jeudi 22 décembre 2011

François Beaune n'aime pas Alexandre Petit

(Entrevue réalisée pour le ...491 d'octobre 2011)

Avec son premier roman, Un homme louche, chez Verticales, François Beaune était l'auteur surprise de la rentrée de septembre 2009, et les éloges critiques semblèrent alors atteindre des sommets, puisqu'on l'entendit même comparé à la Nausée de Sartre, à cause de ce brillant concept de sous-réalité. Deux ans après, l'auteur croix-roussien s'est remis de ce tonnerre médiatique auquel il fit fasse, et surtout il s'est remis au travail. Une résidence à Manosque, l'année dernière, lui a permis de terminer ce nouveau roman, Un ange noir, toujours chez Verticales, qui est la confirmation de son talent et, j'en ai l'impression assez vive, la promesse de romans de plus en plus beaux. Le jeune homme annonçait un polar et, oui, s'il fallait classer absolument chaque livre dans une rangée spécialisée, disons qu'il s'agit d'un polar. Les codes propres au genre sont à peu près respectés, puisqu'il y a bel et bien un cadavre, un suspense, et une enquête. Mais le suspens, intelligent et maîtrisé, n'est ici qu'un effet de manche, c'est une « dramaturgie » conçue, nous confie François Beaune, « pour le plaisir de la lecture ». Elisa est morte dans son bain, entourée de dizaines de canards en plastiques, et serrant contre elle un doudou tâché de sang. Le suspect numéro 1, en fuite, s'appelle Alexandre Petit, 37 ans, dont le prénom dit assez bien, je crois, qu'il n'était pas désiré, et c'est lui qui va mener l'enquête. La police écarte très vite l'hypothèse de sa culpabilité, mais, sur sa lancée, lui continue sa cavale. Ce vieux garçon a une personnalité limite, de celles qui pourraient être autrice d’œuvres d'art brut, d'ailleurs c'est lui qui signe la plupart des pages de ce livre. Et tout se lit comme si l'auteur nous donnait à lire le texte de son personnage, le texte d'un homme lettré, écrivain, avec ses tics de langages, mais aussi ses emportements, ses trouvailles, son lyrisme et, je crois, son beau style. Alexandre Petit est xénophobe, méprisant, moralisateur, et idéaliste. Il se nourrit de fruits au sirop subtilisés aux Restos du cœur où il est bénévole et c'est aussi un employé de la Sofres très au courant des statistiques dont l'écriture focalise de plus en plus sur sa mère... Quelques questions à François Beaune.


Le personnage de ce livre est un homme dont on pourrait s'amuser à dire qu'il est louche, à l'instar de Jean-Daniel Dugommier...

Ah peut-être, mais autant le personnage d'un homme louche pourrait être un ami, autant Alexandre Petit est tout ce que je déteste. Ce sont deux figures complémentaires, deux solitudes, avec leurs univers bien à eux et surtout, leurs façons très personnelles d'appréhender le réel. Tandis que l'un observait le monde en cherchant à le comprendre, l'autre, l'ange noir, est idéaliste, et cherche à changer le monde. Il a des délires de pureté, il croit en une nature des choses, que la société ne respecte pas... ce qui fait de la réalité, telle qu'il la perçoit, quelque chose de dégoûtant. Il est dans une frustration permanente, finalement c'est un indigné, mais un indigné tout seul, avec une haine de soi qu'il projette sur tous les autres.

En effet, Alexandre Petit fait partie d'un groupe d'humains, selon ses propres mots, « conçus à perte par la nature », mais que la médecine moderne a réussi à sauver... ce qui donne aujourd'hui une société des « ni faits ni à faire », critique-t-il. Mais dans ses colères, il a le verbe haut et souvent, je trouve qu'il fait mouche, non ?

Oui, il faut bien qu'il ait quelques fulgurances, comme celle qui l'amène à dénoncer la laideur des enseignes bon marché parce qu'il croit que la laideur est calculée pour attirer les pauvres et que le marketing associe la laideur aux prix bas. C'est aussi quelqu'un qui ressemble aux gens de sa génération, il a de beaux diplômes, obtenus brillamment, et il n'est qu'un petit employé de la Sofres. Tant de gens, aujourd'hui, font des métiers sans rapport ni avec leur compétence, ni avec leur désir.
L'écrivain prend-il un certain plaisir à se mettre dans la peau d'un personnage aussi allumé ?

Aucun. J'ai passé un hiver assez pénible, à Manosque, avec lui, un sacerdoce. Pour réussir ce personnage, il me fallait être en empathie avec lui et franchement, l'expérience fut intéressante, mais pas jouissive. Je n'aime pas Alexandre Petit. 

Un Ange noir, éd. Verticales, 280 p, 17,90 euros 

mardi 20 décembre 2011

Pas d'inquiétude, le livre de Brigitte Giraud, pas politique ?

Je dois avouer que je ne suis entré dans l’œuvre de Brigitte Giraud qu'à petits pas. J'ai rencontré l'autrice lyonnaise avant même de lire une ligne d'elle, pour le boulot, je l'avais trouvée sympathique et j'avais peur de penser du mal de son écriture, je n'aurais pas forcément su faire le faux-cul, par la suite. Je me suis risqué d'abord en 2010 à lire Une année étrangère, surtout parce que j'avais rencontré Brigitte Giraud plusieurs fois à la Croix Rousse, et qu'un jour, peut-être six mois avant la publication de ce roman, elle m'avait dit, enfin, tu sais, ça y est, j'écris, j'ai trouvé deux mois pour m'isoler, ça y est, je vais écrire. Dans ses yeux, dans toute l'expression de son visage, j'avais cru voir de la joie, comme un doute qui s'était enfui. C'était la preuve, pour moi, que Brigitte Giraud n'écrit pas pour amuser la galerie, jamais. En effet, la lecture d'Une année étrangère fut un choc. Je n'ai jamais pensé de ce roman qu'il était un "grand livre", ou un "chef d’œuvre", ces deux mots n'exprimant d'ailleurs que l'impuissance à critiquer, qualifier un texte. Mais j'ai eu la certitude que Brigitte Giraud était une "grande autrice".

