Si un lecteur pouvait réussir une traduction de la page de gauche... Ce serait sympathique. Parce que Mouhcine est de bonne volonté, mais l'art de la traduction est difficile...
mercredi 31 octobre 2012
mardi 30 octobre 2012
Mes carnets du Maroc (37)
Vingt-deuxième jour
Je suis dans une gare bien
glauque, celle de Settat, capitale de la région de Chaouia, une
ville étendue, qui donne son nom à une province, et où les
paraboles, depuis mon train, sont plus voyantes que les mosquées.
Toujours ce football, probablement. Barça ou Real. Les gens, ici,
j'imagine, comme à Tanger ou Chefchaouen, ou encore à Fès, se passionnent
pour le championnat d'Espagne. Pourtant, en passant de Fès
à Meknès, j'ai pu constater une frontière, qui n'est plus censée
exister depuis 1956, celle des protectorats espagnol et français.
Car enfin je réussis à me faire comprendre un peu partout, et
surtout au delà de « chambre ? », « oui ? »,
« 100 dh ? » et « petit déjeuner ? »,
« café au lait », etc... et le réceptionniste de
l'hôtel Maroc était aussi souriant que bilingue, le serveur du café
d'à côté aussi, et jusqu'au boulanger qui n'a jamais eu l'air de
douter de ce que je lui demandais. D'ailleurs, pareil, au resto, tout
le monde parlait ma langue, clientèle marocaine comprise. A Tétouan
ou Chefchaouen, ça jaquetait l'espagnol dans tous les coins, je ne
pouvais pas en placer une.
Vingt-et-unième jour
Petit retour sur la
discussion au restaurant avec Jean-Marc, le toulousain. Il était en
vacances au Maroc, et se préparait à prendre, en juin, une année sabbatique. Et pour débuter ces douze mois, il a décidé de faire le
chemin de Compostelle, en commençant par Aix-la-Chapelle, et
jusqu'au bout. J'aime beaucoup cette idée, il y a encore des gens
qui s'imaginent trouver leur vérité, ou au moins la paix,
dans la musique de la marche. J'approuve mille fois et peut-être me
déciderais-je pour un délire de ce type. « Ce qui a changé
ma vie, me dit-il, c'est une vision du grand plateau anatolien, en
Capadoce, Turquie, j'avais vingt ans ». Et depuis lors, il n'a
eu de cesse de bouger, chaque fois qu'il avait des vacances. Il se
préparait en essayant d'apprendre les rudiments de la langue de
chaque destination, le portugais brésilien, le chinois... même s'il
confesse que la méthode Assimil, pour le chinois, cela ne sert à
rien. Je ne l'ai pas senti non plus connaître beaucoup l'arabe, mais
il est vrai qu'il se passionne pour le Sud marocain, très
francophone. Je pense que tous ces voyages ne pouvaient que lui
inspirer le mépris qu'il semble cultiver à l'endroit de son métier,
vendeur de produits d'assurance. Je le trouve pourtant bien courageux
de quitter tout ça : « Je n'ai ni femme ni enfant, alors,
qu'est-ce qui me retient ? ».
mercredi 24 octobre 2012
Mes carnets du Maroc (36)
Vingt-deuxième jour
Je matais les gens sur le quai de la
gare de Casa-Port, deuxième gare de Casa, après Casa-Voyageurs.
J'allais écrire : que de beauté. Et puis je me ravise.
Qu'est-ce qu'on se ressemble. J'ai bien sûr quelque tendresse envers
le genre que vous savez mais les femmes ne me sont pas indifférentes.
Leur joliesse s'épanouit sous leur châle, en demi-sourires, en
éclats de blancheur, en retenue. J'essaie de ne pas juger cette
propension à se voiler les cheveux, assez générale au Maroc,
disons que la moitié des femmes se voilent. Si je me réfère aux
versets qui parlent de ce voile, je me dis qu'il y a une ou deux
bizarreries. Si je puis me permettre, hein. D'abord, le Coran dit
« des pieds jusqu'à la tête ». Mais ici, la religion
n'est pas réglée uniquement par le Coran, puisque les Marocains
acceptent de prendre en compte les écrits des théologiens (si j'ai
bien tout compris). Donc, va pour le châle. Ensuite, le voile évoqué
par le Coran concerne le règlement de la maison du Prophète. Qui
était un homme spécial, tout de même, il faudrait en tenir compte.
