mercredi 31 octobre 2012

Le poème de Mouhcine, gardien de la pension Talaa, à Fès

Si un lecteur pouvait réussir une traduction de la page de gauche... Ce serait sympathique. Parce que Mouhcine est de bonne volonté, mais l'art de la traduction est difficile...

mardi 30 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (37)

Vingt-deuxième jour
Je suis dans une gare bien glauque, celle de Settat, capitale de la région de Chaouia, une ville étendue, qui donne son nom à une province, et où les paraboles, depuis mon train, sont plus voyantes que les mosquées. Toujours ce football, probablement. Barça ou Real. Les gens, ici, j'imagine, comme à Tanger ou Chefchaouen, ou encore à Fès, se passionnent pour le championnat d'Espagne. Pourtant, en passant de Fès à Meknès, j'ai pu constater une frontière, qui n'est plus censée exister depuis 1956, celle des protectorats espagnol et français. Car enfin je réussis à me faire comprendre un peu partout, et surtout au delà de « chambre ? », « oui ? », « 100 dh ? » et « petit déjeuner ? », « café au lait », etc... et le réceptionniste de l'hôtel Maroc était aussi souriant que bilingue, le serveur du café d'à côté aussi, et jusqu'au boulanger qui n'a jamais eu l'air de douter de ce que je lui demandais. D'ailleurs, pareil, au resto, tout le monde parlait ma langue, clientèle marocaine comprise. A Tétouan ou Chefchaouen, ça jaquetait l'espagnol dans tous les coins, je ne pouvais pas en placer une.

Vingt-et-unième jour
Petit retour sur la discussion au restaurant avec Jean-Marc, le toulousain. Il était en vacances au Maroc, et se préparait à prendre, en juin, une année sabbatique. Et pour débuter ces douze mois, il a décidé de faire le chemin de Compostelle, en commençant par Aix-la-Chapelle, et jusqu'au bout. J'aime beaucoup cette idée, il y a encore des gens qui s'imaginent trouver leur vérité, ou au moins la paix, dans la musique de la marche. J'approuve mille fois et peut-être me déciderais-je pour un délire de ce type. « Ce qui a changé ma vie, me dit-il, c'est une vision du grand plateau anatolien, en Capadoce, Turquie, j'avais vingt ans ». Et depuis lors, il n'a eu de cesse de bouger, chaque fois qu'il avait des vacances. Il se préparait en essayant d'apprendre les rudiments de la langue de chaque destination, le portugais brésilien, le chinois... même s'il confesse que la méthode Assimil, pour le chinois, cela ne sert à rien. Je ne l'ai pas senti non plus connaître beaucoup l'arabe, mais il est vrai qu'il se passionne pour le Sud marocain, très francophone. Je pense que tous ces voyages ne pouvaient que lui inspirer le mépris qu'il semble cultiver à l'endroit de son métier, vendeur de produits d'assurance. Je le trouve pourtant bien courageux de quitter tout ça : « Je n'ai ni femme ni enfant, alors, qu'est-ce qui me retient ? ».

mercredi 24 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (36)

