Quatrième jour
J'arrive à Tanger. La cosmopolite,
l'interlope, la ville des écrivains, des peintres orientalistes,
entre mer et océan. Surveillant le détroit de Gibraltar, elle
serait elle-même un pont, qui relie l'Afrique à l'Europe
occidentale. J'y entre un jour de pluie, je ne reconnais rien de ce
que que j'avais imaginé. Le plan sommaire de mon guide ne correspond
en rien à ce que je vois. Je pensais la gare routière adossée au
port, et je suis incapable de trouver la mer. J'aperçois une
mosquée, je crois que c'est celle du plan, mais pas du tout. J'en
fais le tour, je suis dans un quartier très chic et chiant. Tout ça
sous une pluie trépidante. Je retourne à la gare routière et là
je m'arrête. J'essaie de me concentrer, de situer tous les éléments
de ma carte, qui ne mentionne d'ailleurs que ce qu'elle veut. Je suis
un peu désœuvré, sous la flotte, mon chapeau de paille dégoulinant
sur les pages de mon guide. La lose. Un homme m'aborde, j'ai le
réflexe de l'envoyer gentiment paître, mais il a l'air de s'en
foutre, il a même l'air de se foutre de tout. Ce qui me plaît. Je
lui souris, il finit par se présenter, Mohammed, « comme 80 %
des Marocains » rigole-t-il. Mais moi ça ne me fait pas marrer
parce que je me demande s'il n'essaie pas de caresser ma petite fibre
raciste ordinaire d'Européen. Il me demande si j'ai un hôtel, je
lui dis que oui, alors que non, il me demande lequel, je lui réponds
Mamara, un qui est dans la rue la plus craignos de toute la ville. Il
me conseille plutôt ce qu'il appelle la vieille ville, et bon du
coup ça me fait hésiter car c'était mon premier projet, la vieille
ville. Et là il me dit par là, c'est par là. Et pouf, il m'emmène,
devient mon guide. Il m'emmène droit sur le pire hôtel de ma vie,
le Holland, rue de Hollande. Super bien placé, une maison superbe,
et des chambres aussi sympas que celles d'un asile psychiatrique. Éclairage
au néon, carrelage antédiluvien repeint en bleu ciel, sur les murs.
J'ai l'impression que je vais dormir dans une salle de bain, mais pas
celle du Majestic, hein, plutôt celle d'un orphelinat d'une banlieue
de Bucarest. Ceaucescu style. J'ai négocié le prix pour la
meilleurs chambre en lui disant que de toute façon elle ne me
plaisait pas et que si je la prends, ce ne sera que pour la nuit. 250
Dh, au lieu de 300. Mais en fait je crois que ça ne les vaut même
pas. Du coup, j'ai laissé mon sac et j'ai dit à
Mohammed, je te paye un coup quelque part. Lui ça ne l'arrangeait
pas trop, il espérait un peu plus qu'un verre de café au lait, il
a hésité. Puis il a commencé à me balader dans le quartier juif,
c'était superbe, sauf que je flippais, et s'il avait des
potes qui aiment trop l'argent, hein ? De coupe-gorges en
coupe-gorges, je n'ai croisé qu'enfants jouant aux billes, boutiques
animées de barbiers, de vendeurs de produits pour femmes, et pas mal
de bonne humeur. Seul Mohammed semblait en deuil, les épaules
basses, la mine lasse. Au coin d'un souk, il m'a proposé de boire un
coup à une terrasse où j'ai tenté en vain de le faire parler. Je
sais qu'il est berbère, divorcé d'une femme qui lui a fait trois
enfants. Il est au chômage, depuis longtemps, et l'usine Renault qui
vient de s'installer n'a pas voulu de lui. Mais il ne cherche pas
vraiment de travail. Il en trouvera « si Dieu le veut ».
Il espère que le Maroc va aller mieux, avec le nouveau gouvernement,
les droits de l'homme, de la femme, c'est déjà un énorme progrès :
« par rapport au temps d'Hassan II ». Puis il se lève,
il disparaît dans le café tandis que j'ai terminé mon verre de thé
à la menthe. « On y va ? » me propose-t-il, et
j'approuve. « J'ai payé », ajoute-t-il et là je me dis
qu'il est malin. Il me fait finir le tour qu'il avait commencé, il
me dit, tu sais, tu peux donner un peu, mais c'est pas obligé. J'ai
failli dire que ok, alors, si je ne suis pas obligé. Mais j'avais
mis 50 Dh dans ma poche, pour lui, et je lui ai tendu.
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