Une "grande autrice", déjà parce qu'elle possède une voix, qui est sa voix, et dont l'ampleur, la beauté, me saisi plus encore dans Pas d'inquiétude. Sa phrase est simple, sans afféterie, sans emportement, sa musique s'installe au creux de moi, sa langue vibre en moi, c'est doux mais pas seulement, cela peut être terrible, descendre dans mon ventre, à la source de tant de primitives inquiétudes. L'idée de ce roman lui vient quand elle entend à la radio une anecdote, l'histoire d'une usine où les ouvriers ont cotisé leurs jours de RTT au profit d'un des leurs, qui n'avait plus un jour à prendre, mais qui avait un môme malade à la maison et aucun moyen de le faire garder. Brigitte Giraud, à partir de cette anecdote, sans chercher à enquêter, tisse un roman magnifique, implacable.
Si vous interrogez Brigitte Giraud sur ses intentions, elle vous répondra qu'elle se sent incapable d'écrire un livre politique. Et il est vrai que Pas d'inquiétude n'est pas, à proprement parler, un essai politique. Une famille vient d'emménager dans une maison d'un lotissement, avec son bout de pelouse qui donne directement sur un ruisseau. Mehdi, le petit, tombe malade. Cet accident dans le continuum de la vie de chacun est immédiatement le révélateur absurde du contexte social, des humiliations contingentes, mesquines, subies par cette modeste famille. L'autrice me semble ici d'une cruauté sidérante, tellement je crois voir, dans les pensées du père, à nu, aussi bien que dans l'enchaînement des faits, et des micro-événements, une vérité profonde, c'est à dire une vérité qui va au-delà d'une réalité de surface, puisque au moment où je suis touché, dégoûté, révolté, j'en exprime une idée. Quand la mère obtient le soutient de son patron, Brigitte Giraud évoque la jalousie que cela provoque dans les bureaux, la solidarité dans l'usine que le père a bien du mal à assumer. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'autrice, sans donner de consigne de vote, prend position, claire et nette. La description est lucide, désespérante, je sais que certains lecteurs, rendus à leur impuissance, ont lâché le livre ici. Le début, à cause de ce révélateur ultra-violent de la belle langue, est d'une densité incroyable, mais il me sera difficile, de toute façon, jusqu'à la dernière page, de reprendre mon souffle. Je ne suis pas loin des larmes, plusieurs fois, j'ai de vieilles révoltes qui se réveillent lorsque je lis, sans caricature, la culpabilisation de l'employée, de l'ouvrier, dans leur travail, celle des parents par le médecin. Ce que cela provoque dans le couple, les tensions, les désirs, l'absence de désir, le besoin de l'autre ou son rejet, ce que cela implique pour la grande sœur de Mehdi, plus seule que jamais au moment le plus difficile de sa jeune existence. Le père construit un mur pour contenir les crues du ruisseau, au pied de son terrain : en vain. La charge émotionnelle du récit est telle que je ferme le livre quelques fois. Pour l'ouvrir aussitôt, car Pas d'inquiétude, qui est donc bien le contraire d'un livre sans politique, est de ceux qui ne vous lâchent pas, à cause de cette voix posée, claire, le style sans esbroufe et sans pathos de Brigitte Giraud dont le débit régulier, quoique musical, n'en a pas terminé, pas encore, s'il vous plait, pas encore, avec moi... 

Pas d'Inquiétude, de Brigitte Giraud, chez Stock, 270 p, 19 euros.

vendredi 18 novembre 2011

Enfance, profonde

En ce printemps pluvieux s’épanouit la fleur comburante. Mes sublimes Van’s bleues électriques donnent des signes de fatigue, elles pompent l’eau des flaques avec un chuintement qui manque de classe. Dernière sortie pour elles, j’en ai peur. Les trottoirs luisant sont déserts, je traîne les lambeaux blancs de mes jean’s et ma musique jusqu’à l’arrêt de bus Opéra. Non, je ne me balade pas avec du plastique dans les oreilles, je chante. Je chante, je pense à toi. J'ânonne des airs improvisés. Je ne saurais autrement te susurrer ces mots d’amour, irradiants, piquants, puissants, qui me sont autant de shoots violents et des appels, y’a quelqu’un ? Eh y'a quelqu'un ? C’est presque comique, je connais des gens qui croient qu’il y a « toujours quelqu’un », une sorte de foi que je n’ai pas, pourtant je ne peux m’empêcher de chercher à sentir ta présence, non loin, ton sourire, ta confiance. Dans les transports en communs, je croise la stupeur magnifique d’une petite troupe d’adolescentes, un homme à la grâce involontaire qui les toise, la touchante fatigue d’une vieille dame qui, peureuse, se détourne. Tandis que je m’éloigne du centre de Lyon, avachit sur un siège, le paysage s’abîme, s’effrite et la vitre du bus, striée de vergetures translucides, me glace le front. L’orage s’énerve, je me sens bien au milieu de ce maelström hypnotique, je chantonne, je dois faire l’effet d’un fou à mes quelques compagnons de voyage mais qu’importe. Et si l’un d’eux, lui, le garçon, venait à me reconnaître, à aimer le petit air récurrent qui s’installe autour de moi ? Il se poserait, précautionneux, sur le siège libre, pour m’écouter. Je chante pour lui. Ou bien pour ce petit garçon qui n’a pas peur de s’étonner, de l’autre côté de la vitre, nous nous regardons un instant. Il courrait en riant, il s’arrête, le temps de ce curieux échange. Combien de fois ai-je ainsi rencontré un peu plus que le regard d’un môme, tiens, le sourire me gagne. J’aime apercevoir ainsi, par exemple sous la pluie, au coin d’une rue ou d’un jardin, ces petits animaux de désirs. Je me souviens le feu sous la peau, sous les sourcils et la tignasse brune, dans le K-Way froissé, dans les bottines. Je le sais, seul en moi le sentiment de toi saurait imiter ce juvénile embrasement. Encore quelques arrêts.

samedi 12 novembre 2011

La paix la paix la paix la paix

Un porno, un dial sur la toile, un bouquin. Rien ne me remplit comme le souvenir de mon danseur. La bière et les copains ne parviennent pas plus à vaincre mon sentiment de solitude, je suis pris de vertige, plusieurs fois. Je perds toute concentration, je comprends à peine ce qu’on me raconte. Accoudé au coin du bar, je crois que mon sourire est bien penaud et les copains font mines de ne pas s’inquiéter. Les conversations m’échappent, elles glissent sur ma raison, je pense au vide qui résonne en moi, qui brimballe comme une vase. Si je pouvais isoler cet espèce d’aller-retour incessant entre mon bide et ma tête, en ce vase-clos, une balance de Roberval. Elle hésite, sans fin. La pesée de mon néant. Tandis que mes organes remués, révoltés, écœurés, voudraient fuir par tous les trous.
« La peau.
- Hein ? »
La peau. Suffit-elle à contenir tant d’absence. Mon danseur. Lui dire au revoir fut un déchirement. J’ai depuis à nouveau ce sentiment non de manque, mais d’absence.
« Eho, t’es là ? »
Je crois à une sorte d’amarrage du désir. Il se projette, éclabousse le monde et puis, un jour, il se fixe, selon une mystérieuse et fort complexe combinaison de déterminismes.
« Il est amoureux ou quoi ?
- Ouam ? Il est saoul »
Je suis un bateau plein de bière, j’essaie de prendre le large. Cela me confronte à mon infinitude, à mon unicité éclatée, à ma solitude en expansion. Tiens, oui, en expansion, car je suis l’univers, je ne le découvre pas à l’instant.
« La peau. »
Ma peau n’est qu’un sac, je sens bien que mes organes cherchent une sortie, ils pressent, tels des blocs d’excréments prêts à jaillir, mes organes gonflent, bougent, se tordent, se débattent et j’ai grand’ peine à les contenir.

