vendredi 31 août 2012

Mes carnets du Maroc (16)



Huitième jour
Deux rencontres à raconter. Encore faudrait-il poser les guillemets à l'une d'elles. D'abord un garçon franc d'apparence, et moi les trois Casa du London's Pub me rendaient plus téméraire, hier soir. Je suis à 150 mètres du Rembrandt, me dit-il, le Rembrandt est un grand hôtel mythique de Tanger. Je répond rendez-vous devant dans cinq minutes. Charmant jeune homme, bavard, qui me propose assez vite de partager « un peu plus d'intimité ». Comment dire non. Sauf qu'il est collocataire de son logement et que moi, pire, je suis à l'hôtel. Nous arrivons, chemin faisant, devant la réception de l'Ile Verte, blindée de mecs, je dis à mon petit gars, bien fort, tu me suis ? Il essaie de me suivre, mais la clique virile massée à l'entrée l'en empêche. Quant à moi, je fais mine d'aller chercher l'objet que je suis sensé lui donner, en fait je prends juste le temps d'uriner et je brandis mon guide du routard au retour. Je doute de l'efficacité de nos stratagèmes. Le doux Ayour, dont le prénom m'échappe encore, je l'appelle Ayour, il tenait à me revoir, ce matin à 9 h 30. Il disait vouloir me montrer le café Hafa, autre mythique endroit, un café en terrasse, discret, me dit-il. Il avait l'air de croire que nous aurions pu avoir enfin ce que nous espérions tous les deux. Un peu plus d'intimité. Il n'est pas venu au rendez-vous.
Deuxième rencontre, avec un garçon au visage fin et presque noir. Très belle physionomie. Nos regards s'étaient croisés, déjà, il y a deux jours, sur la terrasse des paresseux qui longe l'avenue Pasteur. Nous nous étions tous deux retournés en même temps l'un sur l'autre, puis j'avais continué ma route, honteux. Et je l'avais retrouvé cinquante mètres plus loin, me suivant. Je me suis débarrassé de lui en tournant assez brusquement dans une des rues commerçantes et grouillantes, sous le souk des pauvres. Tout à l'heure, au même endroit, nos regards se trouvent, nous nous retournons. Je reprends ma route en réfléchissant tout azimuts. Ce garçon me cible-t-il pour des raisons pécuniaires ? M'a-t-il croisé sur un site de rencontre ? En tous cas je le piège à nouveau et je le vois qui file à l'opposé de moi. Pris de remord, et surtout intéressé, je lui file le train, qu'il a fort appétissant, à mon tour. Il est très pauvrement habillé, assez sale, un sac plastique bleu dans la main. Il me repère, nos regards se croisent à nouveau. Je voudrais lui parler, je suis presque sûr qu'il ne parle pas français. Finalement, c'est à nouveau lui qui me suit. Je n'arrive pas à prendre de décision. Je suis à peu près certain qu'il n'a pas d'appartement par ici, et moi j'ai déjà raconté qu'il m'était impossible de recevoir. Je m'arrête pour prendre mes lunettes de soleil, le soleil, pour quelques minutes, est éblouissant sur le boulevard Mohammed V. Il me dépasse, il se retourne au moment où je prends la décision d'entrer au MakDou, un salon de thé pour riches, un peu de lâcheté, de désespoir, et j'ai pensé que je pourrais bénéficier d'une wi-fi, pour laisser un mot à Ayour. Mais leur wi-fi ne fonctionne pas.

Huitième jour
Ballade au hasard des rues d'un quartier résidentiel, hors des plans et des guides, des immeubles modernes, sans charme, peu de commerce. Une tranquillité. Soudain je me retrouve à un endroit que je connais, et j'entre dans la gare routière surchauffée. De multiples bonshommes, des gras, des vieux, avec des moustaches, gueulent je ne sais quelles offres, des taxis sans doute, des guides touristiques, peut-être des chambres en ville, mais tout ça en arabe, parfois en espagnol, impossible pour moi de savoir. Je m'extirpe de ce maelström, je me souviens du chemin du centre-ville, de Mohammed, le guide de mes premiers pas à Tanger. 
Sur l'avenue Mohammed V, je veille, à la recherche d'Ayour ou du bel inconnu. L'averse me surprend. Je suis mouillé comme par une longue course. Allons boire un thé.

