Seizième jour
De nouveau dans ce restaurant cher,
mais bon. En fait j'avais décidé d'aller ailleurs et puis mes pas
m'ont dirigés ici. C'est un peu comme si je savais que j'allais y
atterrir de toute façon. A cause du Tajine qu'ils intitulent
« sucré ». Et du serveur, dont la vue me ravit. Il se
trouve que c'est à l'évidence ici encore que j'avais mangé le
meilleur couscous de ma quinzaine, et je viens d'engloutir un tajine
excellent. C'est le genre de moment qui me réconforte de ma
solitude. Le restaurant est chauffé, à côté de moi un bec de gaz,
en face une cheminée, dont les retours de fumée sont redoutables.
Je dîne dans une pièce principale de forme carrée, autour de
laquelle s'organise la maison. Le plafond de cèdre peint est
somptueux, monte en pyramide vers une petite coupole en verre, d'où
pend, par une chaîne, une énorme lampe marocaine. Les tables de
bois, rustiques, ont été faussement patinées, recouvertes d'une
mosaïque de Fès. Le sol est pavé, comme il devait être quand il
était celui d'un patio ouvert sur le ciel, avec le dessin d'une
étoile marocaine en plein centre, en planches de bois rouge. J'ai
fini mon dessert. Une tarte au citron à la marocaine. J'entends le
jeune cuistot qui chantonne et je lui souris, il n'est qu'à deux
mètres, il répond à mon sourire et il continue son travail, sans
s'arrêter de chantonner.
Seizième jour
La solitude n'est pas toujours un état
que je crains. Je suis d'ailleurs le premier gardien de ma solitude.
Comme dirait un bonhomme qui se présentait comme un instituteur et
qui espérait me montrer la médina de Tétouan, pour une dizaine
d'euros : « Tu es gentil, mais tu n'en as pas l'air ».
J'ai d'ailleurs dû congédier ce Monsieur de brusque façon. Je dois
donc avoir un air farouche qui me protège, à peu près, des
intrusions intempestives dans mon univers. Pourtant je ne cesse de
regretter cet état qui, en voyage, me pèse. Lorsque je vois mes
jeunes voisins américains qui arrivent à trois pour se partager une
chambre et qui le lendemain accueillent encore trois camarades, ils
sont à l'autre bout du monde, mais ensemble. Leur joie fait plaisir
à voir, même s'il transpire de ce groupe, je dois dire, pas mal
d'arrogance, celle de l'Amérique, combinée à celle de leur
jeunesse et du groupe. Bref. Je les vois se réunir comme ça, et je
pense à mes amis, ceux que je n'ai jamais rejoins, ceux qui ne me
rejoindront pas. Je ne sais pas ce qui m'inspire le plus de
tristesse. Je ne sais pas ce que j'inspire à mes amis. Qui le sait.
Pourquoi ne brisent-ils pas ce cercle de ma solitude ? J'ai
d'habitude plutôt le sentiment qu'ils brisent le cercle de leur
propre solitude, avec moi. Cela me rend le service au moins de
tromper le temps. Quel ami viendra donc à moi, un jour, en
sacrifiant son intérêt du moment, pour moi, parce qu'il sait que
j'ai besoin d'un ami. Et puis non, sans sacrifice, qu'est-ce que
c'est que cette histoire de sacrifice... Non, parce que son bonheur,
et donc son intérêt tout bien pesé, serait d'être en ma
compagnie.
Un amoureux alors ?
Bien sûr je voudrais de l'amour. Mais
prononcer ce mot, l'écrire, peut paralyser, ou réduire, le
discours, pour ce qu'un lecteur peut y entendre. De l'amitié ?
Qui revêtirait ce caractère d'absolu, parfois éphémère, et qui
pourtant est une porte vers le sentiment d'éternité.
De la compagnie.
Je ne sais pas si je dois l'écrire,
ça.
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