Les femmes voilées se prennent-elles pour les femmes du Prophète ?
Leurs maris peuvent-ils lui être comparé ? La ou les femmes de Tartempion suscitent-elles autant d'envie que celles d'un roi ?
Je me souviens en outre de cette Française, sur France Inter, qui
disait se voiler pour séduire un homme. Je traduirais : pour se
montrer vertueuse aux yeux des hommes dans le but de les séduire.
Mais n'est-ce pas tout simplement un odieux détournement de la
parole du Prophète, qui voulait justement, en voilant ses femmes,
les protéger du regard concupiscent des hommes ?
Bon me voilà encore à me mêler de ce
qui ne me regarde pas. Mais ce sont des questions auxquelles je
voudrais bien qu'un Musulman ou une Musulmane réponde, et en
particuliers un théologien.
Mais pour conclure, je crois qu'il faut
juste dire combien les Marocaines et les Marocains sont normaux. Des
gras, des ridicules, des beaux. Des fiers, des apeurés, des
tâtonnants. J'en ai vu quelques fois se disputer, cela peut-être
très violent. Je me souviens en particuliers d'une femme et d'un
homme, à la fermeture du Souk de la rue Sight Taka (nom chopé sur
un plan mal foutu), à Fès, l'homme a frappé sans la moindre
retenue, d'abord la mère, ensuite la fille qui venait à la
rescousse. Il faut dire que la dame est arrivée en l'invectivant
depuis l'autre bout de la rue, elle s'est jetée sur lui pour le
taper, et elle s'est pris une vieille dérouillée, le mec ne s'est
pas dit un instant les femmes, on les frappe avec des roses (du côté
de la fleur si possible). Dans le même genre, un homme de haute
stature s'est déchaîné, rue Mohammed V, à Casa, sur un vieil
homme en chasuble jaune fluo qui lui avait dit deux mots à la
portière de sa BMW. Le géant est sorti de sa caisse, et vlan. Les
coups partaient depuis loin, et tombaient chaque seconde avec une
précision incroyable sur le visage du vieux, qui chancelait, comme
abasourdi, et ne cherchait d'ailleurs pas à fuir. C'était Jésus le
vieux, il tendait l'autre joue, puis l'autre, puis encore l'autre.
Tout à l'heure, des femmes se sont déchirées dans le wagon, sans
en venir aux mains, mais c'était juste. Et j'ai d'autres exemples.
Pourtant les Marocains me semblent globalement très gentils,
charmants, souriants avec les étrangers, moqueurs et complices entre
eux. Je pense qu'ils doivent être beaucoup dans la retenue. Une vie
consacrée pourtant à la survie, pour la plupart, une âpreté de
l'existence que je ne peux qu'imaginer. Et puis parfois les digues
cèdent...
mardi 23 octobre 2012
lundi 22 octobre 2012
Mes carnets du Maroc (35)
Vingt-et-unième jour
Marrakech, demain. Je crains la foule
dans le train, mais c'est la seule solution. Six heures de train en
vue, donc. Départ prévu à 11 h 24.
Vingt-deuxième jour
Rencontre fortuite, hier soir, dans un restaurant,
avec Jean-Marc, un Toulousain. Grand voyageur, âgé de 47 ans, il a
exploré déjà tous les continents. Et là il revenait de l'Atlas.
Il m'a fait douté de mon itinéraire en me conseillant d'aller droit
vers El-Rachidia, et plus loin, dans la montagne. Mais il ne m'a pas
rassuré sur les températures, il a eu bien froid, jusqu'à enfiler
bonnet et gants, une nuit. C'est que la montagne, forcément.... Ce
qui est dingue, c'est que je n'avais pas intégré ce facteur,
l'altitude, tellement j'avais le sentiment, et l'espoir, de faire un
tour en été. Bon je regarde les prévisions météo, je vois de
bonnes températures à Marrakech. Allé, je me bouge, j'ai un train
à 13 h 24.