Vingt-deuxième jour
Je matais les gens sur le quai de la gare de Casa-Port, deuxième gare de Casa, après Casa-Voyageurs. J'allais écrire : que de beauté. Et puis je me ravise. Qu'est-ce qu'on se ressemble. J'ai bien sûr quelque tendresse envers le genre que vous savez mais les femmes ne me sont pas indifférentes. Leur joliesse s'épanouit sous leur châle, en demi-sourires, en éclats de blancheur, en retenue. J'essaie de ne pas juger cette propension à se voiler les cheveux, assez générale au Maroc, disons que la moitié des femmes se voilent. Si je me réfère aux versets qui parlent de ce voile, je me dis qu'il y a une ou deux bizarreries. Si je puis me permettre, hein. D'abord, le Coran dit « des pieds jusqu'à la tête ». Mais ici, la religion n'est pas réglée uniquement par le Coran, puisque les Marocains acceptent de prendre en compte les écrits des théologiens (si j'ai bien tout compris). Donc, va pour le châle. Ensuite, le voile évoqué par le Coran concerne le règlement de la maison du Prophète. Qui était un homme spécial, tout de même, il faudrait en tenir compte. Les femmes voilées se prennent-elles pour les femmes du Prophète ? Leurs maris peuvent-ils lui être comparé ? La ou les femmes de Tartempion suscitent-elles autant d'envie que celles d'un roi ? Je me souviens en outre de cette Française, sur France Inter, qui disait se voiler pour séduire un homme. Je traduirais : pour se montrer vertueuse aux yeux des hommes dans le but de les séduire. Mais n'est-ce pas tout simplement un odieux détournement de la parole du Prophète, qui voulait justement, en voilant ses femmes, les protéger du regard concupiscent des hommes ?
Bon me voilà encore à me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais ce sont des questions auxquelles je voudrais bien qu'un Musulman ou une Musulmane réponde, et en particuliers un théologien.
Mais pour conclure, je crois qu'il faut juste dire combien les Marocaines et les Marocains sont normaux. Des gras, des ridicules, des beaux. Des fiers, des apeurés, des tâtonnants. J'en ai vu quelques fois se disputer, cela peut-être très violent. Je me souviens en particuliers d'une femme et d'un homme, à la fermeture du Souk de la rue Sight Taka (nom chopé sur un plan mal foutu), à Fès, l'homme a frappé sans la moindre retenue, d'abord la mère, ensuite la fille qui venait à la rescousse. Il faut dire que la dame est arrivée en l'invectivant depuis l'autre bout de la rue, elle s'est jetée sur lui pour le taper, et elle s'est pris une vieille dérouillée, le mec ne s'est pas dit un instant les femmes, on les frappe avec des roses (du côté de la fleur si possible). Dans le même genre, un homme de haute stature s'est déchaîné, rue Mohammed V, à Casa, sur un vieil homme en chasuble jaune fluo qui lui avait dit deux mots à la portière de sa BMW. Le géant est sorti de sa caisse, et vlan. Les coups partaient depuis loin, et tombaient chaque seconde avec une précision incroyable sur le visage du vieux, qui chancelait, comme abasourdi, et ne cherchait d'ailleurs pas à fuir. C'était Jésus le vieux, il tendait l'autre joue, puis l'autre, puis encore l'autre. Tout à l'heure, des femmes se sont déchirées dans le wagon, sans en venir aux mains, mais c'était juste. Et j'ai d'autres exemples. Pourtant les Marocains me semblent globalement très gentils, charmants, souriants avec les étrangers, moqueurs et complices entre eux. Je pense qu'ils doivent être beaucoup dans la retenue. Une vie consacrée pourtant à la survie, pour la plupart, une âpreté de l'existence que je ne peux qu'imaginer. Et puis parfois les digues cèdent...

lundi 22 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (35)

Vingt-et-unième jour
Marrakech, demain. Je crains la foule dans le train, mais c'est la seule solution. Six heures de train en vue, donc. Départ prévu à 11 h 24.

Vingt-deuxième jour
Rencontre fortuite, hier soir, dans un restaurant, avec Jean-Marc, un Toulousain. Grand voyageur, âgé de 47 ans, il a exploré déjà tous les continents. Et là il revenait de l'Atlas. Il m'a fait douté de mon itinéraire en me conseillant d'aller droit vers El-Rachidia, et plus loin, dans la montagne. Mais il ne m'a pas rassuré sur les températures, il a eu bien froid, jusqu'à enfiler bonnet et gants, une nuit. C'est que la montagne, forcément.... Ce qui est dingue, c'est que je n'avais pas intégré ce facteur, l'altitude, tellement j'avais le sentiment, et l'espoir, de faire un tour en été. Bon je regarde les prévisions météo, je vois de bonnes températures à Marrakech. Allé, je me bouge, j'ai un train à 13 h 24.

Vingt-deuxième jour
Je crois que je dois me préparer à un voyage plus difficile que les autres. Beaucoup de monde, à priori, peuvent prendre ce train, le 124, qui passe à Rabat, Casa, avant de replonger vers Marrakech. Pour une fois, il fait chaud et le train en provenance de Fès sera déjà plein. Les Marocains étant très habitués à la foire d'empoigne, j'ai un peu peur de me faire marcher dessus. Pour l'instant je m'éloigne de ceux qui attendent à l'ombre, histoire de prendre des mètres d'avance, et de fabriquer de la vitamine D. Six heures de train.

