Douzième jour
Le quartier des tanneurs est resté
invisible. Je n'ai pas pu le chercher à ma guise, je suis vraiment
malade. Mon ventre ne me laisse pas un mois de répit, je devrais le
savoir. Un fond de mal de tête, envie de vomir, ou de chier,
d'évacuer quoiqu'il en soit. Fichues pâtisseries. Je me suis perdu
dans la médina, mais comme j'étais je n'ai pas eu la force de
m'enfoncer d'avantage. Peur de devoir rentrer à l'hôtel d'urgence.
Je suis couché maintenant, j'ai dormi peut-être 20 minutes. Mes
muscles me sont douloureux, je suis crispé. Une crise de foie, comme
le dit l'expression populaire. Et bien sûr je me suis retrouvé,
tout à l'heure, dans une étroite rue coudée bordée de pâtisseries orientales.
Failli vomir sur leurs étals. Ensuite, en sortant de la médina,
dans une rue en descente, je me suis tordu la cheville, je suis
d'ailleurs étonné de n'avoir pas plus mal, sur l'instant j'ai eu
l'impression qu'elle pliait à 90° et le vieux monsieur qui
remontait la rue a un l'air de trouver ça spectaculaire. Je me sens
faible et je le suis. Pas simple à gérer, au Maroc, dans des rues
où la foule se presse, te bouscule, t'observe.
Treizième jour
Hier, sur le marché qui doit occuper la
moitié de la ville, disons... dix pour cent, ne chipote pas, j'ai vu
un vieil homme qui reprisait une paillasse, un jeune, en face,
réparant un jouet pris dans son étal, un fouillis de jouets,
presque neufs, hors de leurs emballages. Dix mètres plus loin, un
autre jeune homme, arrangeant ses produits, chantonnait un air
oriental. Un faux guide, de ceux qui réclament tant d'argent dans
toutes les médinas du Maroc, m'a devancé pendant une demi heure,
dans le dédale des quartiers de menuisiers ou de ferronniers, sans
omettre de m'amener chez deux commerçants sympathiques. Et il ne m'a
rien réclamé. Je l'ai remercié avec chaleur. Et du coup il me
reste des images d'artisans besognant dans la rue, entre les
boutiques aux volets vernissés de vert.
Treizième jour
Hôtel Panorama, je prends mon petit
déjeuner face au montagnes du Rif. Elles pourraient aussi bien être
drômoises, même découpe, même végétation, même brouillard
sommital. Je mange à peine, je m'applique tout de même à me nourrir pour la journée.
Dans la salle de restaurant où
j'ai fini de manger, trois enfants, un garçon de 14 ans, deux filles
un peu plus âgées, débarquent. Ils ne savent pas que le principe
est d'aller se servir soi-même. Les serveurs se mettent en quatre
alors, pour les soigner. Je croise le regard d'un jeune serveur, nous
échangeons un franc sourire et je comprends que ces enfants sont un
peu son plaisir de ce matin. Les mômes, placides, acceptent chaque
don avec un naturel déconcertant.
Treizième jour
Tandis que les symptômes d'hier me reviennent... mal au ventre, suée, un fond de mal de tête,
une envie d'évacuer qui ne trouve pas satisfaction, un peu de fièvre
sans doute... des pensées, des doutes viennent encore assombrir mon
humeur. Que suis-je venu faire ici. Encore vingt-cinq jours à tirer,
et je n'ai pas idée de ce que je voudrais faire, ou voir, au Maroc.
On me dit que le sud, c'est « autre chose ». Ah bon. Donc
je ne vais pas passer près de Chef Chaouen sans la voir, mais je
crois que je ne vais pas non plus m'attarder. Les médinas sont
belles mais oh, la vérité, c'est qu'elles se ressemblent. Content
d'avoir vu celle de Tétouan, dont les souks et les artisanats ont
été préservés mieux qu'à Tanger. J'ai enfin pu visiter la
tannerie et c'est beau, comme dirait Coluche (la réplique qui suit
est : bon allez on se casse). Je me moque, mais les cuves
creusées dans la pierre et qui remplissent leur office depuis des
centaines d'années, c'est tout de même émouvant. Je suis moins
convaincu par le marché au poisson, dont la vomitive pestilence
aurait pu me faire évacuer toute cette merde qui brimballe dans mon
bide depuis deux jours. Ce qui m'aurait rendu, oui, rendu, service,
même si je ne sais pas comment les Marocains l'auraient pris.
Tout ça, c'est du tourisme, je ne suis
pas satisfait. Je cherche une autre façon de voyager, ma façon je
veux dire. Je voudrais prendre le temps de rêvasser quelque part.
Boire un thé à la menthe en regardant se coucher le soleil, se
lever matin de bonne humeur, avec des envies d'exploration, de
marche, de méditation et de sieste au soleil. Je ne suis pas certain
d'avoir choisi le bon pays pour cela, il y a toujours du monde, et
des sollicitations, au Maroc.
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