jeudi 20 septembre 2012

Mes carnets du Maroc (28)

Seizième jour
De nouveau dans ce restaurant cher, mais bon. En fait j'avais décidé d'aller ailleurs et puis mes pas m'ont dirigés ici. C'est un peu comme si je savais que j'allais y atterrir de toute façon. A cause du Tajine qu'ils intitulent « sucré ». Et du serveur, dont la vue me ravit. Il se trouve que c'est à l'évidence ici encore que j'avais mangé le meilleur couscous de ma quinzaine, et je viens d'engloutir un tajine excellent. C'est le genre de moment qui me réconforte de ma solitude. Le restaurant est chauffé, à côté de moi un bec de gaz, en face une cheminée, dont les retours de fumée sont redoutables. Je dîne dans une pièce principale de forme carrée, autour de laquelle s'organise la maison. Le plafond de cèdre peint est somptueux, monte en pyramide vers une petite coupole en verre, d'où pend, par une chaîne, une énorme lampe marocaine. Les tables de bois, rustiques, ont été faussement patinées, recouvertes d'une mosaïque de Fès. Le sol est pavé, comme il devait être quand il était celui d'un patio ouvert sur le ciel, avec le dessin d'une étoile marocaine en plein centre, en planches de bois rouge. J'ai fini mon dessert. Une tarte au citron à la marocaine. J'entends le jeune cuistot qui chantonne et je lui souris, il n'est qu'à deux mètres, il répond à mon sourire et il continue son travail, sans s'arrêter de chantonner.

Seizième jour
La solitude n'est pas toujours un état que je crains. Je suis d'ailleurs le premier gardien de ma solitude. Comme dirait un bonhomme qui se présentait comme un instituteur et qui espérait me montrer la médina de Tétouan, pour une dizaine d'euros : « Tu es gentil, mais tu n'en as pas l'air ». J'ai d'ailleurs dû congédier ce Monsieur de brusque façon. Je dois donc avoir un air farouche qui me protège, à peu près, des intrusions intempestives dans mon univers. Pourtant je ne cesse de regretter cet état qui, en voyage, me pèse. Lorsque je vois mes jeunes voisins américains qui arrivent à trois pour se partager une chambre et qui le lendemain accueillent encore trois camarades, ils sont à l'autre bout du monde, mais ensemble. Leur joie fait plaisir à voir, même s'il transpire de ce groupe, je dois dire, pas mal d'arrogance, celle de l'Amérique, combinée à celle de leur jeunesse et du groupe. Bref. Je les vois se réunir comme ça, et je pense à mes amis, ceux que je n'ai jamais rejoins, ceux qui ne me rejoindront pas. Je ne sais pas ce qui m'inspire le plus de tristesse. Je ne sais pas ce que j'inspire à mes amis. Qui le sait. Pourquoi ne brisent-ils pas ce cercle de ma solitude ? J'ai d'habitude plutôt le sentiment qu'ils brisent le cercle de leur propre solitude, avec moi. Cela me rend le service au moins de tromper le temps. Quel ami viendra donc à moi, un jour, en sacrifiant son intérêt du moment, pour moi, parce qu'il sait que j'ai besoin d'un ami. Et puis non, sans sacrifice, qu'est-ce que c'est que cette histoire de sacrifice... Non, parce que son bonheur, et donc son intérêt tout bien pesé, serait d'être en ma compagnie.

Un amoureux alors ?

Bien sûr je voudrais de l'amour. Mais prononcer ce mot, l'écrire, peut paralyser, ou réduire, le discours, pour ce qu'un lecteur peut y entendre. De l'amitié ? Qui revêtirait ce caractère d'absolu, parfois éphémère, et qui pourtant est une porte vers le sentiment d'éternité.

De la compagnie.

Je ne sais pas si je dois l'écrire, ça. 



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