Vingt-deuxième jour
Je crois que je dois me préparer à un
voyage plus difficile que les autres. Beaucoup de monde, à priori,
peuvent prendre ce train, le 124, qui passe à Rabat, Casa, avant de
replonger vers Marrakech. Pour une fois, il fait chaud et le train en
provenance de Fès sera déjà plein. Les Marocains étant très
habitués à la foire d'empoigne, j'ai un peu peur de me faire
marcher dessus. Pour l'instant je m'éloigne de ceux qui attendent à
l'ombre, histoire de prendre des mètres d'avance, et de fabriquer de
la vitamine D. Six heures de train.
Vingt-deuxième jour
J'ai trouvé une place assise, près de
la fenêtre et dans le sens de la marche. Le miracle. Il y a eu des
passagers debout dans les allés dès l'arrêt suivant. Je lis les
Lettres Persanes. Je ne croyais plus lire un jour un bouquin de
Montesquieu. Et je lis ce texte ancien sur ma liseuse numérique.
C'est un drôle d'effet qu'a eu sur moi la révolution de l'encre
numérique, cadeau de mon frère à Noël. En vérité, l'objet,
d'une haute technologie, d'une extrême nouveauté, ne m'inspire pas
la lecture de textes modernes ou nouveaux. Je crois qu'il manque
encore le livre écrit pour ce support et qui me ferait changer de
discours, mais pour le moment, je constate que le lecteur numérique
convient d'abord aux classiques. J'en veux pour preuve mes deux
expériences, les Confessions de Rousseau, et maintenant les Lettres
Persanes. Dans ses deux oeuvres, j'ai trouvé tellement d'esprit, de
style, d'intelligence, de drôlerie, que je me demande encore comment
j'ai pu m'effrayer à l'idée de les lire. Cependant que je réfléchis
à tout ça, je suis à Casa, ce qui me fait repenser à Jeff.
J'espère qu'il se porte bien.
samedi 20 octobre 2012
jeudi 18 octobre 2012
vendredi 12 octobre 2012
Mes carnets du Maroc (34)
Vingtième jour
Le train, cette fois. Je me sens rodé,
tout se passe au mieux. Je trouve Bab Boujboul, superbe porte ornée
de la médina de Fès, un petit taxi fassi, ils sont rouges, je lui
dis où je vais et cinq minutes plus tard, je suis à la gare. J'y
fais la queue un moment, j'ai mon billet, le train part dans dix
minutes. Puis une demi-heure et je suis à Méknès.
La foire d'empoigne, comme dirait
mamie, ma mamie de Dijon qui est morte il y a quelque chose comme une
douzaine d'années et je pense toujours à elle. Les petits taxis ne
se bousculent pas, mais les clients si. J'en chope un tout de suite,
en m'imposant dans la rue. L'Hôtel Maroc est un superbe endroit.
Ultra propre, ma chambre aux murs d'un vert franchement décrépit,
est parcourut, sur le bas, d'une zellige colorée. Mon lit, à vrai
dire, n'est pas confortable, mais ma fenêtre donne sur les orangers
fleuris du patio, l'atmosphère en est aussi douce qu'un lointain
effluve de parfum de femme, et je me vois écrire des supers bouquins
pornographiques, avec des gars qui lèchent des trous du cul par
exemple, Burroughs style, sur ce petit bureau, juste à côté du lavabo. L'accueil du
réceptionniste est chouette, j'avais envie de lui demander son nom,
et puis ma sympathie pour lui m'a rendu timide.
Première balade dans Méknès. Je me
perds dans Dar Khbira, visite intéressante d'un quartier
d'habitations, traversant une muraille ahurissante d'épaisseur,
puisque par exemple une large rue y a été creusée. C'est
d'ailleurs un autochtone qui m'a guidé gentiment, riant de ma prime
méfiance : « Je ne suis pas un faux guide, hein, faut pas
avoir peur ». Un étudiant en anglais âgé de 42 ans, du coup
fort aimable, et qui me promet, « nous nous reverrons ».