« Féria de Nîmes, la bodega Chez Jany bondée, je danse. Dalida, un truc dans le genre, plutôt drôle. Je remarque un garçon et soudain il danse à côté de moi. Il me tourne autour et bon je fais ma timide. Un mouvement de foule, le garçon en profite pour me toucher, en fait il me prend dans ses bras. Cela ne dure que quelques secondes. Quelques secondes de paix. »

vendredi 4 novembre 2011

Do you know Bruce Benderson...?

Je retombe sur ce petit mot signé d'un très grand auteur américain, un petit mot qui, on le comprendra, me mouille encore le slip.

25 déc. 2008, 00:59

J'ai regarde votre texte et je l'aime bien. Normalement je ne suis pas tres attire par la litterature erotiqe, mais dans le cas de votre, il y a un rythme et une simplicite et une clarte que j'aime.
bien a vous,

Bruce

C'était à propos de Premier Jet.

mercredi 5 octobre 2011

L'interview de l'écrivain


« Bonjour, vous avez été élu l'auteur le plus romantique par les lectrices de Daily Dame, vous êtes traduit dans plus de 18 langues, le succès ne se dément pas.
- Bonjour, oui j'aime les histoires d'amour, c'est vrai, je n'écris que des histoires d'amour, si les femmes me plébiscitent, ce n'est pas pour rien, je crois.
- Pourquoi les femmes sont friandes de ce genre de littérature ?
- Parce que. Les femmes n'ont peut-être pas la vie qu'elles veulent, qu'elles ont pu espérer. Je crois.
- Pourquoi, à votre avis ?
- Parce que. Les hommes ne sont pas à la hauteur... Non, laissez tomber. Pardon. Pardon.
- Pardon ?
- Les hommes, les femmes, c'est l'éternel sujet, n'est-ce pas. Alors les femmes sont comme-ci, les hommes sont comme ça... Tout cela me paraît un peu vain. On raconte de belles histoires aux filles, on leur parle encore de princesse et de mariage, on leur dit que faire des enfants, c'est ce qui les réalisera en tant que femme. Elles croient ce qu'on leur dit, elles se marient, elles font les femmes accomplies quand elles ont enfanté, elles jouent leur rôle et après tout, ce doit être plutôt confortable, de savoir où on va. Et puis un jour, un jour, ce n'est plus ça. Elles savent qu'elles ont manqué quelque chose d'essentiel. Une vraie histoire.
- Et les hommes ?
- Les hommes. Les hommes. Je ne sais pas. Il y a ceux qui se sont mis à aimer leur confort, et peut-être leur femme, en tous cas leur famille, je pense que certains se complaisent dans leur rôle de gardien du troupeau ou un truc approchant...
- De gardien ? Du troupeau ?
- Oui, la famille. Et il y a ceux qui, au bout de cinq ans de mariage commencent à se dire, mince, les histoires qu'on racontait aux gamines, eh bien, en faits, elles n'étaient peut-être pas si bêtes, cinq ans avec la même nana, ça doit être la femme de ma vie, pas possible autrement.
- Dans vos romans, et singulièrement dans le dernier, Rachel, les maris délaissent souvent leur femme...
- C'est ça, c'est en tous cas l'impression que les femmes ont, d'être délaissées.
- Ce ne sont jamais les femmes qui délaissent leurs époux ?
- Non mais c'est des bêtises, les femmes, les hommes. Il y a bien la culture qui entre en jeu, et donc l'éducation, forcément sexuée. Le désir s'exprime comme il peut, il me sors par tous les trous, et je le canalise en cherchant à le nommer, à le diriger, avec les moyens de la culture. Par exemple, il est impossible de savoir, mais n'écrivez pas ça, hein, ce n'est pas intéressant. Il m'est impossible de ressentir ce que je ressentais... à l'époque... Comment dire. Le passé, je sais qu'il est possible de s'y installer, de se laisser séduire, parfois, tu es le serpent à sonnette, et les jolies histoires qu'on t'a raconté, c'est le fakir et sa flûte, ces jolies histoires, elles te désarment.
- Vous voulez dire que vous êtes hanté par votre passé ? Quelles histoires vous hantent ?
- Aucune, enfin, je crois. En tous cas pas celles que je raconte dans mes livres. Voyez-vous, s'il y a un écrivain qui n'est jamais autobiographique, ah ah ah ! Mais je me verrais bien changer tout ça. Je vais écrire autre chose, ce sera un peu trash, je vous préviens.
- Vous êtes resté assez secret, sur vous, sur votre passé...
- Oui mais c'est du passé, voilà, du passé. J'aime l'idée du passé comme une continuation du présent. Pas le contraire, hein. J'aime l'idée d'une histoire qui ne fait qu'un avec le présent, je voudrais que le présent ne puisse se concevoir qu'ainsi, en mouvement, en construction, donc aussi bien, l'avenir est de la même nature que le passé, ce sont des potentiels que le présent réalise. Je vous ennuie avec mes histoires.
- Non non !
- Si si ! Je vous comprends, mon histoire, c'est juste la moins intéressante du monde, c'est pour cela que je ne la raconte jamais. J'ai bien deux ou trois souvenirs sympas, des beuveries, des rigolades, des vacances, avec les copains…
- Racontez-voir...
- Les copains. On avait décidé de s’inscrire en fac de Droit pour devenir avocat, juge des enfants, président de la République ou je ne sais quoi. Nous mangions, chantions, rigolions, discutions mais pas tant que ça de politique, on était ensemble. Ouais, sûr que c’était le temps de l’amitié. Seulement il y avait un hic. Un point de détail, comme dirait l’autre, je vivais une histoire, secrète, qui m’est aujourd’hui une souffrance et qui se jouait au quotidien pendant cette grande époque. Un drame que je ne ressentais pas comme tel, peut-être parce qu’il ressemblait tellement au bonheur ?
- Vous voyez bien que vous avez vécu des choses spéciales...
- Non mais rien de très spécial.
- Alors, de quel drame parliez-vous ?
- J’aimais. »

mercredi 27 juillet 2011

Déroute à Monop'

