lundi 7 septembre 2009

Mon tour de passer (1)

(Texte lu sur le pont Berlottier inauguré sur la Loire cet hiver en compagnie des (h)auteurs)


Ce que beaucoup ignorent, c’est qu’à l’endroit même où nous sommes, autrefois, il y avait une petite auberge dont la spécialité de ragoût de cochon à la purée était reconnue. L’auberge Carmin était tenue proprette par une dame que j’ai rencontrée. Depuis qu’ils ont rasé son auberge, Madame Carmin vit dans un appartement en haut d’une tour de la banlieue. Ça la change. Mais elle ne se croit pas malheureuse, vous savez, une tour, on peut y voir un amas de béton, une trop forte concentration d’êtres humains, avec tout ce que cela comporte de désagréments, ou bien, on peut espérer aller voir les étoiles d’un peu plus près. C’est ce qu’elle m’a dit. Les tours, les basses, les belles, aussi bien que l’Eiffel, sont des ponts tendus vers les rêves. Elle a grand ouvert la fenêtre de son petit salon, et il n’y avait rien au-delà que le ciel nu et froid, de plus en plus froid. En haut des tours, les joues rosies, les narines écartées, les mains, eh bien, je ne sais pas, dans les poches. La chevelure déployée dans le grand vent des hauteurs. Je me suis vu rêveur. Je me suis vu tomber.

« Mais, le pont » me dit-elle pendant que je referme la fenêtre, « revenons à notre pont »

Ce pont est majestueux, je veux bien. Nombreux sont les badauds qui viendront s’ébaudir de ces deux flèches pointés vers l’Azur, de ces câbles monstrueux roidis telles les cordes délicates d’un violon, et pourtant comme dégueulés par de grandes orgues mutiques.

« Oui oui, c’est un très gros pont » répéta-t-elle.

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