jeudi 21 avril 2011

En rire

Je ne suis pas du genre à rire toute la journée, et de moins en moins. De toute façon ce n’est pas un peu ridicule de rire toute la journée ? La vie ce n’est pas drôle, ce sont les films qui sont drôles, d’ailleurs c’est pour ça que je ne vais jamais au cinéma. Ce n’est pas le moment de rire. C’est la crise, alors j’ai raison, je sais que j’ai raison, je ne vais pas rire pendant que le monde s’écroule. Mes actions France Telecom ont baissé de 50 %, les Bouygues de 40, les BNP Paribas je n’en parle même pas, ça vous mettrait le moral dans les chaussettes et ce n’est tout de même pas le but. Alors les fâcheux pourraient avoir le culot de me dire tu as encore des millions en actions. Mais… que vaut le CAC 40 aujourd’hui ? En 2003, sur les conseils d’un bon ami à moi, Bob, j’ai acheté des Ben Laden Construction Group, qui depuis montaient régulièrement, eh bien en l’espace de quelques jours, elles ont perdu tout le bénéfice de 5 ans de cotation. Non, c’est la crise. Saachi et Saachi c’est bien simple, leurs actions sont tellement bas, bientôt je leur devrai du fric. On a beau dire, les pauvres, tout ça, il y en a qui vont perdre leur emploi, c’est vrai, je compatis. Leur emploi de merde, entre nous, et pour gagner quoi, 2000, 3000 € par mois, parfois moins. Imaginons qu’ils subissent deux ans de chômage, en moyenne. Ça fait combien de manque à gagner, 3000 € fois 12 mois fois 2 ans égal 72000 €. 72000 € c’est ce que j’ai perdu en deux secondes, le jour du Crac. On a beau dire, mais c’est nous qui avons le plus souffert. Alors, bien sûr, les fâcheux pourront bien essayer de m’expliquer que j’ai aussi un gros patrimoine, mais c’est que ça s’entretient un mas dans le Lubéron, et faut voir les impôts fonciers qu’on paye. Non, il faut vraiment poser la question, que vaut notre patrimoine aujourd’hui ? Il n’y a pas de quoi rire. Je fais d’ailleurs une tronche de trois pieds de long, c'est-à-dire que les trois pieds c’est un peu comme si je les avais pris dans la figure, je fais la gueule et j’assume. Si, j’ai quand même souvenir d’avoir souri, cet automne. Je me promenais le long de la Saône, j’avais du vague à l’âme, vous savez, le CAC 40. Sur mon chemin de peine, le vent sifflait un air macabre entre les branches ajourées, un crachin gris cherchait à s’immiscer en moi. Le feuillage pourrissant sous mes pas ne craquait plus, comme refusant de témoigner de mon passage, j’avais froid mais ne le sentais guère, je tremblais, le monde, en ce temps là, tremblait. Le sombre glas du capitalisme tonnait. J’aurais pu sauter dans le cours du fleuve, il était noir comme une nuit, celle que je me souhaite. A cet endroit où l’on ne croise, d’habitude, le soir, que quelque pédé en maraude, j’ai vu deux enfants. Ils se battaient avec rage. C’était tellement drôle.

