lundi 30 mai 2011

L'autre, à ma surface (suite)

Dans ce lit je rêve, parfois. Souvent j'ai des cauchemars. Un cauchemar. Il faut dire que je ne digère pas très bien, je n'ai jamais très bien digéré, mais je nie jusqu'à l'absurde avoir des
troubles du sommeil je dors très bien, à cette époque. Ma chambre est doublée d'une mezzanine où je tiens presque debout et c'est là que j'ai mis mon lit. Un escalier de bois, qui sonne clair, y mène.

Ce sont des pas dans l’escalier qui m’alertent, trois coups clairs secs sur les marches de bois, l'inconnu qui me veut du mal monte à la mezzanine, il va très vite, je me redresse, frissonnant d’horreur à l’idée d’apercevoir le personnage façonné d’ombre, je pense que je dors, je sursaute, il me faut lutter pour me réveiller, lutter pour me réveiller, l'inconnu prend son allure humaine il entre chez moi et endosse ma veste, je me réveille il est encore là je me réveille il est encore là je me pince et je me réveille il est encore là. Trois coups clairs secs sur les marches de bois il n'a pas de visage. Mais, non. Non ! Ce n'est pas cette vision qui soudain me touche comme une main. C’est toi, ton cartable à bout de bras, tu jubiles en regardant ma tête ébouriffée, ma terreur d'enfant, puis ma joie qui descend tel un sanglot.

Je sursaute je prends ma respiration j'aspire tout je me rassemble je vais me noyer dans l'infini gazeux de mon rêve et je crains de me voir exploser exploser exploser dans l'espace de ma chambre j'ai peur de mon inconsistance, terrorisé de me sentir la proie d'un songe cotonneux, vaporeux, la proie d'une ombre, j'ai peur, j'ai si peur du face à face, je peux exploser, mes tripes cherchent une sortie, je me rassemble avant l'éparpillement, j'aspire tout je me remplis je me sais impuissant dans l'infini qui va s'ouvrir, une énorme langue de cauchemar va chercher à me laper l'intérieur, à me digérer, à m'émietter, à me cochonner, je me prépare à lutter je ne veux pas je ne veux pas je ne veux pas.

Mais c'est toi. C'est toi qui surgis, ce beau matin, c'est toi, tu jubiles, heureux de ma surprise, tes bras en croix, ton cartable noir et vide se balance au bout de ta main droite, et j'ai soudain le corps qui exulte, je suis là j'existe j'existe c'est super vive la vie je suis un avec mon corps, et ce n'est même plus une idée, je suis complet, je pèse mon poids sur ce monde parce que tu es là. 

(à suivre) 

vendredi 27 mai 2011

L'autre, à ma surface - Lecture des (h) à Crest aux Envolires samedi 28 mai à 19 h !


Plutôt que d'aller au Lycée, ce matin-là, tu viens chez moi. Je dors encore. Ma mère a dû t'ouvrir. Bonjour Madame, Ouam est là ? Il dort, vas donc le réveiller. Je dors et je fais des rêves. Je fais des rêves, à cette époque. Qui me réveillent.

Plutôt que d'aller au Lycée, ce matin-là, tu viens me réveiller. Tu as ton cartable noir, pour faire penser que tu viens bosser. En sortant de chez soi, nous avons tous une greffe de peau noire cousue en forme de carré, au bout du bras, qu'on ne remplit guère que d'un paquet de feuilles vides. C'est une obligation d'ordre familial. Je vais au Lycée maman, salut bonne journée. Et je file au café.

En ce jour de printemps, tu viens me réveiller alors que tu es la pensée qui m'éveille chaque matin. Au moment de m'habiller, j'enfile une chemise, que je choisis pour te plaire, j'en éprouve de la joie, quand j'arrive au café tu la regardes ma chemise, tu me regardes quelques fois, elle te va bien cette chemise Ouam.

Plutôt que d'aller au Lycée, ce matin-là, je reste au lit. Je dors beaucoup, pas toujours très bien. Je suis en maillot blanc, je porte un caleçon, j'ai une jambe sur la couette, une jambe dessous. J'ai les cheveux longs qui recouvrent l'oreiller. Oui, les cheveux longs, avec des bouclettes. Une masse de cheveux noirs, je suis même connu pour ça. Mon ventre, aujourd'hui disparu (hum), m'oblige à dormir sur un côté, puis sur l'autre. Le jour éclatant sur mes murs ne m'a pas ouvert les yeux, mais sur quoi les aurais-je ouvert.