Vingt-deuxième jour
J'ai trouvé une place assise, près de la fenêtre et dans le sens de la marche. Le miracle. Il y a eu des passagers debout dans les allés dès l'arrêt suivant. Je lis les Lettres Persanes. Je ne croyais plus lire un jour un bouquin de Montesquieu. Et je lis ce texte ancien sur ma liseuse numérique. C'est un drôle d'effet qu'a eu sur moi la révolution de l'encre numérique, cadeau de mon frère à Noël. En vérité, l'objet, d'une haute technologie, d'une extrême nouveauté, ne m'inspire pas la lecture de textes modernes ou nouveaux. Je crois qu'il manque encore le livre écrit pour ce support et qui me ferait changer de discours, mais pour le moment, je constate que le lecteur numérique convient d'abord aux classiques. J'en veux pour preuve mes deux expériences, les Confessions de Rousseau, et maintenant les Lettres Persanes. Dans ses deux oeuvres, j'ai trouvé tellement d'esprit, de style, d'intelligence, de drôlerie, que je me demande encore comment j'ai pu m'effrayer à l'idée de les lire. Cependant que je réfléchis à tout ça, je suis à Casa, ce qui me fait repenser à Jeff. J'espère qu'il se porte bien.


vendredi 12 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (34)

Vingtième jour
Le train, cette fois. Je me sens rodé, tout se passe au mieux. Je trouve Bab Boujboul, superbe porte ornée de la médina de Fès, un petit taxi fassi, ils sont rouges, je lui dis où je vais et cinq minutes plus tard, je suis à la gare. J'y fais la queue un moment, j'ai mon billet, le train part dans dix minutes. Puis une demi-heure et je suis à Méknès.
La foire d'empoigne, comme dirait mamie, ma mamie de Dijon qui est morte il y a quelque chose comme une douzaine d'années et je pense toujours à elle. Les petits taxis ne se bousculent pas, mais les clients si. J'en chope un tout de suite, en m'imposant dans la rue. L'Hôtel Maroc est un superbe endroit. Ultra propre, ma chambre aux murs d'un vert franchement décrépit, est parcourut, sur le bas, d'une zellige colorée. Mon lit, à vrai dire, n'est pas confortable, mais ma fenêtre donne sur les orangers fleuris du patio, l'atmosphère en est aussi douce qu'un lointain effluve de parfum de femme, et je me vois écrire des supers bouquins pornographiques, avec des gars qui lèchent des trous du cul par exemple, Burroughs style, sur ce petit bureau, juste à côté du lavabo. L'accueil du réceptionniste est chouette, j'avais envie de lui demander son nom, et puis ma sympathie pour lui m'a rendu timide.
Première balade dans Méknès. Je me perds dans Dar Khbira, visite intéressante d'un quartier d'habitations, traversant une muraille ahurissante d'épaisseur, puisque par exemple une large rue y a été creusée. C'est d'ailleurs un autochtone qui m'a guidé gentiment, riant de ma prime méfiance : « Je ne suis pas un faux guide, hein, faut pas avoir peur ». Un étudiant en anglais âgé de 42 ans, du coup fort aimable, et qui me promet, « nous nous reverrons ». Inch Allah Lotfi.
Puis je suis rentré à l'hôtel avec des brioches à la fleur d'oranger, un pain au chocolat bizarre, mais bourratif et cela tombait très bien.

Vingt-et-unième jour
Dans ma chambre après une visite de la médina. Pas grand'chose à en dire, c'est une médina, vivante mais pas comme celle de Fès, tellement plus populeuse. Personne n'a cherché à me guider, c'est une première. Dans ma chambre, je n'ai pas très envie de bouger. Faire le touriste m'ennuie. Et, de toute façon, même ici je suis au Maroc. Déjà parce que l'hôtel porte ce nom. Mais surtout parce que je n'ai pas le sentiment d'habiter quatre murs, une décoration intérieure déliquescente, une literie dégueulasse, des draps frais, une chaise rangée sous un petit bureau recouvert de formica, un lavabo surmonté d'un miroir, deux ampoules électriques et une descente de lit grise. Et ce n'est même pas à cause de cette merveilleuse odeur de fleur d'oranger. C'est que j'habite aussi l'endroit où je suis venu. La porte fermée n'occulte pas le chemin parcouru. Je peux rester allongé ici, cela ne change rien, je suis au Maroc.
Cela me fait penser au lièvre de Patagonie, cette apparition soudaine, nocturne, dans les phares de la voiture de Claude Lanzmann, et qui lui fait comprendre, intimement, sensiblement, qu'il est bel et bien en Patagonie. Je me sens à la recherche de cette émotion-là.
J'ai envie d'aller au sud.

lundi 8 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (33)