Maintenant les carottes
quoi les carottes
Bien euh c'est sur la liste
ah oui, la liste
Dans la sauce, les carottes
ah
Oui, dans la sauce

les carottes, avec les patates
c'est sur la liste ?
non, les carottes, à côté des patates
ah d'accord
au rayon frais
ah d'accord
à côté des navets et des champignons
des navets ?
Oui. Et des champignons

Tu passes le coin des promotions
les miniprix je connais
et il y a un îlot de bouteilles de vin
je sais
et puis c'est
je sais

Pense aux tomates
pour la sauce aussi
oui pour la sauce
elles sont où
À côté des
non
Si, si, à côté des
non ne le dis pas
à côté des carottes


mardi 21 juin 2011

Médée Moi

J'invoque ici le soleil, mon aïeul, j'invoque ses dards sans merci, qu'ils percent, tranchent, coupent, hachent, mâchent, broient les jours de Jason, jusque dans la vieillesse, qu'ils lui brûlent chaque minute en chaque petit cube de sa viande de fils de chienne un remord plus intense. Jason l'Argonaute, mon époux, naquit un jour de mes crimes. Mes crimes, mon amour. J'ai tué pour toi, héros. Alors vois.

Je suis l'étrangère, mais en tous lieux. Jason, tu me chasses ? As-tu vu roussir au sein de son palais la jeune peau de ta fiancée ? As-tu senti les si merveilleuses odeurs de cochon grillé qui, alors, s'en dégagèrent ? C'est moi qui fit sa robe mortuaire, piégée, le tissu qui la consuma, elle et son père. Jason, tu me répudies ? Je suis une chienne errante, je n’ai plus de chez-moi, je n’ai plus de pays. C’est cela, renoncer à la famille, à l’espoir, c’est s’obliger au mouvement. Je vais prendre la route, ainsi que tu l'ordonnes. Plutôt ça que la mort. Je suis mortelle, bien que magicienne, ah Jason ! Je t'ai immunisé contre les flammes et les sabots d'airain des taureaux de Pélias. Ah ah ! Et les filles de ce roi félon ! Elles ont découpé leur papa, puis l'ont fait cuire dans un chaudron avec des faines de carottes, on savait rire, non ? Regarde-moi Jason, mes sorts sont si peu de chose. C'est par la grâce de mes couteaux que je suis l'égale des dieux.

Je te fais l'amour une dernière fois, n'as-tu jamais eu davantage le désir de me prendre. Je fais l'amour comme un meurtre. Je tue, j'éradique. J'élimine tout ce qui, en toi, fut héroïque. J'assassine les garçons que tu aimais. J'efface ce que tu dois à notre amour. Je donne naissance au monstre. C'est le monstre que j'enfante avec toi, c'est ce monstre qui mange les garçons que tu aimais. Et ce monstre vit. Son haleine, son souffle n'est déjà plus qu'un puissant effluve émanant du ventre crevé de ma première proie. Ô bel étranger, mon fils, timide et doux, quel monstre, à l'instant, naît sur la couche où tu te tords. Ce monstre qui te traque, t'expulse en un spasme, c'est tellement beau, et moi le monstre m'aspire, me possède. Qui s'étonne ainsi du monstre, de sa beauté bruyante. Je suis là, je suis bien là, je vais jouir de ça, d'être là.

Le premier je l'éventre. Le deuxième, je l'égorge. Mon enfant meurt en formant sur ses lèvres des mots d'amour, Jason. Des mots comme des baisers. Le monstre est un dieu muet. Il s'égosille en silence. Sa gorge halète du sang au lieu des phrases qui s'y perdent. Il n'expire pas, il coule.

Eh l'homme ! C'est moi qui fais toi, tu comprends ? Je suis Médée, je suis l'amour, je fais les rois, je les défais.

mercredi 1 juin 2011

L'autre, à ma surface (suite et fin)

Ce bonheur, que j'appelle bonheur par souci de communication, mais qui est bien plénitude, momentanée, qui est unité, identité, est peut-être dans la certitude de se trouver sous la protection d'une force vitale, éveillée, amicale, virile, maternelle, et qui m'appelle, Ouam ! Ou alors je veux simplement que tu viennes, que tu te déshabilles. Tu me veux et c'est la raison de ta présence. Tu te poses sur moi, tu me prends les lèvres et mes mains collent à ton dos, enfin je te respire.

Longtemps après le lycée, j'expérimente les corps, la peau des autres. Je touche. Je serre. Je caresse et je griffe, je goûte. Je hume. Je serre fort, je plaque sur moi les corps. Des autres. Et c'est comme si mes boyaux trouvaient enfin leur place, le poids du corps de l'autre me calme, mes tripes enfin ne cherchent plus à sortir de moi, ni mon cervelet, l'autre à ma surface me circonscrit, et, me limitant, m'individualise, me met au monde.

Plutôt que d'aller au lycée, ce beau matin de pleine lumière, tu viens me réveiller. Tu es au pied de mon lit d'enfant, je me suis redressé, tu as les bras ouverts et le rire franc. Je souffle un bon coup ça va pas non, tu m'as fait peur. J'ai un rire inexplicable et, d'ailleurs, inexprimé. Un rire dans moi comme un oiseau, pas encore blessé. Moi, sous ton regard et assez parfaitement moi.

(Inspiré de Fucking Western, roman, pour une lecture aux Envolires, le 28 mai 2011 dans la tour de Crest)

lundi 30 mai 2011

L'autre, à ma surface (suite)

Dans ce lit je rêve, parfois. Souvent j'ai des cauchemars. Un cauchemar. Il faut dire que je ne digère pas très bien, je n'ai jamais très bien digéré, mais je nie jusqu'à l'absurde avoir des
troubles du sommeil je dors très bien, à cette époque. Ma chambre est doublée d'une mezzanine où je tiens presque debout et c'est là que j'ai mis mon lit. Un escalier de bois, qui sonne clair, y mène.

Ce sont des pas dans l’escalier qui m’alertent, trois coups clairs secs sur les marches de bois, l'inconnu qui me veut du mal monte à la mezzanine, il va très vite, je me redresse, frissonnant d’horreur à l’idée d’apercevoir le personnage façonné d’ombre, je pense que je dors, je sursaute, il me faut lutter pour me réveiller, lutter pour me réveiller, l'inconnu prend son allure humaine il entre chez moi et endosse ma veste, je me réveille il est encore là je me réveille il est encore là je me pince et je me réveille il est encore là. Trois coups clairs secs sur les marches de bois il n'a pas de visage. Mais, non. Non ! Ce n'est pas cette vision qui soudain me touche comme une main. C’est toi, ton cartable à bout de bras, tu jubiles en regardant ma tête ébouriffée, ma terreur d'enfant, puis ma joie qui descend tel un sanglot.

Je sursaute je prends ma respiration j'aspire tout je me rassemble je vais me noyer dans l'infini gazeux de mon rêve et je crains de me voir exploser exploser exploser dans l'espace de ma chambre j'ai peur de mon inconsistance, terrorisé de me sentir la proie d'un songe cotonneux, vaporeux, la proie d'une ombre, j'ai peur, j'ai si peur du face à face, je peux exploser, mes tripes cherchent une sortie, je me rassemble avant l'éparpillement, j'aspire tout je me remplis je me sais impuissant dans l'infini qui va s'ouvrir, une énorme langue de cauchemar va chercher à me laper l'intérieur, à me digérer, à m'émietter, à me cochonner, je me prépare à lutter je ne veux pas je ne veux pas je ne veux pas.

Mais c'est toi. C'est toi qui surgis, ce beau matin, c'est toi, tu jubiles, heureux de ma surprise, tes bras en croix, ton cartable noir et vide se balance au bout de ta main droite, et j'ai soudain le corps qui exulte, je suis là j'existe j'existe c'est super vive la vie je suis un avec mon corps, et ce n'est même plus une idée, je suis complet, je pèse mon poids sur ce monde parce que tu es là. 

(à suivre) 

vendredi 27 mai 2011

L'autre, à ma surface - Lecture des (h) à Crest aux Envolires samedi 28 mai à 19 h !


Plutôt que d'aller au Lycée, ce matin-là, tu viens chez moi. Je dors encore. Ma mère a dû t'ouvrir. Bonjour Madame, Ouam est là ? Il dort, vas donc le réveiller. Je dors et je fais des rêves. Je fais des rêves, à cette époque. Qui me réveillent.

Plutôt que d'aller au Lycée, ce matin-là, tu viens me réveiller. Tu as ton cartable noir, pour faire penser que tu viens bosser. En sortant de chez soi, nous avons tous une greffe de peau noire cousue en forme de carré, au bout du bras, qu'on ne remplit guère que d'un paquet de feuilles vides. C'est une obligation d'ordre familial. Je vais au Lycée maman, salut bonne journée. Et je file au café.

En ce jour de printemps, tu viens me réveiller alors que tu es la pensée qui m'éveille chaque matin. Au moment de m'habiller, j'enfile une chemise, que je choisis pour te plaire, j'en éprouve de la joie, quand j'arrive au café tu la regardes ma chemise, tu me regardes quelques fois, elle te va bien cette chemise Ouam.

Plutôt que d'aller au Lycée, ce matin-là, je reste au lit. Je dors beaucoup, pas toujours très bien. Je suis en maillot blanc, je porte un caleçon, j'ai une jambe sur la couette, une jambe dessous. J'ai les cheveux longs qui recouvrent l'oreiller. Oui, les cheveux longs, avec des bouclettes. Une masse de cheveux noirs, je suis même connu pour ça. Mon ventre, aujourd'hui disparu (hum), m'oblige à dormir sur un côté, puis sur l'autre. Le jour éclatant sur mes murs ne m'a pas ouvert les yeux, mais sur quoi les aurais-je ouvert.

Plutôt que d'aller au Lycée, ce matin-là, je reste au lit, je roupille, il faut qu'on me réveille, il n'y a pas d'autre possibilité, je suis dans les limbes et dans mon lit d'adolescent. J'écrase et cela peut durer longtemps, vraiment longtemps, il faut que quelqu'un agisse, et vite, ce n'est pas possible, on ne peut vivre une vie couché comme ça mais lève-toi enfin Ouam, éhoooo ! Ouam ! 

(à suivre)

mardi 10 mai 2011

Le musée (2) (travail en cours)

Ensuite, les deux jeunes filles qui m'avaient maté toute la soirée, on s'était échangé des sourires, ah, c'était agréable, dans un autre bar du quartier, où je vais de temps en temps. Elles, je les ai vidées dans des canopes, les estomacs, les intestins, j'en avais fait de la charpie, je n'ai pas compté les coups de couteau, je m'étais un peu affolé, ce n'était pas une réussite, mais quand on débute.
J'ai cassé leurs cloisons nasales, à l'intérieur du nez, j'ai introduit un crochet de métal chauffé à blanc et j'ai remué, remué dans tous les sens pour broyer le cerveau, puis j'ai mis un tuyau, pour aspirer, et là je n'ai pas trop su quoi faire, alors j'ai aspiré avec la bouche, ça n'a pas très bon goût, mais ça ne venait pas comme ça, j'en ai eu un peu dans la bouche, ce n'était pas très agréable. J'ai introduit du natron maison, j'en ai eu un peu plus. Et après j'ai carrément mis du débouche chiotte, et là tout est parti. Ensuite je les ai bourrées de cire chaude et de paille, leurs yeux vitreux, je les ai énucléés, j'ai tout fait comme c'était dit sur internet.
Je leur murmurais des gentilles paroles, et tout, des genres de prières rituelles, je voulais qu'elles soient comme des coqs en pâte égyptiens.
Alors le sel, ce n'est pas pour le manger, bien sûr. Ce n'est pas bon pour la santé le sel. C'est bon pour le produit, le natron dans lequel les corps doivent baigner un moment, pour la conservation. C'est un peu comme un jambon, le jambon, il est momifié avant d'être mangeable, le cru, je veux dire. Les meilleurs jambons momifiés sont espagnols, c'est une copine qui m'en a ramené de son voyage en Espagne, là-bas on dit Jamon. Je ne suis jamais allé en Espagne, je ne voyage pas. Ce n'est pas que je n'ai pas envie. RRRRamon. C'est que je ne pars pas, c'est tout.

lundi 9 mai 2011

Le musée (1) (travail en cours)

