mercredi 5 septembre 2012

Mes carnets du Maroc (19)

Dixième jour
Je reste à Tanger, je viens de confier mon linge à un pressing. Je me faisais les sangs en me disant que je ne savais toujours pas retrouver le quartier des blanchisseurs – appelons-le ainsi, il y a quatre ou cinq laveries – sur lequel j'étais tombé il y a quelques jours. Donc je descends de l'hôtel avec la ferme intention de noter sur mon plan l'endroit exact, que je me donnais pour mission impérative de trouver. Et je suis content, j'ai accompli ce qui devait l'être. En sortant de l'hôtel, je me suis dit ce doit être à droite. C'était en effet à droite, à environ quinze mètres.

Dixième jour
Alors que j'ai encore craqué pour le Petit Prince, je me retrouve dans ce café que j'affectionne. Le Café de Paris est un immense établissement, toujours plein, et le lourd qui a écrit dans le guide du Routard que « le décor craint un peu » est juste un imbécile. Bon ce n'est pas Versailles, malgré les murs entiers de miroirs, d'un mètre sur un mètre, rivetés, ou les luminaires sur les colonnes, dorés à l'or fin, discrètement kitch. Mais ce qui me plait ce sont les gens qui fréquentent l'endroit. Finalement, c'est très mixte, pas beaucoup de femmes, même si elles entrent comme elles veulent, bien sûr, voilées ou non. Des touristes, ce n'est pas encore la saison mais il y en a. Pas mal de jeunes gens, mais qui préfèrent la salle du fond, avec une petite vue. Et surtout, surtout, la Chibani connexion. Toute une clique de vieux, sirotant un thé à la menthe et à la fleur d'oranger, ou un café au lait. Ils ont chacun un journal en arabe ou en français, dans lequel ils se réfugient quand une conversation les gonfle, ils peuvent même changer de place, histoire de s'éloigner de leur interlocuteur, et cela malgré les salamalecs de rigueur. La vérité de ces bonshommes en pension dans les confortables fauteuils en cuir, ou mieux sur les banquettes matelassées, c'est qu'ils aiment regarder le temps qui passe. Et qu'ils le voient passer dans la grande symphonie interne qu'ils se composent, chacun, avec le rassurant brouhaha et la présence des autres. Seuls et bien heureux de l'être, ils font ici œuvre d'artiste, mais pour eux-mêmes, des oeuvres éphémères et inconnues. Et puis, ils s'adressent parfois la parole, et ça rigole, et ça assène des vérités. Et il y en a qui préfèrent mettre un terme en s'éloignant ou en plongeant le nez dans leur journal, ils sont amicaux, mais très vaches.
Aujourd'hui je remarque aussi un jeune homme en costard cravate, très rare ici. Il est très beau et se comporte de façon très aristocratique. Je le sens bien héritier d'une bonne famille et le respect qui l'entoure, des serveurs en particuliers, le sourire agréable qu'il distribue, me confortent dans cette idée. De l'autre côté de la salle, je reconnais un homme qui parlait d'art contemporain hier avec un Américain. Une autre fois j'ai vu un Marocain munis d'un cahier où il notait je ne sais quoi, mais, je crois, en français. C'était soit un travail de recherche, soit de la prose, comme j'ai la prétention d'en faire.

Dixième jour
Petite télé-transportation au café Hafa, et c'est en effet un endroit superbe. Sans prétention, alors que je craignais le contraire. Le thé est bon, 6 Dh, les tables carrelées très belles, on s'assoie sans façon sur une des quatre terrasses qui se succèdent, surplombant d'une cinquantaine de mètres le boulevard Mohammed VI et donc, l'Océan. Le soleil s'invite, l'ombre est gentiment donnée par les orangers en fleurs. Au loin des paquebots passent le détroit, certains me paraissent si longs. Et la côte d'Espagne, montagneuse, plantée comme il se doit d'éoliennes. Un truc qui va me faire fuir, c'est la connasse d'à côté, qui a sorti un cahier, un stylo, et qui écrit. Un autre, c'est l'atelier d'écriture, en français, avec des Français, croisé quelques étages plus haut. C'est devenu un lieu commun d'écrire à Tanger. J'espère que ces nazes n'écrivent que de la merde. Ah la lose, je repère encore deux « écrivains » sur la terrasse du dessous. Je pose mon stylo putain.

Dixième jour
Et je le reprends. Car douter de son talent est naturel, quand il n'est nulle part reconnu. Mais seulement entre deux phrases, comme le photographe doute, lui, entre deux clics. Je dois ajouter que l'épidémie d'écrivaillons, tout à l'heure, au café Hafa, n'était que la conséquence de l'atelier d'écriture. Tous planchaient sur un abécédaire dont le thème était Tanger. Rien que d'avoir écrit cette phrase, qui ne dit que la vérité, je retrouve un sourire cynique et jouissif. Presque un fou rire, mais discret, intérieur. Quelle belle journée j'ai passé. Depuis que je suis ici, bientôt une semaine, tout le déficit hydrique du Maroc, qui se trouve être considérable cette année, me tombe dessus. Mais entre l'averse de 10 heures et celle de 19 heures, quelle belle journée j'ai eu.

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