Vingtième jour
Celui qui cherche à se marier, c'est Mouhcine, le réceptionniste de la Pension Talaa. Très beau garçon, qui m'a intéressé tout à fait quand il m'a appris qu'il écrivait de la poésie en arabe. Un poète. Manquait plus que ça. Qui ne sait comment trouver la reconnaissance, oh la bonne question. Je lui conseille d'avoir du culot, d'aller voir le patron du café Clock, par exemple, pour lui proposer une lecture publique de ses poèmes, et je l'encourage à demander à un ami musicien de l'accompagner. Il trouve ça complètement dingue. Son rêve à lui c'est de se marier à une Européenne : « Les femmes marocaines elles veulent que l'argent », assène-t-il, très méprisant, sans colère. Il est drôle ce Mouhcine, sur son bureau, il a, grand ouvert, une méthode photocopiée d'allemand. Il fait une fixette non sur Berlin ou Francfort, sur Düsseldorf. Pourquoi ? Il n'a pas su m'expliquer. Mais il adore l'Allemagne... Lui qui parle déjà couramment le français (en tous cas à peu près, j'en témoigne), l'espagnol et l'anglais, il apprend l'allemand. Aïcha ne parle pas ma langue, en revanche, et c'est donc Mouhcine qui fait les traductions. Elle me dit tout de même qu'elle est payée 800 dh par mois, et elle est plutôt au 100 heures par semaine, elle ne rentre que rarement chez elle, autant dire qu'elle n'a aucune vie privée. Rigolote petite bonne femme d'une cinquantaine d'années, célibataire, que Mouhcine plaisante avec une sorte de cruauté, mais aussi, puisqu'il plaisante, de la complicité. Elle me demande combien elle serait payé pour ce travail en France. Je lui parle d'abord du temps de travail réglementé, puis du salaire minimum obligatoire. Elle me répond, ici aussi, il y a un salaire minimum, et c'est le double de ce qu'elle touche. 800 dh, j'avoue que c'est très léger, à peu près 75 euros. J'essaie de traduire en dirhams un smic mensuel, et j'ai comme un peu honte, environ, 13 000 dh ? Évidemment, la somme paraît bien rondelette à Aïcha, et je lui parle tout de suite du prix du pain. Attention, ici la baguette de pain est à 12 dh, en France, elle vaut 120 dh... Et ce prix, Mouhcine et Aïcha, ils trouvent que c'est du grand délire. Peut-être reparlerai-je ici de Mouhcine, le très croyant. De son art de la taquinerie, un art très marocain, exercé sur la gentille et expressive Aïcha, qui pour le punir de ses plaisanteries, fait mine de lui planter un couteau dans l'oreille, ou le tape avec un chausson ; exercé, aussi, avec son ami électricien, « qui n'a pas peur de ça », et il montre une ampoule. Son copain, de son âge, une vingtaine d'années, très taquin lui aussi, et dont le rêve est d'aller vivre en France. Je revois Aïcha et Mouhcine agiter leurs mimines en me souhaitant bon voyage. Le garçon me demandais si je pouvais trouver un bouquin de Mohammed Darwich en arabe, dans une librairie lyonnaise, peut-être, mais je ne sais trop comment te le faire parvenir, petit gars. Si un lecteur pense passer Pension Talaa...

mercredi 3 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (32)

