Huitième jour
Deux rencontres à raconter. Encore
faudrait-il poser les guillemets à l'une d'elles. D'abord un garçon
franc d'apparence, et moi les trois Casa du London's Pub me rendaient
plus téméraire, hier soir. Je suis à 150 mètres du Rembrandt, me
dit-il, le Rembrandt est un grand hôtel mythique de Tanger. Je
répond rendez-vous devant dans cinq minutes. Charmant jeune homme,
bavard, qui me propose assez vite de partager « un peu plus
d'intimité ». Comment dire non. Sauf qu'il est collocataire de
son logement et que moi, pire, je suis à l'hôtel. Nous arrivons,
chemin faisant, devant la réception de l'Ile Verte, blindée de
mecs, je dis à mon petit gars, bien fort, tu me suis ? Il
essaie de me suivre, mais la clique virile massée à l'entrée l'en
empêche. Quant à moi, je fais mine d'aller chercher l'objet que je
suis sensé lui donner, en fait je prends juste le temps d'uriner et
je brandis mon guide du routard au retour. Je doute de l'efficacité
de nos stratagèmes. Le doux Ayour, dont le prénom m'échappe
encore, je l'appelle Ayour, il tenait à me revoir, ce matin à 9 h 30. Il disait vouloir
me montrer le café Hafa, autre mythique endroit, un café en
terrasse, discret, me dit-il. Il avait l'air de croire que nous
aurions pu avoir enfin ce que nous espérions tous les deux. Un peu
plus d'intimité. Il n'est pas venu au rendez-vous.
Deuxième rencontre, avec un garçon au
visage fin et presque noir. Très belle physionomie. Nos regards
s'étaient croisés, déjà, il y a deux jours, sur la terrasse des
paresseux qui longe l'avenue Pasteur. Nous nous étions tous deux
retournés en même temps l'un sur l'autre, puis j'avais continué ma
route, honteux. Et je l'avais retrouvé cinquante mètres plus loin,
me suivant. Je me suis débarrassé de lui en tournant assez
brusquement dans une des rues commerçantes et grouillantes, sous le
souk des pauvres. Tout à l'heure, au même endroit, nos regards se
trouvent, nous nous retournons. Je reprends ma route en réfléchissant
tout azimuts. Ce garçon me cible-t-il pour des raisons pécuniaires ?
M'a-t-il croisé sur un site de rencontre ? En tous cas je le
piège à nouveau et je le vois qui file à l'opposé de moi. Pris de
remord, et surtout intéressé, je lui file le train, qu'il a fort
appétissant, à mon tour. Il est très pauvrement habillé, assez
sale, un sac plastique bleu dans la main. Il me repère, nos regards
se croisent à nouveau. Je voudrais lui parler, je suis presque sûr
qu'il ne parle pas français. Finalement, c'est à nouveau lui qui me
suit. Je n'arrive pas à prendre de décision. Je suis à peu près
certain qu'il n'a pas d'appartement par ici, et moi j'ai déjà
raconté qu'il m'était impossible de recevoir. Je m'arrête pour
prendre mes lunettes de soleil, le soleil, pour quelques minutes, est
éblouissant sur le boulevard Mohammed V. Il me dépasse, il se
retourne au moment où je prends la décision d'entrer au MakDou, un
salon de thé pour riches, un peu de lâcheté, de désespoir, et
j'ai pensé que je pourrais bénéficier d'une wi-fi, pour laisser un
mot à Ayour. Mais leur wi-fi ne fonctionne pas.
Huitième jour
Ballade au hasard des rues d'un
quartier résidentiel, hors des plans et des guides, des immeubles
modernes, sans charme, peu de commerce. Une tranquillité. Soudain je
me retrouve à un endroit que je connais, et j'entre dans la gare
routière surchauffée. De multiples bonshommes, des gras, des vieux,
avec des moustaches, gueulent je ne sais quelles offres, des taxis
sans doute, des guides touristiques, peut-être des chambres en
ville, mais tout ça en arabe, parfois en espagnol, impossible pour
moi de savoir. Je m'extirpe de ce maelström, je me souviens du
chemin du centre-ville, de Mohammed, le guide de mes premiers pas à Tanger.
Sur l'avenue Mohammed V, je veille, à
la recherche d'Ayour ou du bel inconnu. L'averse me surprend. Je suis
mouillé comme par une longue course. Allons boire un thé.
Huitième jour
Et deuxième séance de pâtisseries
marocaines. Une pâtisserie qui embaumait de loin, Rahmouni. Plus
chère que le petit Prince, mais les prix dépendent un peu de la
gueule du client – et la mienne est de celles qu'on peut faire
cracher. J'accepte parce que, au pire, le patron me vole 1 euro, sur
les quatre dépensés. Le serveur me semble intimidé par mon
français, qu'il ne parle pas. Et je m'en vais au Gran Café de Paris
goûter tout ça. Un peu déçu. Le chocolat est meilleur qu'au Petit
Prince, mais je trouve la pâte d'amande envahissante. Et puis il y a
moins de graines, les textures en sont toute les mêmes et surtout
sans nuances, à chaque bouché c'est une pâte bourrative. Pas de
croquant, pas non plus de crème légère ou de biscuit aéré. Bon
un ou deux petits fours m'ont plu, un à la noisette et au miel, avec
une amande, je crois. Deux autres à la noisette et au chocolat,
agréables, pas mémorables.
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