Mamie se dirige vers le boulevard, elle traîne un cabas en toile de jute. Sur la place de la Croix-Rousse, elle s'arrête. Les enfants piaillent autour du carrousel, c'est dimanche, la fin du marché. Le petit soleil éclot, perce nuage, mamie est en gilet, silencieuse, patiente. Deux petits garçons se disputent au pied de la statue de Joseph-Marie, ils s'arrachent les vêtements, se griffent, tombent à terre, mamie n'en perd pas une miette, et c'est une espèce de clochard juste sorti de l'hiver, grisé, recouvert de pulls et de vestes, qui les sépare. D'une voix jeune, claire, l'homme demande un peu de savoir vivre, enfin, vous n'avez pas honte. Demain soir, mamie doit faire réviser la numération à l'un d'eux. Celui qui avait le dessus, dans cette jolie rixe, celui qui a la joue striée, marquée par les doigts de son camarade, pas celui qui aura une grosse bosse sur le crâne. Notre dame se fait discrète, se cache derrière le manège et les admire, encore, entre les oreilles d'un cheval de bois ou sous le ventre d'une baleine volante. Les deux mômes se regardent de biais, avec de la haine, et elle, elle s'énamoure. Ce petit gars, décidément, a bien des ressources.
Le spectacle écœurant d'une maman et d'un papa ébaudis détournent son regard. Ils portent une fillette en larmes jusque sur un vaisseau spatial, elle a déjà essayé le bus, la voiture dingo, mais ce qu'elle voulait, elle, c'est le vaisseau spatial. Elle hurle alors même qu'elle obtient ce troisième tour, sans doute prépare-t-elle un autre caprice. Mamie s'éloigne, jette un œil vers la statue. Son petit gars a disparu. Ne reste que le petit loser, qui se frotte le cuir chevelu en chougnant. Elle shoote un petit caillou, l'envoie valdinguer dans les roues d'une voiture. Et va faire la fin du marché, comme prévu.
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