Plutôt que d'aller au Lycée, ce matin-là, je reste au lit, je roupille, il faut qu'on me réveille, il n'y a pas d'autre possibilité, je suis dans les limbes et dans mon lit d'adolescent. J'écrase et cela peut durer longtemps, vraiment longtemps, il faut que quelqu'un agisse, et vite, ce n'est pas possible, on ne peut vivre une vie couché comme ça mais lève-toi enfin Ouam, éhoooo ! Ouam ! 

(à suivre)

mardi 10 mai 2011

Le musée (2) (travail en cours)

Ensuite, les deux jeunes filles qui m'avaient maté toute la soirée, on s'était échangé des sourires, ah, c'était agréable, dans un autre bar du quartier, où je vais de temps en temps. Elles, je les ai vidées dans des canopes, les estomacs, les intestins, j'en avais fait de la charpie, je n'ai pas compté les coups de couteau, je m'étais un peu affolé, ce n'était pas une réussite, mais quand on débute.
J'ai cassé leurs cloisons nasales, à l'intérieur du nez, j'ai introduit un crochet de métal chauffé à blanc et j'ai remué, remué dans tous les sens pour broyer le cerveau, puis j'ai mis un tuyau, pour aspirer, et là je n'ai pas trop su quoi faire, alors j'ai aspiré avec la bouche, ça n'a pas très bon goût, mais ça ne venait pas comme ça, j'en ai eu un peu dans la bouche, ce n'était pas très agréable. J'ai introduit du natron maison, j'en ai eu un peu plus. Et après j'ai carrément mis du débouche chiotte, et là tout est parti. Ensuite je les ai bourrées de cire chaude et de paille, leurs yeux vitreux, je les ai énucléés, j'ai tout fait comme c'était dit sur internet.
Je leur murmurais des gentilles paroles, et tout, des genres de prières rituelles, je voulais qu'elles soient comme des coqs en pâte égyptiens.
Alors le sel, ce n'est pas pour le manger, bien sûr. Ce n'est pas bon pour la santé le sel. C'est bon pour le produit, le natron dans lequel les corps doivent baigner un moment, pour la conservation. C'est un peu comme un jambon, le jambon, il est momifié avant d'être mangeable, le cru, je veux dire. Les meilleurs jambons momifiés sont espagnols, c'est une copine qui m'en a ramené de son voyage en Espagne, là-bas on dit Jamon. Je ne suis jamais allé en Espagne, je ne voyage pas. Ce n'est pas que je n'ai pas envie. RRRRamon. C'est que je ne pars pas, c'est tout.

lundi 9 mai 2011

Le musée (1) (travail en cours)

Je n'ai pas de souvenir précis.
A ce moment-là, je n'ai pas d'histoire, moi. À raconter.
Je suis quelqu'un de normal, je crois. C'est abominable, comme je suis normal. Ma journée, le matin, le matin je suis à la Ricorée, c'est depuis que j'ai voulu arrêter le café, ce n'est pas bon, le café, à la santé. Puis je réfléchis, beaucoup. Ça peut donner des palpitations.
Si tu en bois trop, du café.
Je réfléchis beaucoup à ce que je vais faire dans la journée.
Les courses, ce que je vais manger, si je vais courir. J'écris. Du papier, des cahiers, du scotch, des stylos, j'achète des stylos bille et des feutres, ça s'use vite, alors j'aime en avoir d'avance. J'écris ma liste de courses.
Ma liste ? Elle ne change pas, enfin, il y a les jours je n'ai plus de produit, faut ajouter le produit. Le sel, beaucoup de sel, de bicarbonate, des trucs que j'ai lus sur internet, après tu mélanges.
Mais ma liste, ma liste, pourquoi vous vous intéressez à ma liste. Une orange par jour. C'est bon pour la santé les oranges. Du café, avant je mettais du café. De la viande, une fois par semaine. Des légumes pour la soupe, navet, carotte, pomme de terre, poireau, et d'autres légumes encore, comme ça me vient, je ne sais pas, moi, la liste, elle peut changer, c'est pour ça que je la fais chaque jour, et c'est pour ça qu'il me faut réfléchir. Ce n'est pas mauvais pour la santé, de toute façon, réfléchir.
Du chocolat, mais souvent, je ne l'écris pas, ce n'est pas bon pour la santé le chocolat.
Le sel, le bicarbonate ? Ah mais je l'ai dit c'est pour le produit. Je mélange. J'ai besoin du produit, c'est pour mon musée. Je ne sais pas si ça intéresse du monde, mon musée, c'est personnel un musée, c'est comme n'importe qui, on vit, et on garde des souvenirs, moi c'est parce que je n'ai pas de souvenir, alors je fais un musée.
Comme ça, je peux me rappeler, j'ai connu cette personne, j'ai aimé celle-là, d'ailleurs, mon musée me permet d'entretenir le plaisir que j'ai eu à rencontrer les gens. C'est incroyable, ce plaisir-là est incroyable, n'est-ce pas, je n'en ai pas toujours eu conscience. La première fois c'était un jeune homme, jeune, je dis jeune, il avait mon âge, il traînait dans un bar, il m'a invité à boire un dernier verre chez lui. Beau garçon, je crois.
Je l'ai jeté assez vite.
A cause de l'odeur.
Et puis après, un couple. Une belle femme, je crois, et un garçon pas mal. Nus, l'un à côté de l'autre, ils avaient de l'allure.
Mais pour les garder entiers, c'était compliqué, il aurait fallu des vases énormes, alors je n'ai gardé que leurs têtes, dans des aquariums de formol.