Vingtième jour
Pas de respect pour la chronologie dans ce journal. Avant de raconter la vie des gardiens de la pension Talaa, il faut que j'évoque ma visite de la médina de Fès en compagnie d'un jeune homme qui me faisait complètement tourner de l’œil. Et c'est d'ailleurs pour cela que je lui ai donné un billet de 10 euros à la fin – ce que je n'arrive pas à regretter, tout en pensant que c'était délirant. Le moment était délicieux. Le jeune homme m'aborde près du souk du Henna au coeur de la médina. Je l'envoie paître comme les autres. Je tourne ici, il me dit « c'est fermé, c'est fermé » et je dois me rendre à l'évidence que je me suis embarqué dans une impasse. En même temps, cela m'est égal, c'est le prix de mes tâtonnantes ballades, sans plan, ni guide. Je m'engage dans une autre rue, il me crie « non non c'est fermé aussi », et je continue ma route. Des mômes de six ou sept ans me disent « pas fermé, ouvert, à gauche ». Je les remercie, je suis leur conseil, presque triomphant, et je me retrouve... à mon point de départ. Ne reste alors qu'une rue, celle que cet enthousiasmant et dérangeant jeune homme m'exhortait de prendre depuis le début. Ce que je fais, très digne. Quelques mètres plus tard, j'ai oublié ce guide, je me replonge dans l'atmosphère populeuse, je me fais petit et notamment lorsqu'une mule chargée de bouteilles de gaz, une bonne dizaine, passe à petits pas. Je regardeles gens, les vieux cachés sous des capuches pointues, les femmes sous leurs châles, mais d'ailleurs pas du tout cachées, coquettes comme des femmes, et les jeunes hommes parfois si... appétissants ? Osons le mot. A cet instant, je remarque un très beau spécimen, juste devant moi, je ne dis pas tout l'effet qu'il produisait sur moi, c'est bien simple, je me sentais prêt à suivre ce somptueux derrière, ses épaules graciles, cette nuque douce, la belle énergie, immanente, jusqu'au bout de la Terre. C'était un moment agréable. Et ce garçon soudain se retourne : « Tu veux les tanneurs ? ». C'est encore lui. J'ai un coup au cœur, je ne sais me refuser à lui. Je lui précise bien que je ne lui donnerai pas un rond, que c'est un principe, lui ne demande pas d'argent, il me promet. « Tu veux voir les tanneurs ? » Ce qu'il espère, c'est en fait que les commerçants chez qui il me mènera réussiront à me vendre un de leurs produits aux prix, je dois dire, prohibitifs. N'empêche, c'est au milieu d'une troupe de toutous de toutes origines, sauf marocaine, qu'il est possible de surplomber les superbes tanneries multicentenaires de Chouira. Tant pis si le vendeur m'a pris ensuite pour un Américain en me proposant des vestes à 150 euros, je suis reparti avec les mêmes photos que les touristes de base, donc des photos que je m'étais promis de ne jamais faire. Le jeune guide, qui discutait avec les collègues, en bas, m'a vu passer, et me court après. Il va m'a emmener chez un épicier, très aimable, déçu de ne rien vendre, mais qui était bien content de me faire le salamalec jusqu'au bout. On est reparti, moi toujours attentif à la physionomie du garçon, lui qui devait cogiter sur la manière idoine pour me soutirer du pognon. Je savais dors et déjà que j'allais lui donner un billet, et je me rends bien compte que sa beauté, son attrait, mon désir, allaient me faire faire quelque chose non malgré moi, mais malgré cette partie raisonnable de moi qui, je le confesse, prend plus souvent part à mes décisions que ma sensibilité ou mon désir. Mon beau guide, à l'étrange élégance dans les rues sales de Fès, me propose d'aller « sur la meilleure terrasse de Fès » avec « la meilleure vue sur la médina ». Je ne doute pas, à cet instant, que cette terrasse ne soit celle d'une boutique de je ne sais quel marchand ou ferronnier, mais j'accepte. Il me fait alors monter toute la médina jusqu'à un jardin planté de pierres tombales. Personnes d'autre que lui et moi, sur un muret où il me propose de s'asseoir à son côté. Avec, donc, cette proximité émouvante, nous avons discuté. Ce môme, car s'en est un, est en vacances scolaires. Il étudie l'anglais, le français et la musique. Il connaît un Lyonnais, un mec qui doit ouvrir un magasin et le faire venir pour travailler « car moi je sais faire ça, vendre des choses ». Je pense que ce Lyonnais a dû abuser de ce trop jeune homme, de si douce apparence, je m'imagine un Français cédant à l'appel de sa bite, mon guide, à l'instant, essaie de me séduire. Son rêve absolu, pourtant, n'est pas l'Europe, il me le dit avec une sorte d'extase, de plaisir par anticipation : « l'Amérique ! ». Bon. Évidemment, cela ne me plaît guère. Enfin, je m'en fous. Je le préviens : « Il y a beaucoup de richesses aux USA et en Europe, mais tu sais, elles ne sont pas partagées ». J'ai l'impression nauséeuse de faire la leçon. Mais il il retombe un peu, il dit comprendre, qu'il sait ça. C'est comme le Maroc, il y a beaucoup de richesses, mais le peuple n'a rien. « Et pourquoi quand le roi vient à Fès on nettoie les rues de toutes les ordures, et le peuple, toute l'année il vit dedans ? » s'indigne-t-il. Il me raconte que le marché public a été attribué mais « personne il veut payer, alors qu'est-ce que ça veut dire, tu travailles gratuitement ? En France, quand les gens ramassent les poubelles ils sont payés oui ? » Je l'aime bien, ce doux guide. La vue qu'il me propose est grandiose, et je ne parle pas seulement de son sourire, de ses épaules, de ses fesses sous le jean. La médina jaunâtre, telle une vague, redescend de la montagne, contourne un pic. Et la nouvelle ville, lointaine, réapparaît derrière, sur un plateau. Fès est telle une langue qui s'enroule autour d'une dent. Avant l'horizon perturbé par les monts, une campagne telle que je l'ai perçue depuis la fenêtre du car, en venant, des champs à perte de vue. De là, les ordures en sont absentes. Nous redescendons enfin. Il rit beaucoup en me montrant une écurie bourrée d'ânes, qu'il qualifie de « taxi de la médina ». Il me dit de prendre des photos, mais non, je ne veux pas. Les photos qui pourraient faire passer la misère comme charmante, je m'en méfie. Je suis satisfait de pouvoir raconter cette réalité, mais je vois trop les jolies images surannées que je pourrais en tirer, les clichés touristiques agaçants. En vérité, la frontière est difficile à établir. Nous nous sommes séparé, finalement, le garçon était dans un état de joie impossible à contenir quand je lui ai tendu le billet rouge. Peut-être faut-il coucher, d'habitude, pour un billet. Maintenant, on est frères, me dit-il. Tandis que je pensais plutôt le demander en mariage. L'année prochaine, quand j'en aurai le droit.