Inch Allah Lotfi.
Puis je suis rentré à l'hôtel avec
des brioches à la fleur d'oranger, un pain au chocolat bizarre, mais
bourratif et cela tombait très bien.
Vingt-et-unième jour
Dans ma chambre après une visite de la
médina. Pas grand'chose à en dire, c'est une médina, vivante mais
pas comme celle de Fès, tellement plus populeuse. Personne n'a
cherché à me guider, c'est une première. Dans ma chambre, je n'ai
pas très envie de bouger. Faire le touriste m'ennuie. Et, de toute
façon, même ici je suis au Maroc. Déjà parce que l'hôtel porte
ce nom. Mais surtout parce que je n'ai pas le sentiment d'habiter
quatre murs, une décoration intérieure déliquescente, une literie
dégueulasse, des draps frais, une chaise rangée sous un petit
bureau recouvert de formica, un lavabo surmonté d'un miroir, deux
ampoules électriques et une descente de lit grise. Et ce n'est même
pas à cause de cette merveilleuse odeur de fleur d'oranger. C'est
que j'habite aussi l'endroit où je suis venu. La porte fermée
n'occulte pas le chemin parcouru. Je peux rester allongé ici, cela
ne change rien, je suis au Maroc.
Cela me fait penser au lièvre de
Patagonie, cette apparition soudaine, nocturne, dans les phares de la
voiture de Claude Lanzmann, et qui lui fait comprendre, intimement,
sensiblement, qu'il est bel et bien en Patagonie. Je me sens à la
recherche de cette émotion-là.
J'ai envie d'aller au sud.
mercredi 10 octobre 2012
lundi 8 octobre 2012
Mes carnets du Maroc (33)
Vingtième jour
Celui qui cherche à se marier, c'est
Mouhcine, le réceptionniste de la Pension Talaa. Très beau garçon,
qui m'a intéressé tout à fait quand il m'a appris qu'il écrivait
de la poésie en arabe. Un poète. Manquait plus que ça. Qui ne sait
comment trouver la reconnaissance, oh la bonne question. Je lui
conseille d'avoir du culot, d'aller voir le patron du café Clock,
par exemple, pour lui proposer une lecture publique de ses poèmes,
et je l'encourage à demander à un ami musicien de l'accompagner. Il
trouve ça complètement dingue. Son rêve à lui c'est de se marier
à une Européenne : « Les femmes marocaines elles veulent
que l'argent », assène-t-il, très méprisant, sans colère.
Il est drôle ce Mouhcine, sur son bureau, il a, grand ouvert, une
méthode photocopiée d'allemand. Il fait une fixette non sur Berlin
ou Francfort, sur Düsseldorf. Pourquoi ? Il n'a pas su
m'expliquer. Mais il adore l'Allemagne... Lui qui parle déjà
couramment le français (en tous cas à peu près, j'en témoigne),
l'espagnol et l'anglais, il apprend l'allemand. Aïcha ne parle pas
ma langue, en revanche, et c'est donc Mouhcine qui fait les
traductions. Elle me dit tout de même qu'elle est payée 800 dh par
mois, et elle est plutôt au 100 heures par semaine, elle ne rentre
que rarement chez elle, autant dire qu'elle n'a aucune vie privée.
Rigolote petite bonne femme d'une cinquantaine d'années,
célibataire, que Mouhcine plaisante avec une sorte de cruauté, mais aussi, puisqu'il plaisante, de la complicité. Elle me demande combien elle serait payé pour ce travail
en France. Je lui parle d'abord du temps de travail réglementé,
puis du salaire minimum obligatoire. Elle me répond, ici aussi, il y
a un salaire minimum, et c'est le double de ce qu'elle touche. 800
dh, j'avoue que c'est très léger, à peu près 75 euros. J'essaie
de traduire en dirhams un smic mensuel, et j'ai comme un peu honte,
environ, 13 000 dh ? Évidemment, la somme paraît bien
rondelette à Aïcha, et je lui parle tout de suite du prix du pain.