Huitième jour
Et deuxième séance de pâtisseries marocaines. Une pâtisserie qui embaumait de loin, Rahmouni. Plus chère que le petit Prince, mais les prix dépendent un peu de la gueule du client – et la mienne est de celles qu'on peut faire cracher. J'accepte parce que, au pire, le patron me vole 1 euro, sur les quatre dépensés. Le serveur me semble intimidé par mon français, qu'il ne parle pas. Et je m'en vais au Gran Café de Paris goûter tout ça. Un peu déçu. Le chocolat est meilleur qu'au Petit Prince, mais je trouve la pâte d'amande envahissante. Et puis il y a moins de graines, les textures en sont toute les mêmes et surtout sans nuances, à chaque bouché c'est une pâte bourrative. Pas de croquant, pas non plus de crème légère ou de biscuit aéré. Bon un ou deux petits fours m'ont plu, un à la noisette et au miel, avec une amande, je crois. Deux autres à la noisette et au chocolat, agréables, pas mémorables.

mercredi 29 août 2012

Mes carnets du Maroc (15)

Septième jour
Il faut que je pense à l'intérêt de ce journal. Ce n'est pas parce que je suis à Tanger que tout ce qui m'arrive mérite d'être raconté. Je voudrais entamer une réflexion sur le voyage, sur ce que je veux en tirer, ce qu'il doit amener dans mon écriture et, pourquoi pas, d'ailleurs cela me semble concomitant, dans ma vie.

Septième jour
En attendant, il pleut. J'ai souvent froid, mais surtout en l'absence de chauffage, mes vêtements ne sèchent pas. Ceux que j'ai sur le dos comme ceux que j'ai confié à une dame de service espiègle de mon hôtel. C'est très embêtant, puisque je n'ai plus rien à me mettre pour demain.

Septième jour
Ma copine Isabelle m'a refilé sa maladie, je ne cesse de mater les pâtisseries. Et j'en goûte quelques-unes. Je crois que j'ai trouvé celles qui me motivent. La boutique s'appelle Le Petit Prince, sur l'avenue Pasteur. Alors ce ne sera pas pour l'accueil, que je qualifierais d'approximatif. Mais en revanche pour la variété ou la qualité des pâtisseries orientales. Ils font aussi des desserts occidentaux mais, sans vouloir dire du mal, plutôt de l'espagnole que du français, et c'est une tendance générale, les pâtisseries à la marocaine sont boudées par les Marocains. Alors que celles dont je me gave à l'instant, sont succulentes. Pas de fleur d'oranger à l'horizon, des graines de toutes sortes, du glaçage chocolat sur un genre d'amalgame dominé par la cacahuète, des biscuits surmontés d'un fruit confit ou d'éclats d'amandes et, ah, tiens, je reconnais un Povorone espagnol. Des mini-crêpes fourrées, glacées au sucre, une corne de gazelle, et un gâteau au délicieux goût de lebkuchen... En fait je me régale un peu trop, je me fais l'effet non d'être un gourmet, un ogre.

Septième jour
J'ai encore le temps, mais je suis tout de même, il me semble, sur un demi échec. Comme d'habitude, j'éprouve des difficultés à rencontrer des gens. Ce qui est bizarre, ou pas, c'est que les Marocains m'inspirent confiance, et dans le même temps je ne peux m'empêcher de penser, chaque fois que j'établis une « relation » avec l'un d'eux, qu'il y a volonté de me soutirer du blé. À la réflexion, cette impression est justifiée. N'épiloguons pas. L'exemple, ce sont les guides qui se jettent sur toi, de préférence en espagnol, Hola que tal ?...

