mercredi 7 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (41)

Vingt-quatrième jour
J'essaie de lire un peu en terrasse, en finissant mon petit déjeuner. Je ne cesse de penser à ce vingt-troisième jour. J'ai donné trois cents dirhams, puis cinquante, à ce fils de pute, avec, chaque fois, la conviction que je n'allais jamais les revoir. Et je l'ai tout de même fait, au nom de la petite chance qui existait. Au nom de l'espoir que. C'est une entorse à ma ligne de conduite, à ce renoncement résolu à l'espoir, à cette tromperie, et je l'ai payé cash, une trentaine d'euros quoi, et un peu plus, puisqu'il s'agit aussi de l'idée que je me fais de ma dignité. A ce propos, j'essaie de me raisonner, je ne crois pas avoir été si crédule. Trop passif en revanche. Pas en accord avec mon désir, ni avec mes convictions. Ébranlé, donc. Ce matin, je voudrais voir le jardin Majorelle.

Vingt-quatrième jour
Superbe jardin, que probablement Yves Saint-Laurent a entretenu ou quelque chose dans ce goût, puisqu'un monument et une salle d'exposition lui sont dédiées à l'intérieur, et d'ailleurs la rue porte son nom. C'est bien d'avoir de l'argent quand-même, et plus encore dans un pays pauvre, où il peut tout acheter. Quoiqu'il en soit, je ne sais si cela vaut vraiment les cinquante dirhams de l'entrée, compte tenu que le jardin Majorelle est une attraction touristique où la nombreuse humanité, munie d'appareils photos, écœure. Condamné à ressentir la sérénité par procuration, en imaginant le lieu désert rien que pour soi. En plus, interdit de toucher les végétaux.
Très intéressant, tout neuf et fort bien scénographié, le musée berbère en revanche m'a permis de trouver cette intimité qui manquait au jardin. Non qu'il soit boudé par les visiteurs, au contraire, mais l'intérêt des films projetés, sur l'architecture des greniers par exemple, des mosquées, ou les daguerréotypes datant du début du XXème siècle, prises par un docteur français et tournée aux frontières du Sahara... Les objets exposés qui démontrent ce goût des Berbères, rude peuple des montagnes, pour la beauté, me captivent. L'histoire de la langue berbère, tout de même, interroge. Langue qualifiée d'afro-asiatique, elle est considérée comme une des plus anciennes encore en cours. Le Maroc essaie, depuis peu, de redonner une écriture à cette langue. De redonner. Cela veut dire que la langue berbère, aujourd'hui de tradition exclusivement orale, a été une langue écrite. C'est une langue qui a perdu son écriture. Le peuple berbère peut témoigner que les écrits ne restent pas toujours. Et que l'oralité n'est pas non plus une condamnation à l'oubli. Les efforts pour la renaissance de cette écriture sont assez étonnants, de la part d'un pouvoir arabe, et à saluer. Il me semble que ne parvenant pas à réduire encore le peuple berbère (qui du reste se réveille, par exemple en Algérie, définitivement pas prêt à disparaître), la seule chance pour le pouvoir central de développer le pays, au moins dans ses parties montagneuses et sahariennes, c'est de développer, d'aider au développement le peuple berbère. Favoriser sa culture. Le calcul me paraît bon, d'ici. Des chercheurs ont donc été chargés de marier les deux sortes d'alphabet retrouvés sur des tombes antiques du nord et du sud, pour en former un tout neuf, qui est enseigné dans les écoles berbères aujourd'hui. C'est le modèle inverse de l'hébreu, qui n'était plus qu'une langue écrite, renée dans la bouche, dans les corps des Juifs par la volonté et le génie sioniste. Ce que peut la science moderne n'est plus si loin de la machine à remonter dans le temps, n'est-ce pas.

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