Je n'ai pas de souvenir précis.
A ce moment-là, je n'ai pas d'histoire, moi. À raconter.
Je suis quelqu'un de normal, je crois. C'est abominable, comme je suis normal. Ma journée, le matin, le matin je suis à la Ricorée, c'est depuis que j'ai voulu arrêter le café, ce n'est pas bon, le café, à la santé. Puis je réfléchis, beaucoup. Ça peut donner des palpitations.
Si tu en bois trop, du café.
Je réfléchis beaucoup à ce que je vais faire dans la journée.
Les courses, ce que je vais manger, si je vais courir. J'écris. Du papier, des cahiers, du scotch, des stylos, j'achète des stylos bille et des feutres, ça s'use vite, alors j'aime en avoir d'avance. J'écris ma liste de courses.
Ma liste ? Elle ne change pas, enfin, il y a les jours je n'ai plus de produit, faut ajouter le produit. Le sel, beaucoup de sel, de bicarbonate, des trucs que j'ai lus sur internet, après tu mélanges.
Mais ma liste, ma liste, pourquoi vous vous intéressez à ma liste. Une orange par jour. C'est bon pour la santé les oranges. Du café, avant je mettais du café. De la viande, une fois par semaine. Des légumes pour la soupe, navet, carotte, pomme de terre, poireau, et d'autres légumes encore, comme ça me vient, je ne sais pas, moi, la liste, elle peut changer, c'est pour ça que je la fais chaque jour, et c'est pour ça qu'il me faut réfléchir. Ce n'est pas mauvais pour la santé, de toute façon, réfléchir.
Du chocolat, mais souvent, je ne l'écris pas, ce n'est pas bon pour la santé le chocolat.
Le sel, le bicarbonate ? Ah mais je l'ai dit c'est pour le produit. Je mélange. J'ai besoin du produit, c'est pour mon musée. Je ne sais pas si ça intéresse du monde, mon musée, c'est personnel un musée, c'est comme n'importe qui, on vit, et on garde des souvenirs, moi c'est parce que je n'ai pas de souvenir, alors je fais un musée.
Comme ça, je peux me rappeler, j'ai connu cette personne, j'ai aimé celle-là, d'ailleurs, mon musée me permet d'entretenir le plaisir que j'ai eu à rencontrer les gens. C'est incroyable, ce plaisir-là est incroyable, n'est-ce pas, je n'en ai pas toujours eu conscience. La première fois c'était un jeune homme, jeune, je dis jeune, il avait mon âge, il traînait dans un bar, il m'a invité à boire un dernier verre chez lui. Beau garçon, je crois.
Je l'ai jeté assez vite.
A cause de l'odeur.
Et puis après, un couple. Une belle femme, je crois, et un garçon pas mal. Nus, l'un à côté de l'autre, ils avaient de l'allure.
Mais pour les garder entiers, c'était compliqué, il aurait fallu des vases énormes, alors je n'ai gardé que leurs têtes, dans des aquariums de formol.

mercredi 4 mai 2011

La statue de pierre à Givors

Ceci est un caillou. Caillou gravide d'organes en prurit. En révolte.

Ceci est un caillou. Et c'est aussi Claudio et Yoni.

Ceci est un caillou, de ceux qu'on retrouve au fonds du canal. Cherchez l'organe.

Ceci n'est pas un homme. Deux abandons. Au fonds du canal.

Yoni et Claudio, c'est Hamlet et Ophélie.

Hamlet est mon époux, et moi, je suis Ophélie...
Nymphe au regard de feu, je m'endors, sous les eaux du lac bleu...



mardi 3 mai 2011

Yoni Trouduc, Givors.

Yoni n'a pas accepté la sentence, il s'est énervé. Comme quoi tout ne pouvait pas être de sa faute, il avait pu faire des erreurs, mais bon d'abord il savait bien comment on le surnommait, à l'usine, et c'était pas cool, et sur ce point, j'avoue que c'était pas super super, comme surnom, trouduc, et Yoni, il est monté sur ses grands chevaux, je ne vois pas pourquoi moi je serais un trouduc, pas plus qu'un autre. Ce en quoi, d'après les racontars, enfin, ce que j'en dis, bon, enfin, ça me gêne de le dire, derrière trouduc, il y a quand même des bruits.
« Camarade Yoni», a commencé Claudio, « on en a déjà discuté. Ce n'est pas parce que certaines personnes te traitent que tout le monde te traite. »
Alors je n'ai rien dit mais les camarades de l'atelier, on a souri un peu, parce que c'est Claudio qui lui avait trouvé son surnom, à l'époque. Et Yoni, à croire qu'il en voulait surtout à Claudio, sans qu'on sache pourquoi d'ailleurs, et Claudio, sa belle gueule burinée de vieux syndicaliste, il n'aurait peut-être pas dû l'ouvrir aussi grande. Yoni beuglait dans l'atelier, fallait l'entendre, oui, c'était du racisme, le bureau national serait informé, même au Creusot, avant, il avait sa carte au parti, et il commençait à taper très fort sur l'établi, et à renverser des trucs. La putain de ta mère la putain de ta mère il hurlait, Yoni, et on s'est regardé avec les copains de la cellule, comme quoi on pensait tous la même chose, que c'était pas bien de s'en prendre à la famille.
« Oh, Yoni, c'est bon, arrête ça, a dit Claudio d'un ton autoritaire, tu dois respecter l'outil de travail »
C'est le genre de phrase qui ne peut pas calmer tout à fait un futur chômeur. On lui est tombé dessus, en fin de compte, il a fallu le bastonner, pour qu'il écoute ce qu'on avait à lui dire. C'était évident, de toute manière, il venait d'arriver à l'Atelier, et puis il n'avait pas de gosses à nourrir, c'est lui qui devait s'en aller. On ne le virait pas de gaieté de cœur, Yoni, même si, enfin, c'était trouduc, quoi, pas besoin de faire un dessin, on ne l'aimait pas beaucoup. Il est parti en pleurant, « comme une gonzesse », dira ensuite Claudio, avec un rire que je n'ai pas trouvé très franc. Un rire jaune, quoi. Claudio, qui avait un surnom, lui aussi. Mais il ne sait pas, chut, qu'on l'appelle Claudette.

