vendredi 12 octobre 2012

Mes carnets du Maroc (34)

Vingtième jour
Le train, cette fois. Je me sens rodé, tout se passe au mieux. Je trouve Bab Boujboul, superbe porte ornée de la médina de Fès, un petit taxi fassi, ils sont rouges, je lui dis où je vais et cinq minutes plus tard, je suis à la gare. J'y fais la queue un moment, j'ai mon billet, le train part dans dix minutes. Puis une demi-heure et je suis à Méknès.
La foire d'empoigne, comme dirait mamie, ma mamie de Dijon qui est morte il y a quelque chose comme une douzaine d'années et je pense toujours à elle. Les petits taxis ne se bousculent pas, mais les clients si. J'en chope un tout de suite, en m'imposant dans la rue. L'Hôtel Maroc est un superbe endroit. Ultra propre, ma chambre aux murs d'un vert franchement décrépit, est parcourut, sur le bas, d'une zellige colorée. Mon lit, à vrai dire, n'est pas confortable, mais ma fenêtre donne sur les orangers fleuris du patio, l'atmosphère en est aussi douce qu'un lointain effluve de parfum de femme, et je me vois écrire des supers bouquins pornographiques, avec des gars qui lèchent des trous du cul par exemple, Burroughs style, sur ce petit bureau, juste à côté du lavabo. L'accueil du réceptionniste est chouette, j'avais envie de lui demander son nom, et puis ma sympathie pour lui m'a rendu timide.
Première balade dans Méknès. Je me perds dans Dar Khbira, visite intéressante d'un quartier d'habitations, traversant une muraille ahurissante d'épaisseur, puisque par exemple une large rue y a été creusée. C'est d'ailleurs un autochtone qui m'a guidé gentiment, riant de ma prime méfiance : « Je ne suis pas un faux guide, hein, faut pas avoir peur ». Un étudiant en anglais âgé de 42 ans, du coup fort aimable, et qui me promet, « nous nous reverrons ». Inch Allah Lotfi.
Puis je suis rentré à l'hôtel avec des brioches à la fleur d'oranger, un pain au chocolat bizarre, mais bourratif et cela tombait très bien.

Vingt-et-unième jour
Dans ma chambre après une visite de la médina. Pas grand'chose à en dire, c'est une médina, vivante mais pas comme celle de Fès, tellement plus populeuse. Personne n'a cherché à me guider, c'est une première. Dans ma chambre, je n'ai pas très envie de bouger. Faire le touriste m'ennuie. Et, de toute façon, même ici je suis au Maroc. Déjà parce que l'hôtel porte ce nom. Mais surtout parce que je n'ai pas le sentiment d'habiter quatre murs, une décoration intérieure déliquescente, une literie dégueulasse, des draps frais, une chaise rangée sous un petit bureau recouvert de formica, un lavabo surmonté d'un miroir, deux ampoules électriques et une descente de lit grise. Et ce n'est même pas à cause de cette merveilleuse odeur de fleur d'oranger. C'est que j'habite aussi l'endroit où je suis venu. La porte fermée n'occulte pas le chemin parcouru. Je peux rester allongé ici, cela ne change rien, je suis au Maroc.
Cela me fait penser au lièvre de Patagonie, cette apparition soudaine, nocturne, dans les phares de la voiture de Claude Lanzmann, et qui lui fait comprendre, intimement, sensiblement, qu'il est bel et bien en Patagonie. Je me sens à la recherche de cette émotion-là.
J'ai envie d'aller au sud.

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