lundi 5 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (39)

Vingt-troisième jour
Du petit Ronaldo à Rachid... Marrakech.
Ronaldo
Circulant au hasard des souks, dans une foule plutôt dense, un jeune homme m'aborde, il a la même technique que les autres, bonjour, bienvenu, Français ? Anglais ? Spanich ? Etc... Et je réponds comme chaque fois, avec le sourire, puis en prévenant que je ne dépense pas d'argent ici. Mais ce garçon qu'un T-shirt rouge de Manchester United floqué Ronaldo moule parfaitement, est sublime. Il sublime le moment, il éclaire mon regard, il embellit la rue. Il en vient à donner son prénom, que j'oublie aussitôt, et je lui donne le mien. Je sens bien qu'il me fait un guiliguili dans la paume, mais je n'en décrypte pas le sens, et puis d'abord je doute même d'avoir senti ce que j'ai senti. Petit Ronaldo, qui mesure une tête de plus que moi, précise : « Moi aussi j'aime les hommes ». Du coup, me voilà subjugué pour de vrai, à le suivre partout. Et d'abord dans l'échoppe de son père, du moins est-ce ainsi qu'il me la présente, une épicerie qui vend de l'huile d'Argan, du parfum. Puis chez un vendeur de Djellabas. Et à partir de là j'ai eu mon comptant de désir, avec son derrière somptueux que je peux encore former dans ma tête, ses épaules dangereuses, ses sourires blancs, je lui dis c'est bon comme ça, on arrête. « Je t'invite chez moi, tout de suite ? »
La tentation est énorme, au moins autant que ma trique. Et je lui répond que ma politique est de ne jamais payer pour « ça ». Il renonce gentiment. Nous nous quittons. Nous nous croisons un peu plus tard, il fait mine de ne pas m'apercevoir.
S'il était revenu à la charge, je ne crois pas que j'aurais eu la force de refuser.

Je retourne, sans le vouloir, place Jemaa El Fnaa, qui a un très beau nom, l'Assemblée des morts. Je ne sais plus très bien pourquoi mais je vais vers mon hôtel, je croise alors le regard d'un homme, pas le tombeur du tout, pas moche non plus, dans les 35 ans et en effet, il m'en avouera plus tard 38. Je me fous complètement de ce mec, je l'oublie dans le quart de seconde, mais lui... lui m'a flairé.

Rachid
Quelques minutes plus tard, celui qui dira s'appeler Rachid m'accoste. Je ressemble à un mec, son mec, qui est mort d'un accident de voiture il y a six mois. Je ne le trouve pas hyper glamour dans son approche et je doute à la seconde même de son histoire. Pourtant, j'accepte son invitation à boire un coup. Je pense à mes amis lyonnais, qui m'auraient moqué si j'avais décliné, en fait, c'est ce qui me fait tenter ma chance. On parle un peu de nous, je reste un peu à distance, il me donne 42 ans, donc j'aurais dû tout de suite savoir que c'est un gros connard. Mais je vis enfin un truc qui me sort de mes habitudes, en conséquence, je suis tout disposé à lui laisser le bénéfice du doute. L'expression n'est ici d'ailleurs pas trop mal venu, car d'une part, le bénéfice, c'est justement ce qu'il espère, et d'autre part, si le doute peut bénéficier... cela veut dire aussi qu'il peut basculer du côté de la suspicion. Rachid me dit quel désir il a de moi, ça ne m'excite pas, mais je ne suis pas contre une bonne nuit dans les bras d'un homme, c'est même mon fantasme le plus violent, et je sais que j'aurais les ressources pour... la chose, quitte à repenser au petit Ronaldo. Reste l'insoluble problème du lieu de nos futurs ébats. Il est à l'hôtel, je suis à l'hôtel, mais pas le même. D'ailleurs, cela me fait entrevoir une solution à laquelle je n'ai pas pensé, ce qui est carrément honteux. Il faut dire que lui a un plan, qu'il me soumet. Il connaît quelqu'un qui. Un ami d'enfance qui. Loue des appartements à Gueliz, un quartier sans âme de Marrakech (pour ce que j'en ai vu). « On partage », dit-il pour me rassurer. Il téléphone à quelqu'un et il me dit, c'est un peu cher, il demande 600 dh. « 300 chacun, c'est bon pour toi ? » Je ne réfléchis pas, j'approuve. Dans les cinq minutes, je suis à l'hôtel et je plie bagage. Pas mécontent de quitter cet endroit. Rachid m'attend de l'autre côté de la rue, il chope un petit taxi jaune, encore dix minutes et nous arrivons devant une sorte de brasserie pour riches ou nous entrons. 112 dh la note finale, pour un jus de fruit massacré par les sirops, une tarte aux pommes qui manquait de cuisson, un gâteau à la française, pour Rachid, qui ne me disait vraiment rien. Bref. Isabelle sors de ce corps. Il me dit bon je vais régler l'affaire et je reviens. J'ai négocié trois nuits à 500 dh la nuit, donc, donne ta moitié que j'aille le payer. Alors mes signaux d'alertes passent au rouge foncé. Non Rachid, une nuit, pas douze, et pas trois non plus. En plus je ne te confie pas 300 dh comme ça, mec, je ne te connais pas. Il fait le gars offusqué, il en serait presque touchant. Il me fait penser à un copain qui fait exactement les mêmes moues lorsqu'il est vexé, je pense à cet ami dont la sincérité n'est pas douteuse. Il finit par laisser sa veste et son téléphone, ah non, son téléphone, au dernier moment, il le reprend. Mais j'ai fait l'erreur, les 300 dh sont dans sa poche. J'ai déjà les boules à cet instant. Je sais que je me suis fait arnaqué. Il revient. « Je suis désolé, mon ami veut qu'on reste au moins deux jours. Donne-moi le deuxième jour en entier, je n'ai plus d'argent ». Mes signaux explosent, mes signaux saignent. Ma réponse est claire, rends-moi l'argent. Seulement lui argue qu'il a déjà donné à son ami. « Si c'est un ami, alors tu dois pouvoir les récupérer ». Et le voilà qui m'accuse de racisme, « je comprends, tu n'as pas confiance, je suis Marocain », pleure-t-il. Lorsqu'on se sépare, il me donne deux adresses à Ouarzazate, comme preuve de sa bonne foi. Il me donne aussi rencart à 18 heures devant mon hôtel pour me rendre mon argent. J'y serai, mais je suis bien certain qu'il ne lâchera jamais ce fric, d'ailleurs augmenté de 50 dh, juste parce que je suis un idiot, et qu'il a tant insisté, et que je voulais me débarrasser de lui au plus vite. Le problème, c'est que je ne me voyais pas non plus lui mettre mon poing dans la gueule.
Notre « rendez-vous » est dans dix minutes. J'hésite à m'y rendre. Cette mésaventure, il ne faudrait pas qu'elle trouve encore de ces délicieux développements, que seuls mon désir frustré et ma solitude, ainsi que ma qualité de touriste étranger, pourrait encore me valoir.

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