Vingt-sixième
jour
Je
n'ai pas mangé hier soir. Arrivé trop tard à Ouarzazate. J'ai
engagé la conversation avec un couple de niçois, puis deux
québècoises très jolies, dans le car. Sans succès,
aimables, sans plus. Aimables, non, disons polis. Je cherchais un peu
de soutien, peut-être un renseignement, puisque j'arrivais à
Ouarzazate sans réservation, sans savoir où j'allais dormir. Je ne
me faisais pas une trop grande frayeur de cette incertitude, mais je
me sentais plus tranquille en compagnie de ce couple, lorsque nous
avons pris le taxi, puis chacun sa chambre dans le même hôtel. Ils
peuvent bien s'en aller, ce matin, sans un au revoir, ils vont louer
une auto et parcourir la vallée du Drâa, tous les deux. En fait,
ces quatre personnes étaient toutes enfermées dans leur cercle
amical ou amoureux, et d'autant plus qu'elles arrivaient au Maroc et
n'avaient pas encore cet élan de partage que souvent nous avons au
moment de rentrer. Me voilà donc seul à Ouarzazate, dans un hôtel
très confortable où j'ai pourtant mal dormi et, en revanche, très
bien petit déjeuné. Je goûte au calme de la terrasse, malgré ce
gros con qui est du genre à ne jamais penser qu'une voiture, et
surtout sa voiture, puisse être une nuisance, et qui laisse tourner
son moteur à 4 mètres de moi. Ah il s'en va. Je retrouve la rue
presque vide, j'entends au loin des jeux d'enfants, cela vient du
côté du minaret. La lumière me baise les pieds et ce baiser me
réchauffe l'âme.
Vingt-sixième
jour
Il
fallait que je parvienne à m'arracher encore une fois. Ce n'est pas
que j'aie pu tisser quelque lien à Ouarzazate, c'est même tout le
contraire. Mais l'atmosphère de cet hôtel, aussi mortifère et
reposant qu'un hôtel de province, sans le moindre intérêt, donc,
aurait pu me garder, le temps d'une sieste de 24 heures. La
résolution que j'avais de découvrir Aït Benhaddou, d'aller y
trouver, justement, un endroit pour le repos du corps et surtout de
l'esprit, a été plus forte. La vague sensation de m'être fait
avoir par le taxi ne réussit pas à me gâcher le plaisir de la
route, sublime, depuis la sortie de Ouarzazate. Un paysage de désert
caillouteux, des collines rouges telles des vagues soulevant une mer
de pierres. Les ergs de dunes plus au sud ne sont peut-être que les
mêmes collines concassées, profilées par le vent ? Le
surgissement de l'oued Ouarzazate au détour d'une montagne offre le
spectacle merveilleux de ce miroir fragile tendu vers un ciel sans
nuage, et celui des palmiers, doigts de pied dans l'eau, des champs
cultivés, à proximité. La longue route rongée de part et d'autre
par le désert s'allonge jusqu'à un sursaut de montagne, que domine
un agadir, un grenier, construit comme une citadelle. D'ici, le vieux
visage d'Aït Benhaddou ne montre guère son âge, même s'il ne peut
être que celui d'un ancêtre. L'UNESCO protège et répare ce
village en pisé rouge depuis trois ans. Arrivé à Aït Benhaddou,
comme me l'avait suggéré Jean-Marc, l'assureur rencontré à
l'Omnia, le restaurant de Méknès, j'ai demandé « l'Allemand ».
Un homme du coin, déguisé en homme du désert, sans
doute un rabbateur, m'a amené jusqu'à la maison où je me suis tout de suite
installé. Il m'a suffit de poser mes sacs à dos sur un lit et j'étais comme chez moi. Le
patron, qui est en fait Autrichien, m'a présenté sa demeure, m'a
raconté quelques éléments de sa vie, pendant que les femmes, dans
le patio, les pieds nus dans des bassines, ou les mains, penchées
dessus, piétinaient, malaxaient, frottaient des couvertures berbères gorgées
d'eau savonneuse, dans un rayon de soleil et de bonne humeur. J'ai
laissé la porte de ma chambre grande ouverte, je n'avais encore rien
déballé. La femme de la maison, une personne au regard franc et gentil, nous a
amené le thé, dont on m'avait auparavant demandé le taux de sucre.
Et la discussion s'est prolongée à trois, avec le beau-frère. Un homme
bedonnant au français parfait, très content d'échanger dans notre
langue commune, et moi d'échanger avec lui. Il s'est absenté pour
manger, c'était le début d'après midi. Je suis alors allé faire
connaissance avec ma chambre, j'ai écrit, et me suis endormi au milieu d'une.
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