Sur le chemin de Tanger. D'abord, une
traversée de Casablanca. Je suis toujours abasourdi d'apercevoir de
la vie humaine dans des endroits où, en gros, je n'ai pas envie de
m'attarder. Je m'étonne de ce que cette vie puisse ainsi se
satisfaire du trou où elle est. Tout cela est très relatif,
évidemment, Lyon est un trou en comparaison de Paris. Juste, on peut
dire que Paris n'est pas un trou. Et là je suis à Casa, ou dans ses
faubourgs. Je vois des gens qui sont ensembles, discutent, se
touchent, rigolent. Des enfants qui sortent de l'école, empruntent
une rue dont ils connaissent le moindre chaos, mais pas le nom. Des
jeunes hommes en veste de cuir, sous cette chaleur, des jeunes femmes
souvent voilées, ne me semblent pas pouvoir aimer l'endroit où ils
vivent. Ce n'est pas un choix qu'ils ont, dans cet environnement
urbain sans urbanisme, sans transport en commun, sans beauté autre
que la leur. Les habitants de ces quartiers sans âme peuvent se
sentir prisonniers, décidément, puisque à cette situation
géographique, il faut ajouter, en fait l'une découle de l'autre, la
situation sociale. Et si le sentiment d'avenir bouché, de conquête
impossible, devrait sans doute être cause nationale en France, ici,
le sentiment de défaite est un fléau d'une incroyable violence.
Alors, comment le peuple marocain peut-il être si pacifique ?
La religion, peut-être, qui régule pas mal de comportements
sociaux, notamment envers les femmes, qu'on mate mais qu'on n'agresse
pas – à moins d'être son mari. L'équipe de football, dont on est
si fier, c'est important la fierté, c'est un bon substitut à la
dignité. Et surtout le prix du pain.
Quatrième jour
Je traverse la plaine côtière, de
Casa à Salé, en passant par Rabat. Puis, vers le nord, toujours en
longeant le front de l'océan. Beaucoup de terres cultivées, un blé
vert, du colza en fleur. Mais d'après Jeff, il ne faut pas s'y
tromper. La pluie de l'autre jour était largement insuffisante. Et
quand bien même elle eût été abondante, Jeff m'affirme que c'est
trop tard, « les récoltes sont foutues ». Des paysans
fauchent dors et déjà leurs champs pour nourrir le bétail. Les
souks marocains, actuellement, proposent des oranges succulentes à 7
dh le kilo, des fraises charnues et sucrées pour 8 Dh. Des légumes
frais triomphants, des monceaux de légumes secs, de la viande
pendante aux crocs du boucher, beaucoup de poissons, sagement
rangés... En apparence, le pays ne manque de rien. Sauf que la
sécheresse sévit et l'été est encore loin. Jeff est fataliste sur
ce point, alors, je me dis qu'il y a peut-être matière à
s'alarmer.
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