lundi 10 septembre 2012

Mes carnets du Maroc (22)

Douzième jour
Je voudrais vanter les succulentes pâtisseries marocaines achetées hier au hasard de ma promenade à Tétouan. Ce que je peux en dire, c'est que la variété des goûts, des apparences, des textures, enfonçait tout ce que j'ai pu rencontrer à Tanger. Cette fois, le citron était présent, la confiture de fraise avait un beau parfum de fraise, le chocolat de chocolat. Les formes les plus bizarres étaient réussies, les découpages étaient fins, les décorations subtiles. Mais voilà ce matin je me sens écœuré, des envies de rendre. Mon hôtel est cher et je ne voudrais pas rester trop longtemps. Trop malade. Je patiente.

Douzième jour
On croit que la mort, c'est la lumière qui s'éteint, comme quand on s'endort, et il doit bien avoir un truc dans le genre. Mais la mort, je crois qu'elle commence assez tôt, par la destruction progressive de notre univers. Une maison où nous avons été heureux, même si nous ne la voyons plus, si nous savons qu'elle existe encore, notre univers est préservé. En revanche, si nous savons que les bulldozers sont passés, il y a bien un pan du monde qui s'est évanoui. Plus grave amputation encore, c'est la mort d'autrui. Des gens qu'on a côtoyés, qu'on aime ou qu'on a aimé, autant d'univers que l'on a frôlés, imaginés, partagés. J'ai perdu un ami l'année dernière, il s'appelait Christophe Chalessin, une crise cardiaque, 39 ans. Et cinq ans qu'on ne s'était même demandé des nouvelles, pas besoin, il me suffisait de le savoir vivant, je ne me posais pas la question évidemment. Quand j'ai appris, mon premier réflexe a été d'aller chercher des preuves de son existence. Je n'ai pas de photo de lui, si, une, avec deux autres amis de notre « bande », nous étions quatre, ils sont rigolards et lui, il sourit, il n'éclatait jamais de rire. Sur internet, j'ai trouvé des choses futiles, appelées à disparaître avec les ans. Un passionné de jeux de rôle, il avait construit un site autour de l'un d'eux. Dark Tophe. Je crois que ce faisant, je cherchais à me rassurer, je me persuadais que le Tophe avait existé, que tout ce qui existait, pour moi, grâce à lui, ne disparaissait pas avec lui. Que je n'étais pas en train de mourir moi-même. Et la vérité, c'est que la mort, en annihilant mon ami, a fait son œuvre sur tous ceux qui l'ont aimé. Aujourd'hui, je suis au Maroc, à Tetouan. Je viens d'apprendre que ma grand-mère va très mal, elle n'en a plus pour longtemps, si je comprends bien. Envie de pleurer, d'être avec elle.
L'univers s'efface. Se vide.
Mon grand-père, 94 ans, très handicapé maintenant, est déboussolé, me dit-on. « Quand on vieillit, m'a-t-il confirmé un jour, petit à petit, tous les amis meurent autour de toi ». Il a ajouté : « C'est pas drôle ». Depuis quelques années, ils vivent, lui et sa femme, à Troyes. Tous les deux, l'un pour l'autre, avec une immense tendresse, et dans l'idée que tout finirait un jour et même assez vite. Ce jour approche dangereusement. Si la lumière s'éteint pour l'un, pour sûr, elle s'éteindra aussi pour l'autre.

Douzième jour
Mon premier stylo n'a plus d'encre. Ce pourrait être une métaphore valable, aussi.
En tout cas me voilà fermé dans ma chambre. Pas le goût de sortir. Je vais me forcer. Je voudrais voir le quartier des tanneurs, c'est un spectacle, il paraît. Que je pourrai raconter à ma grand-mère en rentrant. 

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