Attention, ici la baguette de pain est à 12 dh, en France, elle vaut
120 dh... Et ce prix, Mouhcine et Aïcha, ils trouvent que c'est du
grand délire. Peut-être reparlerai-je ici de Mouhcine, le très croyant. De son art de
la taquinerie, un art très marocain, exercé sur la gentille et
expressive Aïcha, qui pour le punir de ses plaisanteries, fait mine
de lui planter un couteau dans l'oreille, ou le tape avec un
chausson ; exercé, aussi, avec son ami électricien, « qui
n'a pas peur de ça », et il montre une ampoule. Son copain, de
son âge, une vingtaine d'années, très taquin lui aussi, et dont le
rêve est d'aller vivre en France. Je revois Aïcha et Mouhcine
agiter leurs mimines en me souhaitant bon voyage. Le garçon me
demandais si je pouvais trouver un bouquin de Mohammed Darwich en
arabe, dans une librairie lyonnaise, peut-être, mais je ne sais trop
comment te le faire parvenir, petit gars. Si un lecteur pense passer
Pension Talaa...
jeudi 4 octobre 2012
mercredi 3 octobre 2012
Mes carnets du Maroc (32)
Vingtième jour
Pas de respect pour la chronologie dans
ce journal. Avant de raconter la vie des gardiens de la pension Talaa, il faut que j'évoque ma visite de la médina de Fès en
compagnie d'un jeune homme qui me faisait complètement tourner de
l’œil. Et c'est d'ailleurs pour cela que je lui ai donné un
billet de 10 euros à la fin – ce que je n'arrive pas à regretter,
tout en pensant que c'était délirant. Le moment était délicieux.
Le jeune homme m'aborde près du souk du Henna au coeur de la médina.
Je l'envoie paître comme les autres. Je tourne ici, il me dit
« c'est fermé, c'est fermé » et je dois me rendre à
l'évidence que je me suis embarqué dans une impasse. En même
temps, cela m'est égal, c'est le prix de mes tâtonnantes ballades,
sans plan, ni guide. Je m'engage dans une autre rue, il me crie « non
non c'est fermé aussi », et je continue ma route. Des mômes
de six ou sept ans me disent « pas fermé, ouvert, à gauche ».
Je les remercie, je suis leur conseil, presque triomphant, et je me
retrouve... à mon point de départ. Ne reste alors qu'une rue, celle
que cet enthousiasmant et dérangeant jeune homme m'exhortait de
prendre depuis le début. Ce que je fais, très digne. Quelques
mètres plus tard, j'ai oublié ce guide, je me replonge dans
l'atmosphère populeuse, je me fais petit et notamment lorsqu'une
mule chargée de bouteilles de gaz, une bonne dizaine, passe à
petits pas. Je regardeles gens, les vieux cachés sous des capuches
pointues, les femmes sous leurs châles, mais d'ailleurs pas du tout
cachées, coquettes comme des femmes, et les jeunes hommes parfois
si... appétissants ? Osons le mot. A cet instant, je remarque
un très beau spécimen, juste devant moi, je ne dis pas tout l'effet
qu'il produisait sur moi, c'est bien simple, je me sentais prêt à
suivre ce somptueux derrière, ses épaules graciles, cette nuque
douce, la belle énergie, immanente, jusqu'au bout de la Terre. C'était
un moment agréable. Et ce garçon soudain se retourne : « Tu
veux les tanneurs ? ». C'est encore lui. J'ai un coup au
cœur, je ne sais me refuser à lui. Je lui précise bien que je ne
lui donnerai pas un rond, que c'est un principe, lui ne demande pas
d'argent, il me promet. « Tu veux voir les tanneurs ? »
Ce qu'il espère, c'est en fait que les commerçants chez qui il me
mènera réussiront à me vendre un de leurs produits aux prix, je
dois dire, prohibitifs. N'empêche, c'est au milieu d'une troupe de
toutous de toutes origines, sauf marocaine, qu'il est possible de
surplomber les superbes tanneries multicentenaires de Chouira. Tant
pis si le vendeur m'a pris ensuite pour un Américain en me proposant
des vestes à 150 euros, je suis reparti avec les mêmes photos que
les touristes de base, donc des photos que je m'étais promis de ne
jamais faire. Le jeune guide, qui discutait avec les collègues, en
bas, m'a vu passer, et me court après. Il va m'a emmener chez un
épicier, très aimable, déçu de ne rien vendre, mais qui était
bien content de me faire le salamalec jusqu'au bout. On est reparti,
moi toujours attentif à la physionomie du garçon, lui qui devait
cogiter sur la manière idoine pour me soutirer du pognon. Je savais
dors et déjà que j'allais lui donner un billet, et je me rends bien
compte que sa beauté, son attrait, mon désir, allaient me faire
faire quelque chose non malgré moi, mais malgré cette partie
raisonnable de moi qui, je le confesse, prend plus souvent part à
mes décisions que ma sensibilité ou mon désir. Mon beau guide, à l'étrange élégance dans les rues sales de Fès, me
propose d'aller « sur la meilleure terrasse de Fès »
avec « la meilleure vue sur la médina ». Je ne doute
pas, à cet instant, que cette terrasse ne soit celle d'une boutique de je ne sais quel marchand ou ferronnier,
mais j'accepte. Il me fait alors monter toute la médina jusqu'à
un jardin planté de pierres tombales. Personnes d'autre que lui et
moi, sur un muret où il me propose de s'asseoir à son côté. Avec,
donc, cette proximité émouvante, nous avons discuté. Ce môme, car
s'en est un, est en vacances scolaires. Il étudie l'anglais, le
français et la musique. Il connaît un Lyonnais, un mec qui doit
ouvrir un magasin et le faire venir pour travailler « car moi
je sais faire ça, vendre des choses ». Je pense que ce
Lyonnais a dû abuser de ce trop jeune homme, de si douce apparence,
je m'imagine un Français cédant à l'appel de sa bite, mon guide, à
l'instant, essaie de me séduire. Son rêve absolu, pourtant, n'est
pas l'Europe, il me le dit avec une sorte d'extase, de plaisir par
anticipation : « l'Amérique ! ». Bon.
Évidemment, cela ne me plaît guère. Enfin, je m'en fous. Je le
préviens : « Il y a beaucoup de richesses aux USA et en
Europe, mais tu sais, elles ne sont pas partagées ». J'ai
l'impression nauséeuse de faire la leçon. Mais il il retombe un
peu, il dit comprendre, qu'il sait ça. C'est comme le Maroc, il y a
beaucoup de richesses, mais le peuple n'a rien. « Et pourquoi
quand le roi vient à Fès on nettoie les rues de toutes les ordures,
et le peuple, toute l'année il vit dedans ? »
s'indigne-t-il. Il me raconte que le marché public a été attribué
mais « personne il veut payer, alors qu'est-ce que ça veut
dire, tu travailles gratuitement ? En France, quand les gens
ramassent les poubelles ils sont payés oui ? » Je l'aime
bien, ce doux guide. La vue qu'il me propose est grandiose, et je ne parle pas seulement de son sourire, de ses épaules, de ses fesses sous le jean. La médina jaunâtre,
telle une vague, redescend de la montagne, contourne un pic. Et la
nouvelle ville, lointaine, réapparaît derrière, sur un plateau.
