Vingt-septième
jour
C'est
une maison en terre. Les briques sont façonnées une à une devant
l'entrée. Un tas de terre rouge formé en puy, dans lequel les
femmes vident leurs bassines d'eau sale, après la lessive. Le
propriétaire m'a expliqué que pour débuter les travaux, il avait
fait confiance aux artisans du coin, comme cela semble logique. Mais
les premiers murs ne l'ont pas satisfait, et c'est vrai, ils
déteignent. Les vieux du village semblaient posséder un
savoir-faire, mais leur pisé était de mauvaise qualité. Les
Marocains préfèrent de très loin le ciment, les parpaings. Un
homme, ici, à Aït Benhaddou, a même doublé sa maison de parpaings
avant de détruire ses vieux murs en pisé traditionnel. Très fier
de sa nouvelle maison, l'homme doit depuis faire face à une
étanchéité défaillante, durant les grandes pluies, il a froid
l'hiver et beaucoup trop chaud en été. On connait ce genre de
réflexe dans nos campagnes françaises, j'en ai été le témoin, en
Ardèche, non loin de Saint Félicien... Un fermier qui possédait
des bâtisses magnifiques en vendait une pour pouvoir retaper
l'autre, c'est à dire casser l'autre, la recouvrir de ciment, de
chaux, avec ce goût pour la banalisation, l'effacement de toute une
culture accumulée, sous prétexte de modernité. Un Européen
voyageur comme Andy, pas du tout un paysan, qui construit sa maison
ici, à l'évidence, ne pouvait qu'être sensible au génie du lieu,
et à celui des ancêtres berbères. L'Autrichien est donc allé
chercher des spécialistes qui lui ont enseigné qu'il fallait, avec
l'eau et la paille, mélanger la terre du coin avec une autre, moins
oxydée, donc moins rouge, que l'on trouve à cinq kilomètres d'ici,
au bord de l'oued. Il est arrivé au mélange idéal, solide, qui ne
se délite pas, ne déteint pas. Les plafonds sont remarquables
aussi. Des poutres d'arganier, écorcées, de grosseurs à peu près
équivalentes, mais de formes inégales, soutiennent des linteaux de
même nature, qui, eux-mêmes, tiennent une sorte de paillasse de
roseaux, maintenue cohérente par des fils. Entre les tiges de
roseau, j'aperçois l'isolation dont l'Autrichien m'a parlé :
« Les gens au Maroc ils comprennent pas le touriste il veut la
tranquillité, le silence ». Jusque là, ce n'était pas ma
priorité, je peux même presque dire le contraire. Mais j'ai si bien
dormi ici.
Vingt-septième jour
Petite note pour mon Isa. Il y a une
petite fille, en elle aussi, que j'aperçois, émouvante, perdue, quelques fois, dans notre grande vie d'adulte. Et pourtant, Isa, c'est une grande personne. Donc,
suite à mon petit déjeuner :
Amelou selon Khadija (la propriétaire des lieux) :
Poudre
d'amande (mais de préférence pas une amande douce, une avec ce goût
fort d'orgeat, suivie d'une amertume délicieuse qu'on trouve ici)
+
cacao
+ huile d'argan.
L'amelou ressemble au confit de
noisette, c'est d'ailleurs très sucré, il doit y avoir du miel. Une
petite astringence, sans excès, que j'aime bien. A propos des
amandes, on me précise que les amandiers, ici, sont arrosés par un
oued salé, ce qui expliquerait leur goût particulier, intense,
moins sucré.
Vingt-septième jour
Visite d'Aït Benhaddou, village âgé
d'au moins 900 ans, peut-être 1200, on ne sait pas trop. Et de plus près,
son visage a les rides que, de loin, je ne lui voyais guère. Beaucoup
de ruines, que les Marocains entretiennent grâce aux sous de
l'UNESCO. L'agadir, construit au sommet du mont, a, lui, été
entièrement refait, ce qui permet d'aller voir à l'intérieur les
quelques chambres où étaient conservés le fourrage et le grain.
Avant d'y accéder, il faut passer une muraille, exclusivement
consacrée à la protection du grenier. Avant, il faut traverser
l'oued sur des sacs de sable où des enfants cherchent à gratter des
dirhams en te tenant la main. Puis, en entrant, tu en lâches dix à de
jeunes garçons aimables parce que la porte la plus évidente, celle
que tu passes, ouvre sur une Kasbah privée. Quelques objets anciens
sont exposés dans cette maison, une sorte de « musée »
improvisé par les propriétaires. Puis tu mets les pieds dans un
entrelacs de ruelles bordées de murs ocres, dont certains
ressemblent à ces châteaux de sable au soleil couchant, quand à
force de sécher, ils s'écroulent. Peu à peu, visiteur, tu
t'élèves, et se révèle, à travers les trouées, au-dessus des
toits, le beau panorama de ce coin du Haut-Atlas, entre les montagnes
enneigées, au loin, tel un décor peint, irréel, les collines
brûlées, tout autour, et, dans la plaine, paresseux, l'oued salé
offre le miracle d'une végétation généreuse, oliviers, amandiers,
palmiers sous le vent.
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