Vingt-septième jour
Un vent du nord enfle dur, des
bourrasques se chargent de terre et de sable, crépitent sur les
fenêtres, me faisant croire un instant à la pluie. Simon, le beau-frère, a côtoyé deux rois. Hassan II dont il reconnaît les
« erreurs » mais qu'il ne cessera d'admirer, et Mohammed
VI pour lequel il montre de l'affection. Il travaillait pour les
haras royaux, et c'est à lui, par exemple, que Mohammed VI c'est
plusieurs fois adressé lorsqu'il voulait monter. Andy l'Autrichien,
témoigne de ce qu'il a pu rencontrer la femme du roi grâce aux
entrées dont Simon dispose encore au Palais. On dirait de petites
histoires, sauf qu'ici, au Maroc, ce sont des destins qui se
dessinent, il s'agit de ce genre d'histoires qui font des
réputations, forgent une dignité, à ceux qui les racontent.
J'admire assez Simon, qui n'exprime aucune fausse modestie, se
valorise sans cesse dans ses récits, mais tout en gardant une sorte
de quant-à-soi, propre à donner une profondeur à son personnage.
Comme au détour d'une phrase, ce ne sont pas des pointes d'orgueil,
c'est un homme orgueilleux, mais des pointes de modestie qui
parsèment son discours. Il faut dire que je le crois lucide avec une
assez haute idée de lui-même pour en être, à priori, digne.
Plusieurs réflexions sur l'immigration, sur les rapports humains...
rejoignent les miennes, je crois qu'il porte un regard bienveillant
sur les humains, d'où qu'ils viennent, et cela lui permet d'éviter
tout manichéisme. Il comprend que la misère puisse mener où elle
mène, mais ne pardonne pas pour autant la bêtise, la veulerie, le
vice. Et il aime qu'on le respecte dans son travail. « J'ai un
métier, je le fais bien », assène-t-il. Ainsi s'est-il fâché
avec un certain Duncan, producteur d'Alexandre, le film d'Oliver
Stone, et de deux autres gros budgets hollywoodiens. En plein
ramadan, l'Américain le fait poireauter une journée dans les
environs d'Essaouira, avec six hommes et ses chevaux. Cagnard, 38 °C.
Il réclame de l'eau pour les chevaux, qui eux ne font pas ramadan,
et c'est déjà une difficulté, mais qui trouve sa solution.
Ensuite, le cavalier, responsable de l'écurie, demande à manger
pour ses hommes, il n'est encore que 16 h, mais le soir va tomber,
mine de rien, et le repas nocturne en période de ramadan est sacré,
il faut bien manger, et manger bon. Simon se fait refiler des restes
rassis de la cantine des Américains et il commence à faire la
tronche. Puis il s'empare d'un pack de six litres de flotte et c'est
alors que le producteur lui prend le bras : « Vous êtes
vraiment des voleurs ! » s'insurge le jeune milliardaire
qui trouve que les sept hommes abusent gravement de la situation en
s'emparant de six bouteilles d'eau. Comme si l'eau était gratuite.
Simon, qui se vante de me parler de la même façon qu'à son roi, ce
qui n'est ni métaphore, ni vain mot, monte sur ses grands chevaux,
et là c'est une métaphore, il plaque le producteur contre un mur,
lui dit d'abord qu'il a une tradition d'accueil à respecter, mais
que si on commence à lui marcher sur la tête, il ne va pas se
laisser faire. Qu'il a un métier et qu'il le fait bien mais que si
on n'a pas besoin de lui, il déchire son contrat, et d'ailleurs, il
s'exécute sur le champs. « Je pars, attention, n'essaie pas de
me suivre », prévient-il. Le producteur le fera ensuite
rechercher, lui présentera ses excuses. Et Simon pardonnera
puisqu'il s'enorgueillit aujourd'hui de l'amitié de ce Duncan mal
rasé, « comme toi un peu », et je souris, mais je n'aime
pas la comparaison.
Quand il a vingt ans, Simon a du culot
et ne s'embarrasse pas de salamalek. Enfin façon de dire qu'il parle
facilement aux gens, quels qu'ils soient. Son rêve est de devenir
cavalier mais un bon. Il monte d'abord un dossier pour faire l'école
de Maison-Lafitte. Et l'école française lui répond positivement,
mais en réclamant 13000 FF de droits d'inscription. Comme il n'en
possède pas le premier centime, il décide d'aller toquer aux portes
du ministère. Il est reçu par un colonel qui lui dit, mais pourquoi
aller en France alors que nous avons une excellente école ici, à
Rabat. Simon me dit qu'il ne connaissait pas cette école, et
n'imaginait pas qu'il puisse en exister une ici, au Maroc. Je crois surtout qu'il n'a pas trouvé l'argent, et s'est ainsi rendu à l'idée
de rester. La décision se prend en quelque minute, le colonel lui
demande s'il doit l'inscrire, et Simon répond... oui.
« Très bien ! Vous commencez votre formation
demain à 5 h du matin ».
Le même colonel, trois mois plus tard,
le prend, un après-midi, à glander autour des écuries. « Mais
vous ne travaillez pas ? » Mon colonel, la formation de cavalier c'est
le matin, si bien qu'ensuite, Simon ne sait pas comment occuper son
temps. « Suivez-moi, l'après-midi, dorénavant, vous
travaillerez pour moi ». Et Simon d'emboîter docilement le pas
du colonel. Il se forme ainsi aux techniques de gestion, aux outils
informatiques, etc... Lorsqu'il sort de sa formation, il est tout de
suite embauché par le Palais. C'est l'époque d'Hassan II, le roi
qui inspire la crainte.
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