Vingtième jour
Celui qui cherche à se marier, c'est
Mouhcine, le réceptionniste de la Pension Talaa. Très beau garçon,
qui m'a intéressé tout à fait quand il m'a appris qu'il écrivait
de la poésie en arabe. Un poète. Manquait plus que ça. Qui ne sait
comment trouver la reconnaissance, oh la bonne question. Je lui
conseille d'avoir du culot, d'aller voir le patron du café Clock,
par exemple, pour lui proposer une lecture publique de ses poèmes,
et je l'encourage à demander à un ami musicien de l'accompagner. Il
trouve ça complètement dingue. Son rêve à lui c'est de se marier
à une Européenne : « Les femmes marocaines elles veulent
que l'argent », assène-t-il, très méprisant, sans colère.
Il est drôle ce Mouhcine, sur son bureau, il a, grand ouvert, une
méthode photocopiée d'allemand. Il fait une fixette non sur Berlin
ou Francfort, sur Düsseldorf. Pourquoi ? Il n'a pas su
m'expliquer. Mais il adore l'Allemagne... Lui qui parle déjà
couramment le français (en tous cas à peu près, j'en témoigne),
l'espagnol et l'anglais, il apprend l'allemand. Aïcha ne parle pas
ma langue, en revanche, et c'est donc Mouhcine qui fait les
traductions. Elle me dit tout de même qu'elle est payée 800 dh par
mois, et elle est plutôt au 100 heures par semaine, elle ne rentre
que rarement chez elle, autant dire qu'elle n'a aucune vie privée.
Rigolote petite bonne femme d'une cinquantaine d'années,
célibataire, que Mouhcine plaisante avec une sorte de cruauté, mais aussi, puisqu'il plaisante, de la complicité. Elle me demande combien elle serait payé pour ce travail
en France. Je lui parle d'abord du temps de travail réglementé,
puis du salaire minimum obligatoire. Elle me répond, ici aussi, il y
a un salaire minimum, et c'est le double de ce qu'elle touche. 800
dh, j'avoue que c'est très léger, à peu près 75 euros. J'essaie
de traduire en dirhams un smic mensuel, et j'ai comme un peu honte,
environ, 13 000 dh ? Évidemment, la somme paraît bien
rondelette à Aïcha, et je lui parle tout de suite du prix du pain.
Attention, ici la baguette de pain est à 12 dh, en France, elle vaut
120 dh... Et ce prix, Mouhcine et Aïcha, ils trouvent que c'est du
grand délire. Peut-être reparlerai-je ici de Mouhcine, le très croyant. De son art de
la taquinerie, un art très marocain, exercé sur la gentille et
expressive Aïcha, qui pour le punir de ses plaisanteries, fait mine
de lui planter un couteau dans l'oreille, ou le tape avec un
chausson ; exercé, aussi, avec son ami électricien, « qui
n'a pas peur de ça », et il montre une ampoule. Son copain, de
son âge, une vingtaine d'années, très taquin lui aussi, et dont le
rêve est d'aller vivre en France. Je revois Aïcha et Mouhcine
agiter leurs mimines en me souhaitant bon voyage. Le garçon me
demandais si je pouvais trouver un bouquin de Mohammed Darwich en
arabe, dans une librairie lyonnaise, peut-être, mais je ne sais trop
comment te le faire parvenir, petit gars. Si un lecteur pense passer
Pension Talaa...
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