Fès est telle une langue qui s'enroule autour d'une dent. Avant
l'horizon perturbé par les monts, une campagne telle que je l'ai
perçue depuis la fenêtre du car, en venant, des champs à perte de
vue. De là, les ordures en sont absentes. Nous redescendons enfin. Il rit beaucoup en me montrant une
écurie bourrée d'ânes, qu'il qualifie de « taxi de la
médina ». Il me dit de prendre des photos, mais non, je ne
veux pas. Les photos qui pourraient faire passer la misère comme
charmante, je m'en méfie. Je suis satisfait de pouvoir raconter
cette réalité, mais je vois trop les jolies images surannées que
je pourrais en tirer, les clichés touristiques agaçants. En vérité,
la frontière est difficile à établir. Nous nous sommes séparé,
finalement, le garçon était dans un état de joie impossible à
contenir quand je lui ai tendu le billet rouge. Peut-être faut-il coucher, d'habitude, pour un billet. Maintenant, on est
frères, me dit-il. Tandis que je pensais plutôt le demander en
mariage. L'année prochaine, quand j'en aurai le droit.
lundi 1 octobre 2012
Mes carnets du Maroc (31)
Dix-neuvième jour
Hier, vendredi, le jour chômé des
musulmans, le café Clock était fermé, au grand dam de mes amis de
circonstance. Et tout à l'heure, retourné à l'hôtel, je demande
un conseil, un café avec la wifi, et le mec me dit d'aller au café
Clock. Alors moi je crois que c'est un endroit sympa, il n'y a pas de
raison. J'y suis, là, maintenant, je viens de finir une Harira dont
je pense qu'elle est sortie d'une boîte de conserve ou d'une brique.
Très décevante au regard de celles que j'ai aimé à Tanger ou Chef
Chaouen. Mais bon, cela fera un dîner raisonnable. En revanche, le
cadre est superbe, c'est le concept du café marocain élégant. Pensé par un Américain, pour tout dire. Sous
bassement en zelliges, d'ailleurs non, pas tout à fait, plutôt des
mosaïques, je crois qu'il faut faire la distinction. Hauts murs
badigeonnés du tadelakt jaunâtre de Fès, ornementations de stuc
sculptées autour des fenêtres, plafonds en structure pyramidale, en
bois de cèdre, sculpté et peint comme il se doit. L'endroit est
confortable, les serveurs accueillants et la clientèle presque
exclusivement occidentale. Évidemment les prix sont pour beaucoup
dans cette ségrégation. 35 dh la Harira, c'est le prix d'un
couscous sur la place Uta El Hamam, à Chef Chaouen. Maintenant, j'ai
aussi vu le coca à 10 dh, un prix observé un peu partout. Sont
forts ces américains. Je viens de penser qu'en plus il risque de
pleuvoir cette nuit, et demain matin. Je suis marron, moi, avec cette
chambre sur la terrasse. Ah ça y est, il pleut !
Vingtième jour
J'ai décidé de filer sur Meknès.
Histoire de faire la tournée des cités impériales avant de voir le
sud. J'espère trouver le soleil et un coin tranquille. Peut-être
même un coin de plage, du côté d'Essaouira, plus tard. Pour
l'instant, je tiens mon budget, mais je me rends compte que plus je
vais dans le sud, surtout les cités impériales, plus les prix y
sont élevés. Alors, à Fès, j'ai trouvé une piaule à 150 dh,
mais je mange pour 150 dh aussi, dans la journée. Rien de
mirobolant, un peu moins de quinze euros, mais c'est au dessus de mon
rythme de dépenses idéal. À Meknès, j'escompte une chambre à 250
dh à peu près. Une bonne nuit dans un bon lit.
Sylvain et Sylvaine sont allés à l'aéroport en fin de matinée, et c'est drôle, les saluer de loin dans leur taxi,
c'était comme si c'était moi qui partais, à nouveau. Le même déchirement, la même excitation. Et le sourire qui me prend par surprise quand je me retourne vers la ville. Mais je papote, je papote, alors que je
suis dans la pension Taalâ, toujours à Fès, en compagnie de mes
deux nouveaux amis.Ce sont les gardiens du lieu. Leurs
prénoms, il faudra que je me les fasse répéter quelques fois avant
de les retenir, il s'agit de Mouhcine, le réceptionniste, qui glandouille pas mal, toute la journée, entre deux prières, et Aïcha,
la femme de ménage, responsable de la lessive, et de tout ces trucs de bonne femme.
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