lundi 2 mai 2011

Les Etats-Unis ont gagné la coupe du monde

jeudi 21 avril 2011

En rire

Je ne suis pas du genre à rire toute la journée, et de moins en moins. De toute façon ce n’est pas un peu ridicule de rire toute la journée ? La vie ce n’est pas drôle, ce sont les films qui sont drôles, d’ailleurs c’est pour ça que je ne vais jamais au cinéma. Ce n’est pas le moment de rire. C’est la crise, alors j’ai raison, je sais que j’ai raison, je ne vais pas rire pendant que le monde s’écroule. Mes actions France Telecom ont baissé de 50 %, les Bouygues de 40, les BNP Paribas je n’en parle même pas, ça vous mettrait le moral dans les chaussettes et ce n’est tout de même pas le but. Alors les fâcheux pourraient avoir le culot de me dire tu as encore des millions en actions. Mais… que vaut le CAC 40 aujourd’hui ? En 2003, sur les conseils d’un bon ami à moi, Bob, j’ai acheté des Ben Laden Construction Group, qui depuis montaient régulièrement, eh bien en l’espace de quelques jours, elles ont perdu tout le bénéfice de 5 ans de cotation. Non, c’est la crise. Saachi et Saachi c’est bien simple, leurs actions sont tellement bas, bientôt je leur devrai du fric. On a beau dire, les pauvres, tout ça, il y en a qui vont perdre leur emploi, c’est vrai, je compatis. Leur emploi de merde, entre nous, et pour gagner quoi, 2000, 3000 € par mois, parfois moins. Imaginons qu’ils subissent deux ans de chômage, en moyenne. Ça fait combien de manque à gagner, 3000 € fois 12 mois fois 2 ans égal 72000 €. 72000 € c’est ce que j’ai perdu en deux secondes, le jour du Crac. On a beau dire, mais c’est nous qui avons le plus souffert. Alors, bien sûr, les fâcheux pourront bien essayer de m’expliquer que j’ai aussi un gros patrimoine, mais c’est que ça s’entretient un mas dans le Lubéron, et faut voir les impôts fonciers qu’on paye. Non, il faut vraiment poser la question, que vaut notre patrimoine aujourd’hui ? Il n’y a pas de quoi rire. Je fais d’ailleurs une tronche de trois pieds de long, c'est-à-dire que les trois pieds c’est un peu comme si je les avais pris dans la figure, je fais la gueule et j’assume. Si, j’ai quand même souvenir d’avoir souri, cet automne. Je me promenais le long de la Saône, j’avais du vague à l’âme, vous savez, le CAC 40. Sur mon chemin de peine, le vent sifflait un air macabre entre les branches ajourées, un crachin gris cherchait à s’immiscer en moi. Le feuillage pourrissant sous mes pas ne craquait plus, comme refusant de témoigner de mon passage, j’avais froid mais ne le sentais guère, je tremblais, le monde, en ce temps là, tremblait. Le sombre glas du capitalisme tonnait. J’aurais pu sauter dans le cours du fleuve, il était noir comme une nuit, celle que je me souhaite. A cet endroit où l’on ne croise, d’habitude, le soir, que quelque pédé en maraude, j’ai vu deux enfants. Ils se battaient avec rage. C’était tellement drôle.

lundi 18 avril 2011

Macbeth par Massé, la critique parue dans le 491

Comment jouer encore du Shakespeare, le problème est souvent rédhibitoire, pour une jeune compagnie. Pas pour Eric Massé, qui s'est ici laissé mener à Macbeth par son désir de metteur en scène, rien que son désir. Et il a eu raison. D'abord, Eric Massé est arrivé à une maturité de style qui lui permet sans doute d'imprimer sa marque, même à un classique aussi monumental. Dès les premiers instants, on reconnaît, pour s'en réjouir, la patte de l'artiste. Un étonnant manège anime toute la première partie de ce sombre Macbeth. C'est une sorte de tourniquet à plusieurs branches, qui introduit à mon goût comme un peu de cirque, dans le jeu des comédiens, obligés de s'adapter au dispositif. Mais il y a le personnage de Macbeth, le jeu extraordinaire de Manuel Vallade et sa présence explosive. Sa diction, très urbaine, ai-je envie de dire, ce ton à la fois tonitruant et traînant, désabusé comme par nature. Il est bien des moments, je l'avoue, ou j'ai vu venir l'ennui, à Valence, lors de la première, et j'ai souvent aussi pu m'ébaudir du charisme épatant de ce comédien, dont le verbe et l'énergie illuminent la scène pendant plus de trois heures : notamment dans quelques scènes formidables, comme la scène de transe avec les sorcières, sur les percussions spectaculaires de la fort gracieuse Yi-Ping Yang. Lors de la première, à Valence, j'ai été témoin du débriefing de Manuel Vallade avec le metteur en scène. Le comédien doutait de plusieurs scènes, il se plaignait de ne pas avoir trouvé le rythme, il disait « ne pas y être ». Et je dois dire qu'il pointait les moments les plus ennuyeux de ce spectacle, précisément ceux qui me posaient problème. Je ne sais si Eric Massé a pris en compte ces remarques, je l'ai entendu rassurer son comédien, c'est vrai que Manuel Vallade est splendide, on ne peut décemment l'incriminer. Quant aux interventions drôlatiques de Xtatic, aka Xavier Picou, extraordinaire slameur qui ne me paru, à aucun moment, ridicule face à la prose du maître, c'est peut-être en nous proposant ses flamboyantes interventions, coupant le rythme et l'atmosphère de la pièce, que le metteur en scène nous a si souvent obligé à nous re-concentrer sur les intrigues... je me suis perdu quelques fois, mais est-ce vraiment la source de mes bâillements ? Bref. Même si son Macbeth manque parfois de rythme, avec son culot, sa belle scénographie, son excellente distribution, Éric Massé a su créer des moments de théâtre assez denses, de belles images sombres et violentes, qui restent.

samedi 16 avril 2011

Flics de pute ! (Travail en cours)

Enculés ! Les flics. Putes ! Ils sont venus, un soir, à plusieurs et la main sur leurs armes, chez moi. Flics de... putes, va ! Ah ça fait les malins avec un flingue et une casquette, espèces de putes ! Ils sont venus ! Chez moi ! Ils ont dit qu'ils avaient des plaintes et qu'ils voulaient m'entendre. Ben ils m'ont entendu, espèces de putes ! Putes ! Salopes ! C'est mes voisins qui se sont plaints, c'est des salopes, mes voisins, sales putes ! Les flics, ils m'ont entendu. J'ai été super sage. Je leur ai dit je suis très fatigué, des fois, mais je n'en veux à personne, sales putes ! Salopes de putes de merde ! Sur le moment j'ai été surpris, je pensais qu'ils allaient m'arrêter, mais non, ils m'ont dit de me calmer, que c'était juste pour m'entendre, que c'était à cause des plaintes des voisins, que je faisais trop de bruit. J'ai su qu'ils ne savaient rien. J'ai dis d'accord, j'ai un musée personnel, je pourrais vous le faire visiter, vous feriez connaissance avec des personnages hauts en couleur, d'accord, le chef il a dit, une autre fois peut-être, et ils sont repartis. Ces fils de putains ! C'est toujours comme ça, personne ne s'intéresse vraiment à ce que l'autre raconte. Aux histoires de l'autre. Après j'ai fait la tronche aux voisins, de quoi ils se mêlent, les voisins dans mon immeuble, espèces de putes ! Des ombres, qui flottent dans les escaliers quand je sors de chez moi. Des effluves de cuisine, pas plus, une brume malodorante, ils n'ont pas d'histoire ces putes, les gens sans histoire ne sont rien, ne pèsent rien, ils flottent, on les aperçoit à peine, et ils disparaissent, et c'est incroyable c'est incroyable d'apprendre ensuite par inadvertance qu'ils existent, d'apprendre ça par les flics.

lundi 4 avril 2011

Ecriture, photographie et homosexualité

Au détour d'une lecture, je trouve un article signé Hervé Guibert, intitulé L'homosexualité. Il dit ce que je me tue à répéter à mes amis qui me demandent pourquoi il y a toujours de l'homosexualité dans mes textes. Je le reproduis ici : 

- La plupart de vos récits suintent l'homosexualité...
- Comment voulez-vous qu'ils ne suintent pas ? Ce n'est pas que je veuille la dissimuler, ni que je veuille la ramener avec arrogance. Mais c'est la moindre des sincérités. Comment voulez-vous parler de photographie sans parler de désir ? Si je masquais mon désir, si je lui ôtais son genre, si je le laissais dans le vague, comme d'autres l'ont fait plus ou moins habilement, j'aurais l'impression d'affaiblir mes récits, de les rendre lâches. Ce n'est même pas une affaire de courage (je ne milite pas), il en va juste de la vérité de l'écriture. Je ne saurais pas vous dire cela plus simplement : l'image est l'essence du désir, et désexualiser l'image, ce serait la réduire à la théorie...

