mardi 20 novembre 2012

Mes carnets du Maroc (45)

Vingt-septième jour
C'est une maison en terre. Les briques sont façonnées une à une devant l'entrée. Un tas de terre rouge formé en puy, dans lequel les femmes vident leurs bassines d'eau sale, après la lessive. Le propriétaire m'a expliqué que pour débuter les travaux, il avait fait confiance aux artisans du coin, comme cela semble logique. Mais les premiers murs ne l'ont pas satisfait, et c'est vrai, ils déteignent. Les vieux du village semblaient posséder un savoir-faire, mais leur pisé était de mauvaise qualité. Les Marocains préfèrent de très loin le ciment, les parpaings. Un homme, ici, à Aït Benhaddou, a même doublé sa maison de parpaings avant de détruire ses vieux murs en pisé traditionnel. Très fier de sa nouvelle maison, l'homme doit depuis faire face à une étanchéité défaillante, durant les grandes pluies, il a froid l'hiver et beaucoup trop chaud en été. On connait ce genre de réflexe dans nos campagnes françaises, j'en ai été le témoin, en Ardèche, non loin de Saint Félicien... Un fermier qui possédait des bâtisses magnifiques en vendait une pour pouvoir retaper l'autre, c'est à dire casser l'autre, la recouvrir de ciment, de chaux, avec ce goût pour la banalisation, l'effacement de toute une culture accumulée, sous prétexte de modernité. Un Européen voyageur comme Andy, pas du tout un paysan, qui construit sa maison ici, à l'évidence, ne pouvait qu'être sensible au génie du lieu, et à celui des ancêtres berbères. L'Autrichien est donc allé chercher des spécialistes qui lui ont enseigné qu'il fallait, avec l'eau et la paille, mélanger la terre du coin avec une autre, moins oxydée, donc moins rouge, que l'on trouve à cinq kilomètres d'ici, au bord de l'oued. Il est arrivé au mélange idéal, solide, qui ne se délite pas, ne déteint pas. Les plafonds sont remarquables aussi. Des poutres d'arganier, écorcées, de grosseurs à peu près équivalentes, mais de formes inégales, soutiennent des linteaux de même nature, qui, eux-mêmes, tiennent une sorte de paillasse de roseaux, maintenue cohérente par des fils. Entre les tiges de roseau, j'aperçois l'isolation dont l'Autrichien m'a parlé : « Les gens au Maroc ils comprennent pas le touriste il veut la tranquillité, le silence ». Jusque là, ce n'était pas ma priorité, je peux même presque dire le contraire. Mais j'ai si bien dormi ici.

Vingt-septième jour
Petite note pour mon Isa. Il y a une petite fille, en elle aussi, que j'aperçois, émouvante, perdue, quelques fois, dans notre grande vie d'adulte. Et pourtant, Isa, c'est une grande personne. Donc, suite à mon petit déjeuner :
Amelou selon Khadija (la propriétaire des lieux) : 
Poudre d'amande (mais de préférence pas une amande douce, une avec ce goût fort d'orgeat, suivie d'une amertume délicieuse qu'on trouve ici) 
+ cacao 
+ huile d'argan.
L'amelou ressemble au confit de noisette, c'est d'ailleurs très sucré, il doit y avoir du miel. Une petite astringence, sans excès, que j'aime bien. A propos des amandes, on me précise que les amandiers, ici, sont arrosés par un oued salé, ce qui expliquerait leur goût particulier, intense, moins sucré.

Vingt-septième jour
Visite d'Aït Benhaddou, village âgé d'au moins 900 ans, peut-être 1200, on ne sait pas trop. Et de plus près, son visage a les rides que, de loin, je ne lui voyais guère. Beaucoup de ruines, que les Marocains entretiennent grâce aux sous de l'UNESCO. L'agadir, construit au sommet du mont, a, lui, été entièrement refait, ce qui permet d'aller voir à l'intérieur les quelques chambres où étaient conservés le fourrage et le grain. Avant d'y accéder, il faut passer une muraille, exclusivement consacrée à la protection du grenier. Avant, il faut traverser l'oued sur des sacs de sable où des enfants cherchent à gratter des dirhams en te tenant la main. Puis, en entrant, tu en lâches dix à de jeunes garçons aimables parce que la porte la plus évidente, celle que tu passes, ouvre sur une Kasbah privée. Quelques objets anciens sont exposés dans cette maison, une sorte de « musée » improvisé par les propriétaires. Puis tu mets les pieds dans un entrelacs de ruelles bordées de murs ocres, dont certains ressemblent à ces châteaux de sable au soleil couchant, quand à force de sécher, ils s'écroulent. Peu à peu, visiteur, tu t'élèves, et se révèle, à travers les trouées, au-dessus des toits, le beau panorama de ce coin du Haut-Atlas, entre les montagnes enneigées, au loin, tel un décor peint, irréel, les collines brûlées, tout autour, et, dans la plaine, paresseux, l'oued salé offre le miracle d'une végétation généreuse, oliviers, amandiers, palmiers sous le vent.

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