notre Simon décolle, comme promis, jusqu'à ce que soit créé, pour lui, un poste de directeur du service. Seulement, Simon n'est plus au palai, même s'il est toujours en contact avec les chevaux du roi et il continue de croiser le souverain et sa famille. Il continue aussi de voir un homme, qu'il connaît depuis longtemps me dit-il, un Français, qui fut le grand ami d'Hassan II et qui avait alors l'oreille de Mohammed VI. Il avait l'affection de ce Responsable de la Maison du roi (si j'ai bien compris la fonction), qui était aussi son protecteur. Mais à plus de 70 ans, le français tombe malade et doit se faire soigner en Europe. Simon est alors un directeur respecté, bien payé, marié, père de deux filles. Le colonel-major décide de profiter de ce moment. Il licencie Simon sans préavis ni indemnité. Du jour au lendemain, il se retrouve sans travail, mais ce n'est pas tout. Sa femme, voyant cela, fuit chez sa mère, puis divorce, emportant avec elle les meubles et... leurs filles. Obligé de déménager, il va à Casa. Il trouve un appartement, juste en face d'un cabaret. Commence une période de laisser-aller, il se perd dans l'alcool et la solitude, erre dans la ville, fume des cigarettes depuis ce temps-là.
Il me dit aujourd'hui qu'il doit ouvrir, dans quelques jours, une boutique de tapis berbères à Aït Benhaddou. En attendant, je dois dire que ce ne sont pas les cadences infernales. Mais son grand projet, son rêve, c'est un centre équestre, si le gouvernement lui cède un terrain qu'il convoite. Pour les touristes et aussi pour les tournages qui ne manquent pas dans la région, il y en a d'ailleurs un en ce moment dans le Qsar, sans chevaux. Un film modeste, rien à voir avec Alexandre ou Gladiator, ou Sodome et Gomorrhe, le film de 1962 pour lequel les portes en pisé de la ville ont été construites.