mercredi 4 mai 2011

La statue de pierre à Givors

Ceci est un caillou. Caillou gravide d'organes en prurit. En révolte.

Ceci est un caillou. Et c'est aussi Claudio et Yoni.

Ceci est un caillou, de ceux qu'on retrouve au fonds du canal. Cherchez l'organe.

Ceci n'est pas un homme. Deux abandons. Au fonds du canal.

Yoni et Claudio, c'est Hamlet et Ophélie.

Hamlet est mon époux, et moi, je suis Ophélie...
Nymphe au regard de feu, je m'endors, sous les eaux du lac bleu...



mardi 3 mai 2011

Yoni Trouduc, Givors.

Yoni n'a pas accepté la sentence, il s'est énervé. Comme quoi tout ne pouvait pas être de sa faute, il avait pu faire des erreurs, mais bon d'abord il savait bien comment on le surnommait, à l'usine, et c'était pas cool, et sur ce point, j'avoue que c'était pas super super, comme surnom, trouduc, et Yoni, il est monté sur ses grands chevaux, je ne vois pas pourquoi moi je serais un trouduc, pas plus qu'un autre. Ce en quoi, d'après les racontars, enfin, ce que j'en dis, bon, enfin, ça me gêne de le dire, derrière trouduc, il y a quand même des bruits.
« Camarade Yoni», a commencé Claudio, « on en a déjà discuté. Ce n'est pas parce que certaines personnes te traitent que tout le monde te traite. »
Alors je n'ai rien dit mais les camarades de l'atelier, on a souri un peu, parce que c'est Claudio qui lui avait trouvé son surnom, à l'époque. Et Yoni, à croire qu'il en voulait surtout à Claudio, sans qu'on sache pourquoi d'ailleurs, et Claudio, sa belle gueule burinée de vieux syndicaliste, il n'aurait peut-être pas dû l'ouvrir aussi grande. Yoni beuglait dans l'atelier, fallait l'entendre, oui, c'était du racisme, le bureau national serait informé, même au Creusot, avant, il avait sa carte au parti, et il commençait à taper très fort sur l'établi, et à renverser des trucs. La putain de ta mère la putain de ta mère il hurlait, Yoni, et on s'est regardé avec les copains de la cellule, comme quoi on pensait tous la même chose, que c'était pas bien de s'en prendre à la famille.
« Oh, Yoni, c'est bon, arrête ça, a dit Claudio d'un ton autoritaire, tu dois respecter l'outil de travail »
C'est le genre de phrase qui ne peut pas calmer tout à fait un futur chômeur. On lui est tombé dessus, en fin de compte, il a fallu le bastonner, pour qu'il écoute ce qu'on avait à lui dire. C'était évident, de toute manière, il venait d'arriver à l'Atelier, et puis il n'avait pas de gosses à nourrir, c'est lui qui devait s'en aller. On ne le virait pas de gaieté de cœur, Yoni, même si, enfin, c'était trouduc, quoi, pas besoin de faire un dessin, on ne l'aimait pas beaucoup. Il est parti en pleurant, « comme une gonzesse », dira ensuite Claudio, avec un rire que je n'ai pas trouvé très franc. Un rire jaune, quoi. Claudio, qui avait un surnom, lui aussi. Mais il ne sait pas, chut, qu'on l'appelle Claudette.

lundi 2 mai 2011

Les Etats-Unis ont gagné la coupe du monde