Vingtième jour
Le train, cette fois. Je me sens rodé,
tout se passe au mieux. Je trouve Bab Boujboul, superbe porte ornée
de la médina de Fès, un petit taxi fassi, ils sont rouges, je lui
dis où je vais et cinq minutes plus tard, je suis à la gare. J'y
fais la queue un moment, j'ai mon billet, le train part dans dix
minutes. Puis une demi-heure et je suis à Méknès.
La foire d'empoigne, comme dirait
mamie, ma mamie de Dijon qui est morte il y a quelque chose comme une
douzaine d'années et je pense toujours à elle. Les petits taxis ne
se bousculent pas, mais les clients si. J'en chope un tout de suite,
en m'imposant dans la rue. L'Hôtel Maroc est un superbe endroit.
Ultra propre, ma chambre aux murs d'un vert franchement décrépit,
est parcourut, sur le bas, d'une zellige colorée. Mon lit, à vrai
dire, n'est pas confortable, mais ma fenêtre donne sur les orangers
fleuris du patio, l'atmosphère en est aussi douce qu'un lointain
effluve de parfum de femme, et je me vois écrire des supers bouquins
pornographiques, avec des gars qui lèchent des trous du cul par
exemple, Burroughs style, sur ce petit bureau, juste à côté du lavabo. L'accueil du
réceptionniste est chouette, j'avais envie de lui demander son nom,
et puis ma sympathie pour lui m'a rendu timide.
Première balade dans Méknès. Je me
perds dans Dar Khbira, visite intéressante d'un quartier
d'habitations, traversant une muraille ahurissante d'épaisseur,
puisque par exemple une large rue y a été creusée. C'est
d'ailleurs un autochtone qui m'a guidé gentiment, riant de ma prime
méfiance : « Je ne suis pas un faux guide, hein, faut pas
avoir peur ». Un étudiant en anglais âgé de 42 ans, du coup
fort aimable, et qui me promet, « nous nous reverrons ».
Inch Allah Lotfi.
Puis je suis rentré à l'hôtel avec
des brioches à la fleur d'oranger, un pain au chocolat bizarre, mais
bourratif et cela tombait très bien.
Vingt-et-unième jour
Dans ma chambre après une visite de la
médina. Pas grand'chose à en dire, c'est une médina, vivante mais
pas comme celle de Fès, tellement plus populeuse. Personne n'a
cherché à me guider, c'est une première. Dans ma chambre, je n'ai
pas très envie de bouger. Faire le touriste m'ennuie. Et, de toute
façon, même ici je suis au Maroc. Déjà parce que l'hôtel porte
ce nom. Mais surtout parce que je n'ai pas le sentiment d'habiter
quatre murs, une décoration intérieure déliquescente, une literie
dégueulasse, des draps frais, une chaise rangée sous un petit
bureau recouvert de formica, un lavabo surmonté d'un miroir, deux
ampoules électriques et une descente de lit grise. Et ce n'est même
pas à cause de cette merveilleuse odeur de fleur d'oranger. C'est
que j'habite aussi l'endroit où je suis venu. La porte fermée
n'occulte pas le chemin parcouru. Je peux rester allongé ici, cela
ne change rien, je suis au Maroc.
Cela me fait penser au lièvre de
Patagonie, cette apparition soudaine, nocturne, dans les phares de la
voiture de Claude Lanzmann, et qui lui fait comprendre, intimement,
sensiblement, qu'il est bel et bien en Patagonie. Je me sens à la
recherche de cette émotion-là.
J'ai envie d'aller au sud.
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