lundi 1 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (31)

Dix-neuvième jour
Hier, vendredi, le jour chômé des musulmans, le café Clock était fermé, au grand dam de mes amis de circonstance. Et tout à l'heure, retourné à l'hôtel, je demande un conseil, un café avec la wifi, et le mec me dit d'aller au café Clock. Alors moi je crois que c'est un endroit sympa, il n'y a pas de raison. J'y suis, là, maintenant, je viens de finir une Harira dont je pense qu'elle est sortie d'une boîte de conserve ou d'une brique. Très décevante au regard de celles que j'ai aimé à Tanger ou Chef Chaouen. Mais bon, cela fera un dîner raisonnable. En revanche, le cadre est superbe, c'est le concept du café marocain élégant. Pensé par un Américain, pour tout dire. Sous bassement en zelliges, d'ailleurs non, pas tout à fait, plutôt des mosaïques, je crois qu'il faut faire la distinction. Hauts murs badigeonnés du tadelakt jaunâtre de Fès, ornementations de stuc sculptées autour des fenêtres, plafonds en structure pyramidale, en bois de cèdre, sculpté et peint comme il se doit. L'endroit est confortable, les serveurs accueillants et la clientèle presque exclusivement occidentale. Évidemment les prix sont pour beaucoup dans cette ségrégation. 35 dh la Harira, c'est le prix d'un couscous sur la place Uta El Hamam, à Chef Chaouen. Maintenant, j'ai aussi vu le coca à 10 dh, un prix observé un peu partout. Sont forts ces américains. Je viens de penser qu'en plus il risque de pleuvoir cette nuit, et demain matin. Je suis marron, moi, avec cette chambre sur la terrasse. Ah ça y est, il pleut !

Vingtième jour
J'ai décidé de filer sur Meknès. Histoire de faire la tournée des cités impériales avant de voir le sud. J'espère trouver le soleil et un coin tranquille. Peut-être même un coin de plage, du côté d'Essaouira, plus tard. Pour l'instant, je tiens mon budget, mais je me rends compte que plus je vais dans le sud, surtout les cités impériales, plus les prix y sont élevés. Alors, à Fès, j'ai trouvé une piaule à 150 dh, mais je mange pour 150 dh aussi, dans la journée. Rien de mirobolant, un peu moins de quinze euros, mais c'est au dessus de mon rythme de dépenses idéal. À Meknès, j'escompte une chambre à 250 dh à peu près. Une bonne nuit dans un bon lit.
Sylvain et Sylvaine sont allés à l'aéroport en fin de matinée, et c'est drôle, les saluer de loin dans leur taxi, c'était comme si c'était moi qui partais, à nouveau. Le même déchirement, la même excitation. Et le sourire qui me prend par surprise quand je me retourne vers la ville. Mais je papote, je papote, alors que je suis dans la pension Taalâ, toujours à Fès, en compagnie de mes deux nouveaux amis.Ce sont les gardiens du lieu. Leurs prénoms, il faudra que je me les fasse répéter quelques fois avant de les retenir, il s'agit de Mouhcine, le réceptionniste, qui glandouille pas mal, toute la journée, entre deux prières, et Aïcha, la femme de ménage, responsable de la lessive, et de tout ces trucs de bonne femme.