Hervé Guibert in L'image fantôme (éd. de Minuit, 170p, 14 euros)

jeudi 17 mars 2011

Mes nuits sont plus moches que vos vies moches

Mes nuits me rotent, me rejettent, me laissent plus fatigué qu'au soir. Ce matin j'étire mes yeux, tout mon corps grince, en silence, j'ai le souvenir d'un homme malade, oui, malade. Un rêve. J'étais un autre. Un rêve, j'étais un autre. J'étais dans un autre. Je le jugeais. Je ne sais plus ce que je désapprouvais. C'était inacceptable, c'était sexuel, je/autre étais/t puissant, jouissais/t, cherchais/t à jouir. Je sortais de cette torpeur, un instant, je me posais la question mais qui suis-je, l'homme qui jouit même au détriment des autres, l'homme qui préfère sa frustration. Je me sentais tellement mieux dans ma vie moche, que dans cette nuit. Puis-je basculer encore dans cette horreur ? Le cauchemar, cette nuit, me rattrapait. Puis j'ai réussi à l'éteindre. Je me suis levé, épuisé. J'avais une gaule énorme, sans plaisir. J'ai uriné. Je me suis recouché. Et je reprends conscience, là, maintenant. J'ai mal partout. Ma nuit me chie au jour. 

samedi 12 mars 2011

PierrO, virtuel

T'es à moi. Tes bras blancs tes mains maigres et longues peuvent s'accrocher, elles le doivent, t'es à moi tu me lacères, l'idée de toi de tes griffes me lacère, dedans, et ça crisse dans mon ventre cristal, je t'attache à moi, à chez moi, t'es à moi. Est-ce que c'est ça, est-ce t'es à moi. Mon désir te fait-il mien, ton désir te fait-il mien. Toi comme réifié par la conjonction de nos désirs. Toi nu. Offert. Cadeau que tu me fais. Tu t'abandonnes à moi. Tu te confies à moi. Je m'abandonnes à toi. Je me laisse entre tes mains. J'accepte ton corps, tout ton corps, la moindre humeur, je te respire, tu es dans ma vie, tu es dedans, et ça crisse tant que tu ne t'accroches pas à moi. Je m'accroche. Je suis à toi. J'te veux m'écris-tu. J'te veux. Mon corps se soulève. Il me commande un lâcher-prise. Est-ce que je me soumets, est-ce que tu me domines, est-ce que je te domine. Mon corps commande une confiance, un abandon. Le plaisir est peut-être ici. Dans cette possibilité de lâcher. Les rênes, la raison qui organise tes mouvements, lâcher les rênes. Et le corps exprime. Exsude. Ressent. 
Rendez-vous lundi. 

mercredi 23 février 2011

Retour sur soi


Sur soie. Trame légère et solide.

Un beau garçon qui m'éblouit je le détaille, je suis sidéré

Et toujours il m'échappe.

Aujourd'hui, j'erre mais 
Je veux le mouvement mais

Je me sens pris
Dans une toile

De dépits

De retards je suis toujours en retard, les ans me sont une camisole

Entre vingt et trente ans, petit, il faut bouger, n'attends jamais, n'attends rien. 

Quel auteur suis-je, maintenant ?

lundi 21 février 2011

Amaury vole !

L'oiseau cherchait à s'envoler. Il se démenait, il bougeait, ses bras lancés en tous sens semblaient lui échapper, je voyais ses articulations, ses épaules comme démises, ses coudes retournés. Ses seins blancs balançaient. Il prenait son élan, de tout son corps, sa jolie tête elle-même cherchait à imprimer le mouvement. Il s'ébattait. Il avait un air concentré. Il se concentrait, mais avec enthousiasme. Je l'admirais, je ne pouvais faire que ça, l'admirer. J'en étais sidéré. Le plaisir ne venait pas, ou alors il était là, comme une évidence. Amaury se démenait tel un enfant qui apprend à marcher, ou le vélo, tu sais, le môme qui rêvait de faire du vélo, qui s'applique, qui cherche les bons gestes. Amaury vole, vole !

mardi 1 février 2011

Feliz Felix

Fortino Samano, photographié par Augustin V. Casasola, quelques minutes avant qu'il ne soit fusillé , en 1913.
La salve a cru effacer à tout jamais le souvenir de Fortino Samano, révolutionnaire membre de l'état-major de Zapata chargé de la fabrication de la monnaie des rebelles. La légende, mensongère, dit de lui "falsificador de moneda", mais rien ne peut effacer la vérité de son sourire devant la mort.
(photo texte et légendes piquées à 
Didier Daeninckx ici

(et bienvenu au petit Félix Léon Fortino)

mardi 25 janvier 2011

Théâtre : Éric Massé ose son Macbeth


Une petite critique écrite pour un support papier qui, finalement, ne peut la publier. 
ERRATUM : cette critique est disponible dans le ...491 de ce mois !

Comment jouer encore du Shakespeare, le problème est souvent rédhibitoire, pour une jeune compagnie. Pas pour Éric Massé, qui s'est ici laissé mené à Macbeth par son désir de metteur en scène, rien que son désir. Et il a eu raison. 

(lire la suite dans le ...491) 
(ou ICI
 
du 1er au 5 février 2011 au Théâtre des Célestins - Lyon
le 8 février 2011 à Lons-le-Saunier – Scènes du Jura
le 15 février 2011 au Théâtre de Cusset
le 30 mars 2011 au Théâtre d’Oyonnax

vendredi 7 janvier 2011

Bone âné

je ve vou souété une bone ané pour tous avc plin de bone choz pour vou é pour tou lé jen que tu M. é surtou la santé pour ta famille pa de cancer de merd é pa de sida non plu, je di sa je di rien. é si tu trouv l'amour kil soi for é dou a la foi é lon pour la vi. a oui é kes tu ve pour ton travail, si tu ve la réusite tu laura é sinon tu démisione ta vu la tof il senlèv une épin dan le pié. allé je vou les. é ancore meyer ve.