Septième jour
Le superbe et jeune serveur du London's Pub vient de me servir le premier poisson de mon séjour. Et moi j'en profite pour le regarder. Le serveur. Franchement, le poisson est délicieux, c'est une petite assiette en forme de poivron, un filet de poisson blanc mariné. Un tapas, tout comme le pilon de pollo au gingembre et la salade marocaine, tout à l'heure. Servis avec les bières que je me suis permis aujourd'hui. Deux bières de Casablanca, que je trouve bien bonnes. Mais deux maximum, parce que bon, pas question de me bourrer la gueule. Enfin, pas tout seul. On me sert des beignets de poisson, maintenant ! Vont me coûter combien ses bières ? M'en fous en fait. Je voudrais que ce joli mirage m'invite chez lui, m’incite à rester une semaine ou deux. J'ai rêvé de Tanger, ne pourrais-je alors faire de ce rêve fort, doux et parfumé (au poisson mariné ou au poulet grillé, je ne sais pas encore), une réalité ? (hum, euh, troisième bière) (juste pour la compagnie ou disons pour l'illusion de cette compagnie).

lundi 27 août 2012

Mes carnets du Maroc (14)

Sixième jour
Je calcule qu'il me reste trente-deux jours au Maroc. Le transport ne coûte pas bien cher, si j'en crois ma première expérience. Disons que je peux ignorer pour l'instant ce poste de dépense. Je vais compter une moyenne de 220 Dh par jour pour le logement, sachant que je ne paye que 180 Dh où je suis. Selon un calcul (savant), à partir de 15000 Dh de budget, j'ai presque honte de le dire, il me reste environ 6500 Dh pour tout le reste, bouffe, blanchisserie, thé à la menthe, et les petites arnaques où je pourrais tomber. Il me faudra peut-être aussi acheter des vêtements, par exemple, s'il continue à faire froid.

Sixième jour
Je crois tout de même sentir la déprime des Marocains. Au Gran Café de paris, dont le mobilier et l'ancienne élégance témoignent d'un passé brillant, les figures, pour n'être pas inamicales, sont fermées. Tu les vois sourire lorsqu'ils se croisent, qu'ils se touchent, ils touchent beaucoup, et tendrement, sans ambiguïté, et c'est d'ailleurs pourquoi ils se touchent. Bien sûr, ce que je raconte est valable entre hommes, entre femmes, pas entre les deux sexes, je soupçonne que c'est une des raisons de leur déprime.
Événement, j'ai l'impression, une femme vient de rentrer seule au Gran Café de Paris, et ce juste au moment où j'allais faire la remarque que les femmes en étaient totalement absentes. Elle s'est d'ailleurs à peine assise, elle a jeté des coups d’œil partout, qu'elle fuit.
J'ai vu des femmes radieuses, aujourd'hui, sur le boulevard Mohammed V, le long de la plage. Presque toutes voilées, au bras d'un homme. Je peux très bien imaginer que certains couples se sont formés dans une des boîtes de nuit qui se côtoient le long de ce boulevard. Lui intimidé, mais fort et prévenant, elle indépendante, gracieuse, les cheveux libres et provocants. Le couple, formé, n'ayant évidemment jamais fauté, cherche ensuite l'approbation de la famille et très vite, vient parader ici, la femmes enfin voilée, d'un joli tissu orné de dorures, l'homme, lui, ne changeant rien, arborant seulement un air de contentement et de fierté. Elles sont belles ces jeunes femmes et je ne me sens pas le droit de juger leur sors peu enviable. Qu'elles vivent, et voient.
Cette façon qu'elles ont, tout de même, ici ou en France, d'entrer tout sourire dans la souricière. Non non mais ça y est j'ai émis un jugement.
Je réfléchis, cette impression positive que me donne le peuple marocain, au-delà des airs tristounes que je notais tout à l'heure, est probablement dû à sa vitalité plus qu'à sa bonne humeur. A sa jeunesse.