mercredi 30 janvier 2013

Mes carnets du Maroc (59)

Trente-quatrième jour
Retour sur la journée de lundi. Rien de révolutionnaire, sauf qu'à regarder de plus près, ce lundi tranquille me montre une petite évolution de ma façon d'être, quelque chose que je dois sans doute au voyage. Ce matin, sur la terrasse de l'hôtel, un couple de Polonais, qui n'est finalement pas resté, j'ai entamé une conversation agréable, en anglais, avec la sémillante jeune femme, tandis que son mec disputait ferme les prix avec le jeune réceptionniste – un que je ne connaissais pas. J'ai ensuite passé un moment avec Mohammed, le marqueteur à la mâchoire qui sort de sa bouche, avec des chicots pourris que c'est un bonheur de le voir sourire toute la journée. Il fait deux dessins différents sur des morceaux de loupe de thuya, dans lesquels il insère des fils d'aluminium : « moins cher que l'argent, et ça oxyde pas », me dit-il, plus à l'aise avec le français que je ne l'avais soupçonné. J'ai l'impression d'un travail soigné, mais elles sont quand même bien moches ces petites boîtes rondes, polies et brillantes, qui s'alignent sur les étagères du placard où il bosse. Non loin, dans une des rues centrales de la médina, je me suis laissé aller à répondre à un jeune commerçant complètement bourré. Très efféminé, gracile, du khôl sous les yeux. Yacine. Il me raconte qu'il est du sud, de Zagora. Il est ici pour vendre des objets pendant la saison touristique. Qu'ensuite il rentrera au bled, dans sa tribu. Les mecs ils doivent bien rigoler, tout de même. Saïd, qui me croise en pleine conversation, me raconte ensuite la vie de Yacine, qui d'ailleurs ne savait plus très bien, au moment de se quitter, s'il s'était présenté sous ce nom, ou sous celui de sa boutique, Mohammed... Ce garçon, Yacine, donc, est bien né dans le sud, mais dans la région immédiate de Marrakech. Et il vit à Essaouira toute l'année, où il est entretenu à distance par une Française amoureuse. Il a vingt-quatre ans, il est bourré à la mahia tous les jours. Il semble que l'alcool soit un problème virulent dans la jeunesse marocaine et ce n'est vraiment pas la première fois que je m'en rends compte. À l'hôtel, j'ai débuté aussi une conversation avec un Turc de Paris, nous avions fait presque le même voyage, mais pas du tout ouvert, méfiant, il ne m'a adressé la parole que contraint par la situation. Sûrement un espion turc qui craignait que je ne le découvre. Il devait avoir les boules de tomber sur un type comme moi, c'est évident que je lui aurais tiré les vers du nez. Quel connard. En couple, donc fermé. Bon, quant à moi, je lui avais adressé la parole, ce qui n'est pas dans mes habitudes, alors je suis fier. Mon voisin de chambre, un Allemand, écrivait des impressions dans un carnet, sur la terrasse, hier soir, enfin, je veux dire, ce lundi soir. Nous avons communiqué en allemand, j'adore, mais j'ai quand même beaucoup de mal, il faudrait vivre un temps à Berlin pour parler couramment.

(Retour au) Trente-cinquième jour
Je n'ai pas changé de caractère, je crois que je vis les événements, ou plutôt cette suite de non-événements qu'est la fin de ce voyage, de façon plus naturelle, plus habituelle. Ce qui est un des buts du voyage, paradoxalement. S'étonner d'un endroit, se dépayser, avec pourtant l'ambition de l'apprivoiser. Quand je quitte l'hôtel, matin, je salue Kabir le gérant de nuit avec la brume du sommeil qui lui voile les yeux, et non point le regard, j'offre un joyeux bonjour à Kabir le menuisier, né, comme l'autre, le jour de l'Aïd, puis Mohammed, qui n'est que sourire, Saïd, mon poteau, et aussi le musicien qui joue si bien de l'Oud, et encore une jeune femme, quand je l'aperçois sur le seuil de sa maison, charmante voisine voilée de mon copain marchand de tapis.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire