lundi 8 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (33)

Vingtième jour
Celui qui cherche à se marier, c'est Mouhcine, le réceptionniste de la Pension Talaa. Très beau garçon, qui m'a intéressé tout à fait quand il m'a appris qu'il écrivait de la poésie en arabe. Un poète. Manquait plus que ça. Qui ne sait comment trouver la reconnaissance, oh la bonne question. Je lui conseille d'avoir du culot, d'aller voir le patron du café Clock, par exemple, pour lui proposer une lecture publique de ses poèmes, et je l'encourage à demander à un ami musicien de l'accompagner. Il trouve ça complètement dingue. Son rêve à lui c'est de se marier à une Européenne : « Les femmes marocaines elles veulent que l'argent », assène-t-il, très méprisant, sans colère. Il est drôle ce Mouhcine, sur son bureau, il a, grand ouvert, une méthode photocopiée d'allemand. Il fait une fixette non sur Berlin ou Francfort, sur Düsseldorf. Pourquoi ? Il n'a pas su m'expliquer. Mais il adore l'Allemagne... Lui qui parle déjà couramment le français (en tous cas à peu près, j'en témoigne), l'espagnol et l'anglais, il apprend l'allemand. Aïcha ne parle pas ma langue, en revanche, et c'est donc Mouhcine qui fait les traductions. Elle me dit tout de même qu'elle est payée 800 dh par mois, et elle est plutôt au 100 heures par semaine, elle ne rentre que rarement chez elle, autant dire qu'elle n'a aucune vie privée. Rigolote petite bonne femme d'une cinquantaine d'années, célibataire, que Mouhcine plaisante avec une sorte de cruauté, mais aussi, puisqu'il plaisante, de la complicité. Elle me demande combien elle serait payé pour ce travail en France. Je lui parle d'abord du temps de travail réglementé, puis du salaire minimum obligatoire. Elle me répond, ici aussi, il y a un salaire minimum, et c'est le double de ce qu'elle touche. 800 dh, j'avoue que c'est très léger, à peu près 75 euros. J'essaie de traduire en dirhams un smic mensuel, et j'ai comme un peu honte, environ, 13 000 dh ? Évidemment, la somme paraît bien rondelette à Aïcha, et je lui parle tout de suite du prix du pain. Attention, ici la baguette de pain est à 12 dh, en France, elle vaut 120 dh... Et ce prix, Mouhcine et Aïcha, ils trouvent que c'est du grand délire. Peut-être reparlerai-je ici de Mouhcine, le très croyant. De son art de la taquinerie, un art très marocain, exercé sur la gentille et expressive Aïcha, qui pour le punir de ses plaisanteries, fait mine de lui planter un couteau dans l'oreille, ou le tape avec un chausson ; exercé, aussi, avec son ami électricien, « qui n'a pas peur de ça », et il montre une ampoule. Son copain, de son âge, une vingtaine d'années, très taquin lui aussi, et dont le rêve est d'aller vivre en France. Je revois Aïcha et Mouhcine agiter leurs mimines en me souhaitant bon voyage. Le garçon me demandais si je pouvais trouver un bouquin de Mohammed Darwich en arabe, dans une librairie lyonnaise, peut-être, mais je ne sais trop comment te le faire parvenir, petit gars. Si un lecteur pense passer Pension Talaa...

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