lundi 18 avril 2011

Macbeth par Massé, la critique parue dans le 491

Comment jouer encore du Shakespeare, le problème est souvent rédhibitoire, pour une jeune compagnie. Pas pour Eric Massé, qui s'est ici laissé mener à Macbeth par son désir de metteur en scène, rien que son désir. Et il a eu raison. D'abord, Eric Massé est arrivé à une maturité de style qui lui permet sans doute d'imprimer sa marque, même à un classique aussi monumental. Dès les premiers instants, on reconnaît, pour s'en réjouir, la patte de l'artiste. Un étonnant manège anime toute la première partie de ce sombre Macbeth. C'est une sorte de tourniquet à plusieurs branches, qui introduit à mon goût comme un peu de cirque, dans le jeu des comédiens, obligés de s'adapter au dispositif. Mais il y a le personnage de Macbeth, le jeu extraordinaire de Manuel Vallade et sa présence explosive. Sa diction, très urbaine, ai-je envie de dire, ce ton à la fois tonitruant et traînant, désabusé comme par nature. Il est bien des moments, je l'avoue, ou j'ai vu venir l'ennui, à Valence, lors de la première, et j'ai souvent aussi pu m'ébaudir du charisme épatant de ce comédien, dont le verbe et l'énergie illuminent la scène pendant plus de trois heures : notamment dans quelques scènes formidables, comme la scène de transe avec les sorcières, sur les percussions spectaculaires de la fort gracieuse Yi-Ping Yang. Lors de la première, à Valence, j'ai été témoin du débriefing de Manuel Vallade avec le metteur en scène. Le comédien doutait de plusieurs scènes, il se plaignait de ne pas avoir trouvé le rythme, il disait « ne pas y être ». Et je dois dire qu'il pointait les moments les plus ennuyeux de ce spectacle, précisément ceux qui me posaient problème. Je ne sais si Eric Massé a pris en compte ces remarques, je l'ai entendu rassurer son comédien, c'est vrai que Manuel Vallade est splendide, on ne peut décemment l'incriminer. Quant aux interventions drôlatiques de Xtatic, aka Xavier Picou, extraordinaire slameur qui ne me paru, à aucun moment, ridicule face à la prose du maître, c'est peut-être en nous proposant ses flamboyantes interventions, coupant le rythme et l'atmosphère de la pièce, que le metteur en scène nous a si souvent obligé à nous re-concentrer sur les intrigues... je me suis perdu quelques fois, mais est-ce vraiment la source de mes bâillements ? Bref. Même si son Macbeth manque parfois de rythme, avec son culot, sa belle scénographie, son excellente distribution, Éric Massé a su créer des moments de théâtre assez denses, de belles images sombres et violentes, qui restent.

samedi 16 avril 2011

Flics de pute ! (Travail en cours)

Enculés ! Les flics. Putes ! Ils sont venus, un soir, à plusieurs et la main sur leurs armes, chez moi. Flics de... putes, va ! Ah ça fait les malins avec un flingue et une casquette, espèces de putes ! Ils sont venus ! Chez moi ! Ils ont dit qu'ils avaient des plaintes et qu'ils voulaient m'entendre. Ben ils m'ont entendu, espèces de putes ! Putes ! Salopes ! C'est mes voisins qui se sont plaints, c'est des salopes, mes voisins, sales putes ! Les flics, ils m'ont entendu. J'ai été super sage. Je leur ai dit je suis très fatigué, des fois, mais je n'en veux à personne, sales putes ! Salopes de putes de merde ! Sur le moment j'ai été surpris, je pensais qu'ils allaient m'arrêter, mais non, ils m'ont dit de me calmer, que c'était juste pour m'entendre, que c'était à cause des plaintes des voisins, que je faisais trop de bruit. J'ai su qu'ils ne savaient rien. J'ai dis d'accord, j'ai un musée personnel, je pourrais vous le faire visiter, vous feriez connaissance avec des personnages hauts en couleur, d'accord, le chef il a dit, une autre fois peut-être, et ils sont repartis. Ces fils de putains ! C'est toujours comme ça, personne ne s'intéresse vraiment à ce que l'autre raconte. Aux histoires de l'autre. Après j'ai fait la tronche aux voisins, de quoi ils se mêlent, les voisins dans mon immeuble, espèces de putes ! Des ombres, qui flottent dans les escaliers quand je sors de chez moi. Des effluves de cuisine, pas plus, une brume malodorante, ils n'ont pas d'histoire ces putes, les gens sans histoire ne sont rien, ne pèsent rien, ils flottent, on les aperçoit à peine, et ils disparaissent, et c'est incroyable c'est incroyable d'apprendre ensuite par inadvertance qu'ils existent, d'apprendre ça par les flics.

lundi 4 avril 2011

Ecriture, photographie et homosexualité

Au détour d'une lecture, je trouve un article signé Hervé Guibert, intitulé L'homosexualité. Il dit ce que je me tue à répéter à mes amis qui me demandent pourquoi il y a toujours de l'homosexualité dans mes textes. Je le reproduis ici : 

- La plupart de vos récits suintent l'homosexualité...
- Comment voulez-vous qu'ils ne suintent pas ? Ce n'est pas que je veuille la dissimuler, ni que je veuille la ramener avec arrogance. Mais c'est la moindre des sincérités. Comment voulez-vous parler de photographie sans parler de désir ? Si je masquais mon désir, si je lui ôtais son genre, si je le laissais dans le vague, comme d'autres l'ont fait plus ou moins habilement, j'aurais l'impression d'affaiblir mes récits, de les rendre lâches. Ce n'est même pas une affaire de courage (je ne milite pas), il en va juste de la vérité de l'écriture. Je ne saurais pas vous dire cela plus simplement : l'image est l'essence du désir, et désexualiser l'image, ce serait la réduire à la théorie...

Hervé Guibert in L'image fantôme (éd. de Minuit, 170p, 14 euros)