samedi 24 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (46)

Vingt-septième jour
Un vent du nord enfle dur, des bourrasques se chargent de terre et de sable, crépitent sur les fenêtres, me faisant croire un instant à la pluie. Simon, le beau-frère, a côtoyé deux rois. Hassan II dont il reconnaît les « erreurs » mais qu'il ne cessera d'admirer, et Mohammed VI pour lequel il montre de l'affection. Il travaillait pour les haras royaux, et c'est à lui, par exemple, que Mohammed VI c'est plusieurs fois adressé lorsqu'il voulait monter. Andy l'Autrichien, témoigne de ce qu'il a pu rencontrer la femme du roi grâce aux entrées dont Simon dispose encore au Palais. On dirait de petites histoires, sauf qu'ici, au Maroc, ce sont des destins qui se dessinent, il s'agit de ce genre d'histoires qui font des réputations, forgent une dignité, à ceux qui les racontent. J'admire assez Simon, qui n'exprime aucune fausse modestie, se valorise sans cesse dans ses récits, mais tout en gardant une sorte de quant-à-soi, propre à donner une profondeur à son personnage. Comme au détour d'une phrase, ce ne sont pas des pointes d'orgueil, c'est un homme orgueilleux, mais des pointes de modestie qui parsèment son discours. Il faut dire que je le crois lucide avec une assez haute idée de lui-même pour en être, à priori, digne. Plusieurs réflexions sur l'immigration, sur les rapports humains... rejoignent les miennes, je crois qu'il porte un regard bienveillant sur les humains, d'où qu'ils viennent, et cela lui permet d'éviter tout manichéisme. Il comprend que la misère puisse mener où elle mène, mais ne pardonne pas pour autant la bêtise, la veulerie, le vice. Et il aime qu'on le respecte dans son travail. « J'ai un métier, je le fais bien », assène-t-il. Ainsi s'est-il fâché avec un certain Duncan, producteur d'Alexandre, le film d'Oliver Stone, et de deux autres gros budgets hollywoodiens. En plein ramadan, l'Américain le fait poireauter une journée dans les environs d'Essaouira, avec six hommes et ses chevaux. Cagnard, 38 °C. Il réclame de l'eau pour les chevaux, qui eux ne font pas ramadan, et c'est déjà une difficulté, mais qui trouve sa solution. Ensuite, le cavalier, responsable de l'écurie, demande à manger pour ses hommes, il n'est encore que 16 h, mais le soir va tomber, mine de rien, et le repas nocturne en période de ramadan est sacré, il faut bien manger, et manger bon. Simon se fait refiler des restes rassis de la cantine des Américains et il commence à faire la tronche. Puis il s'empare d'un pack de six litres de flotte et c'est alors que le producteur lui prend le bras : « Vous êtes vraiment des voleurs ! » s'insurge le jeune milliardaire qui trouve que les sept hommes abusent gravement de la situation en s'emparant de six bouteilles d'eau. Comme si l'eau était gratuite. Simon, qui se vante de me parler de la même façon qu'à son roi, ce qui n'est ni métaphore, ni vain mot, monte sur ses grands chevaux, et là c'est une métaphore, il plaque le producteur contre un mur, lui dit d'abord qu'il a une tradition d'accueil à respecter, mais que si on commence à lui marcher sur la tête, il ne va pas se laisser faire. Qu'il a un métier et qu'il le fait bien mais que si on n'a pas besoin de lui, il déchire son contrat, et d'ailleurs, il s'exécute sur le champs. « Je pars, attention, n'essaie pas de me suivre », prévient-il. Le producteur le fera ensuite rechercher, lui présentera ses excuses. Et Simon pardonnera puisqu'il s'enorgueillit aujourd'hui de l'amitié de ce Duncan mal rasé, « comme toi un peu », et je souris, mais je n'aime pas la comparaison.

Quand il a vingt ans, Simon a du culot et ne s'embarrasse pas de salamalek. Enfin façon de dire qu'il parle facilement aux gens, quels qu'ils soient. Son rêve est de devenir cavalier mais un bon. Il monte d'abord un dossier pour faire l'école de Maison-Lafitte. Et l'école française lui répond positivement, mais en réclamant 13000 FF de droits d'inscription. Comme il n'en possède pas le premier centime, il décide d'aller toquer aux portes du ministère. Il est reçu par un colonel qui lui dit, mais pourquoi aller en France alors que nous avons une excellente école ici, à Rabat. Simon me dit qu'il ne connaissait pas cette école, et n'imaginait pas qu'il puisse en exister une ici, au Maroc. Je crois surtout qu'il n'a pas trouvé l'argent, et s'est ainsi rendu à l'idée de rester. La décision se prend en quelque minute, le colonel lui demande s'il doit l'inscrire, et Simon répond... oui.
« Très bien ! Vous commencez votre formation demain à 5 h du matin ».
Le même colonel, trois mois plus tard, le prend, un après-midi, à glander autour des écuries. « Mais vous ne travaillez pas ? » Mon colonel, la formation de cavalier c'est le matin, si bien qu'ensuite, Simon ne sait pas comment occuper son temps. « Suivez-moi, l'après-midi, dorénavant, vous travaillerez pour moi ». Et Simon d'emboîter docilement le pas du colonel. Il se forme ainsi aux techniques de gestion, aux outils informatiques, etc... Lorsqu'il sort de sa formation, il est tout de suite embauché par le Palais. C'est l'époque d'Hassan II, le roi qui inspire la crainte.

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